Chapitre 1
Le matin se lève. Le soleil filtre à travers les vieux rideaux de soie qui ornent la fenêtre de ma chambre. Je frotte mes yeux et dégage la couette blanche aux motifs floraux. Mon lit en fer forgé couine quand je me lève et le parquet grince sous mes pieds. Je rejoins la salle à manger en nuisette, où ma mère prépare du café avec une vieille théière. Les cafetières sont pour les riches, ceux qui habitent dans la préfecture de Pinmard. Nous, nous habitons dans le petit village de Afirust. Pinmard est la ville de la mode et de la gastronomie, et elle est inaccessible pour les pauvres. Nous sommes condamnés à vivre dans nos vieilles maisons insalubres. C’est aussi à Pinmard qu’il y a le gouvernement.
- Te voilà. Je te laisse t’occuper de cuisiner aujourd’hui, je vais devoir aller rencontrer le maire, il veut me voir.
- Est-ce à propos du déménagement que tu as prévu à Pinmard ?
- En partie, oui. Il pense que des pauvres n’ont rien à faire dans cette ville idyllique.
- Logique, les travaux sont mieux payés à Pinmard qu’ici, c’est pour ça qu’il nous traite de pauvre.
- Tylia, je vais devoir te demander de te tenir correctement devant le maire.
Je soupire. Le maire est un homme détestable, que je ne veux certainement pas rencontrer.
- Si tu veux.
Je clos la discussion en disparaissant dans la seule pièce qui me réserve un peu d’intimité dans cette maison. Je fixe mon reflet dans le miroir fissuré, et aux bords noircis de moisissures. Mes cheveux blonds coupés au carré sont décoiffés et ma frange me tombe devant les yeux, mes yeux bleus me donnent un regard arrogant. Ma nuisette est déchirée au niveau de la manche droite. Je vais devoir la rapiécer.
Après avoir mis un jeans noir, un t-shirt gris et une veste militaire s’arrêtant aux hanches ainsi qu’une ceinture brune, je rejoins la cuisine.
- Tylia, le maire est là.
Je regarde avec dédain Monsieur Bray. Il toussote et un sourire illumine soudain mon visage.
- Bonjour, Monsieur Bray, raille-je d’un ton faussement enjoué.
Il hoche la tête pour me répondre et ma mère m’indique de partir vers la cuisine, comportant seulement une vieille étagère en bois et une gazinière à l’ancienne. Le carrelage est fissuré, et rempli de poussières. J’attrape une casserole en fer et la pose sur le feu, avant d’ajouter la soupe d’hier que je fais réchauffer. Je touille tranquillement le précieux liquide quand j’entends ma mère discuter.
- J’aimerais vraiment habiter Pinmard.
- Écoutez, je ne peux pas donner un logement pour toute votre famille, mais pour seulement une personne.
- Alors donnez-le à Tylia, elle saura se débrouiller.
Je débarque dans le salon, furieuse.
- Maman ! Je ne partirai pas vivre une vie de riche sans vous !
- Il le faut, Tylia.
- Mais pourquoi ? Soit nous y allons nous tous, soit personne n’y va !
Je fixe le maire. Il se met à tourner les pages de son annuaire rapidement.
- Je suis désolé, je n’ai qu’une maison solitaire.
- Alors je n’irai pas à Pinmard.
Je quitte la maison, ma mère hurlant mon nom sur les marches du perron. Mais je ne me retourne pas.
Je n’ai pas vraiment d’endroit où aller, mais je marche. Je m’enfonce dans les ruelles étroites et sales de la ville, découvrant des endroits insoupçonnés. Qui aurait cru que nous avions un marché noir ? Je vois des gens marcher, des petites bourses presque vides pendues à leur ceinture. Puis j’y arrive. Devant le grillage infranchissable. Qui sépare Afirust de Pinmard. Qui sépare les pauvres des riches. D’abord, il y a la forêt. Une ancienne jungle urbaine. On raconte que ça s’appelait New-York, avant. À travers le grillage, j’aperçois des gratte-ciels recouverts de lierre, de plantes grimpantes et toxiques. Il y a aussi des cascades immenses. Et encore plus loin, à quelques centaines de kilomètres, je vois dans le ciel les feux d’artifices de Pinmard. Pleins de petits points lumineux dansent dans le ciel avant de retomber. Bien sûr, d’ici, je n’entends pas les bruits, mais ça doit faire un sacré boucan. J’aperçois des trous dans le grillage. J’y pense, mais l’idée de m’enfuir s’estompe rapidement. Je continue de fixer la forêt de New-York, quand une main se pose sur mon épaule. Je me retourne.
- Si le maire te savait là, tu serais déjà sur la place en train de te faire décapiter.
- Maman, j’ai eu peur ! Tu m’as fiché une de ces trouilles, j’ai cru que le maire m’avait débusqué.
- Rentre, je dois te parler, Tylia.
On marche en silence jusqu’au quartier des taudis, le quartier le moins riche de la ville la moins riche du pays.
On entre dans la maison et Maman s’assoit à table, un air fatigué se dessinant sur son vieux visage.
- Il faut que tu ailles à Pinmard. Que tu découvres ce qui se passe dans cette ville étrange. Le maire refuse de te couvrir, alors demain, à l’aube, tu quitteras la maison. Tu te glisseras sous le grillage, tu trouveras en le longeant vers l’ouest un trou assez gros pour que tu passes. Ensuite, une fois que tu seras dans la forêt, tu courras jusqu’au lac, une fois là-bas, tu seras trop loin pour qu’on te retrouve.
- Je serai portée disparue, à Afirust.
- Oui, je sais, mais j’ose espérer qu’ils n’auront jamais l’idée de fouiller la jungle urbaine. Une fois au lac, tu avanceras toujours vers le nord, et tu déboucheras devant le grillage de Pinmard. Si tu entends un train ou si tu le découvres, éloigne toi le plus possible de lui. Tu cherches un trou dans le grillage de Pinmard, d’après mes recherches, il y en a un à 10 kilomètres environ après le train, vers l’est. Une fois à Pinmard, tu cherches ce qu’il ne va pas, et une fois que c’est fait, tu rentres. Ok ? Et aussi, évite de faire du feu.
- Oui.
Je pars dans ma chambre et fais un sac contenant des biscuits, de la viande qui peut se consommer crue, de quoi soigner mes blessures et de l’eau. J’attrape aussi un manteau chaud et un sac de couchage. Ainsi qu’une lampe torche.
Annotations
Versions