Chapitre 2

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Colombe n’avait pas quitté Alba - c’est ainsi qu’elle avait nommé son oiseau - de toute la journée. Elle s’était promenée dans le manoir, exhibant la cage dorée à tous ceux qu’elle croisait, au grand dam de sa gouvernante qui n’avait cessé de lui courir après, et lui confisquer l’oiseau n’avait fait qu’empirer les choses, provoquant une de ses colères infernales que seul son père était capable de calmer. C’était toujours ainsi lorsque son père rentrait de voyage. Elle devenait plus excitée qu’une puce, à courir et sauter partout sans jamais s’arrêter. Ainsi, la gouvernante avait bien rapidement abandonner l’idée d’espérer quoique ce soit d’elle dans ces moments-là, et ce serait mentir que de dire que la petite fille n’en profitait pas, ne laissant pas une seule seconde de répit pour la vieille femme avant l’heure du coucher.

Heureusement pour cette dernière, la petite fille, exténuée d’avoir dépensé autant d’énergie en l’espace d’une seule journée, n’eut pas beaucoup de mal à s’endormir ce soir-là. À peine la gouvernante l’avait-elle bordée qu’elle plongeait déjà dans les bras de morphée. Cette nuit-là encore, elle fit un rêve…

Il faisait sombre. Très sombre. Si sombre qu’elle ne se voyait même pas. Elle tendit une main et rencontra immédiatement une résistance. Elle était enfermée. Enfermée dans une sorte de boîte. Non, plutôt qu’une boîte, cela ressemblait plus à une sorte de sphère. Elle frappa une fois contre la paroi. Elle n’avait pas l’air d’être bien solide. Alors elle frappa à nouveau. Elle n’eut besoin que de quelques coups pour qu’une fissure lumineuse apparaisse, et il ne lui fallut pas longtemps avant d’enfin pouvoir voir le jour.

L'œuf avait éclos. L’oisillon avait brisé sa coquille.

Elle était à présent dans un nid. Tout autour d’elle étaient éparpillés des morceaux de coquille, comme si les œufs dont ils provenaient avaient été détruits. Il n’en restait qu’un seul, en face d’elle, encore intact. Elle sortit prudemment de son œuf, veillant à ne pas se couper aux rebords, et se dirigea vers l’autre. Comme elle l’avait fait pour sortir du sien, elle frappa quelques coups contre la coquille, mais rien ne se passa. Celle-ci semblait plus solide. On dirait qu’il n’était pas encore temps pour lui d’éclore.

Un courant d’air caressa ses cheveux lorsque son attention fut tout à coup détournée par un chant. Un chant magnifique, comme elle n’en avait jamais entendu auparavant, dans une langue qu’elle ne connaissait pas. Elle commença à sautiller en direction de la voix de femme, le long de la branche sur laquelle était posée le nid, et à mesure qu’elle s’en approchait, la voix se transforma petit à petit celle d’un oiseau. C’est alors qu’elle aperçut, à travers le feuillage, un rossignol. Un superbe rossignol aux couleurs chatoyantes. Elle ignorait pourquoi mais… Sa voix enchanteresse l’apaisait. Elle ne s’était jamais senti aussi calme. Elle ferma les yeux, pour mieux en profiter.

Elle resta un moment, perchée sur cette branche, à écouter le chant du rossignol, balançant légèrement sa petite tête de droite à gauche en rythme avec la musique. Mais quand elle rouvrit ses yeux, une toute autre vue s’offrit à elle. Le rossignol n’avait pas bougé, il continuait de chanter, complètement ignorant de l’énorme chat roux qui s’était posé sur une branche non loin et qui le guettait d’un regard affamé. De la bave s’écoulait de ses babines.

Colombe voulut prévenir le rossignol de la présence du prédateur, en vain. Elle ne parvint à sortir de sa gorge qu’un cri étouffé. Elle était trop loin pour rejoindre la pauvre bête avant le chat. Elle décida alors de sauter sur la branche pour la faire bouger, espérant que le mouvement l’effraierait et le ferait s’envoler, mais rien ne se passa. Elle regarda de nouveau le chat. Il s’était penché vers l’arrière. Il allait sauter. La petite fille tenta d’agiter la branche d’autant fort, mais rien n’y fit, elle ne bougeait pas d’un millimètre, et le rossignol continuait de chanter. Dans un dernier élan d’espoir, elle se précipita vers l’oiseau. Le chat sauta. Sa mâchoire se referma sur la gorge de l’oiseau. Un fin filet de sang s’écoula le long de ses babines. Le rossignol frétillait. Il n’était pas encore mort. Il souffrait.

Le regard gourmand du félin se posa alors sur Colombe. Il avait déjà trouvé sa nouvelle proie. La jeune fille voulut s’enfuir, mais la peur la tétanisait sur place. Elle s’imaginait déjà à la place du rossignol qui luttait encore entre la vie et la mort. Elle tenta de reculer, mais son bras glissa contre l’arbre, elle perdit l’équilibre, et tomba, ayant pour toute dernière vue celle du félin affamé.

Elle se réveilla en sursaut dans son lit, couverte de sueur, la respiration haletante, les joues trempées de larmes. C’était la première fois qu’elle faisait un tel cauchemar. Jamais elle n’avait fait un cauchemar aussi… réaliste… Elle se souvenait encore de l’air frais et légèrement humide du matin, de la paille piquante du nid et du bois rugueux de l’arbre sous ses pieds, de la mélodie enchanteresse de l’oiseau et surtout… du chat. De ses babines retroussées, de ses poils hérissés alors qu’il s’apprêtait à sauter, de son regard de prédateur, de l’odeur métallique du sang qui exhalait son souffle chaud lorsqu’il s’était approché d’elle. Un frisson lui parcourut le dos lorsque ces images lui revinrent en mémoire.

Elle voulut appeler son père, sa gouvernante, ou n’importe qui qui aurait pu la rassurer, mais se retint. Elle avait sept ans. Elle savait parfaitement jouer Au Clair de la Lune au piano et elle connaissait ses tables de multiplications sur le bout des doigts ! Enfin presque, elle avait encore du mal avec la septième…En tout cas, elle était une grande fille maintenant. Elle ne pouvait plus aller frapper à la porte des adultes lorsqu’elle faisait un mauvais rêve. Elle était grande. Elle pourrait se rendormir toute seule, sans l’aide de personne.

Elle essuya ses larmes et se recoucha, serrant le plus fort possible dans ses bras l’ours en peluche géant blanc, nommé Guimauve, que son père lui avait offert pour son dernier anniversaire, enfouissant son visage dans le ventre de la peluche. Mais dès qu’elle fermait les yeux, elle ne voyait que le chat. Elle ne voyait que ses babines retroussées, ses poils hérissés alors, son regard de prédateur, l’oiseau entre ses crocs. Les babines retroussées, les poils hérissés, le regard de prédateur, l’oiseau entre ses crocs, les babines retroussées, les poils hérissés, le regard de prédateur, l’oiseau entre ses crocs, les babines retroussées, les poils hérissés, le regard de prédateur, l’oiseau entre ses crocs.

Elle rouvrit les yeux, et, traînant l’ours derrière elle, quitta sa chambre en direction de celle de son père. Elle n’était pas une grande fille.

Heureusement pour elle, la chambre de son père ne se trouvait pas loin de la sienne. Elle n’avait pas vraiment peur du noir, mais après le cauchemar qu’elle venait de faire, l’obscurité l’angoissait. Elle ne préférait pas rester trop longtemps dans les couloirs froids et silencieux du manoir. Elle arriva devant la porte et la poussa légèrement. Il n’y avait pas un bruit. Pas même celui de la respiration régulière de son père endormi. Colombe s’approcha du lit et remarqua qu’il était vide. On était au beau milieu de la nuit. Que pouvait-il bien faire à cette heure-là ? Il n’était quand même pas encore en train de travailler ?

Elle songea à aller le retrouver dans son bureau, mais celui-ci se trouvait si loin de sa chambre et la perspective de devoir marcher pendant si longtemps dans les couloirs sombres l'inquiétait tant qu’elle abandonna aussitôt cette idée. Pourtant, elle ne pouvait pas se résoudre à retourner dans sa chambre ainsi. Il suffisait d’un seul clignement d’yeux pour revoir… Non, elle préférait ne pas y penser. Colombe reporta son choix sur sa gouvernante

Traînant toujours Guimauve derrière elle, elle se rendit dans les quartiers des domestiques. Elle s’arrêta devant la chambre de la vieille femme. Un raie de lumière filtrait de sous la porte. Tiens, elle aussi était encore éveillée ?

Elle ouvrit la porte qui émit un léger grincement, attirant immédiatement l’attention de la gouvernante qui, assise à son bureau, écrivait quelque chose dans un carnet. Cette dernière se leva, s’approcha de la petite fille et, d’un sourire tendre :

  • Ça alors, mais qu’est-ce que vous faites là Mademoiselle ? Vous devriez être couchée depuis longtemps. Vous avez fait un cauchemar ?

Colombe acquiesça silencieusement.

  • Et vous n’avez pas trouvé votre père dans sa chambre, c’est ça ?

Elle secoua la tête.

  • Êtes-vous allées voir dans son bureau ? Il travaille peut-être encore.

La petite fille, pour toute réponse, se contenta de fixer le sol, honteuse.

  • Vous aviez trop peur d'aller là-bas, n’est-ce pas ? Vous voulez dormir avec moi ?

Nouveau hochement de tête de la part de Colombe.

  • Entrez.

La gouvernante la fit entrer et la laissa s’installer dans son lit avec Guimauve tandis qu’elle rangeait le carnet dans un tiroir qu’elle ferma à clé. Elle éteignit la lumière et se glissa sous les couvertures avec la petite fille qui se blottit dans ses bras.

  • Ce cauchemar était si terrifiant que ça ?

Colombe ne répondit pas.

  • Souhaitez-vous m’en parler ?

Pour la première fois de la soirée, l’enfant murmura faiblement :

  • Non, je ne veux pas y penser…
  • Très bien. Voulez-vous que je vous chante une berceuse alors ?

Elle lui répondit par l’affirmative en se collant encore plus contre la vieille femme qui commença à fredonner d’une voix douce une petite mélodie. Petit à petit, les paupières de la petite fille se firent de plus en plus lourdes et, oubliant complètement son cauchemar, elle finit par tomber dans les bras de morphée.

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