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 Léonie Dubois était arrivée à la ferme le 4 juillet 1942. Serviable, discrète, et robuste travailleuse, elle avait bien vite fait taire les habitants du village tout proche qui pensaient qu'une parisienne serait dépassée par la vie paysanne. On l'avait acceptée, parce que dans ce village de la zone libre on se faisait un devoir de venir en aide aux compatriotes qui fuyaient la zone occupée. Et puis la main d'œuvre supplémentaire ne faisait pas de mal avec les hommes partis ou blessés.

Elle disait ne pas avoir de famille, et fui Paris toute seule, munie de papiers dont personne n'osait questionner l'authenticité. Peu importe son vrai nom, elle faisait désormais partie des ouvriers permanents : traire les vaches, déplacer les troupeaux, porter le fourrage, rien ne semblait résister à cette solide jeune femme aux épaules carrées et à la stature athlétique.

Quand monsieur Alphonse, le propriétaire de la ferme, avait préparé la venue d'une parisienne, il s'était attendu à accueillir une petite fleur délicate, pâle et maigre, qui ferait sans doute tourner ses hommes en bourrique, mais il n'aurait pas pu être plus loin de la vérité.

Léonie n'était pas la première à venir trouver refuge chez monsieur Alphonse. La ferme du Perret en accueillait d'autres, des Français de l'autre côté de la ligne de démarcation. Tout ce petit monde semblait s'entendre, tous semblaient éviter de mentionner le secret qui n'en était un pour personne. Juifs, sans aucun doute. Et si au village on avait un peu grincé des dents au début, on avait bien fini par admettre que ça ne changeait pas grand-chose, que la guerre c'était la guerre, et qu'il fallait se serrer les coudes.

Et puis étaient venus les Allemands.

Ils avaient été assez peu présents dans la région jusqu'alors, mais en juin 1943, un petit camp s'était établi à quelques kilomètres de la ferme du Perret. Il s'agissait plus d'un lieu de stationnement pour les soldats revenant d'opérations militaires que d'un véritable poste stratégique, mais la présence de l'ennemi dans le quotidien rappelait que même en zone libre, c'était la guerre.

Bientôt, les soldats firent partie du paysage quotidien de la ferme : ils venaient par groupes de quatre ou cinq pour réquisitionner de l'eau, du lait, des œufs, et parfois même des ouvrières pour laver leur linge ou récurer leurs latrines.

Elles avaient obtenu de se faire accompagner par un des garçons de ferme à chaque fois qu'elles se rendaient sur le camp. La plupart du temps, c'était Jean-Baptiste, un grand gaillard de dix-sept ans, qui se portait volontaire : d'une nature aimable, il ne rechignait jamais pour nettoyer sa part de latrines ou battre le linge avec ses compagnes d'infortune. Celles-ci se sentaient en sécurité auprès de cet enfant au corps d'adulte, trop innocent pour oser les importuner comme le font les hommes, mais bien assez imposant pour dissuader les Allemands d'essayer.

Léonie semblait particulièrement apprécier de partager cette corvée avec lui. Cela amusait les ouvriers de les voir se promener ensemble comme deux camarades mal assortis : Léonie avec son grand corps plat, et Jean-Baptiste tout en muscles et en rondeurs enfantines.

Les inquiétudes de monsieur Alphonse (et surtout de sa femme, en vérité) sur les mœurs de la Parisienne s'étaient bien vite révélées sans fondement : Léonie semblait fuir les hommes, et eux ne semblaient pas particulièrement intéressés par celle-ci. Elle constituait pour eux une curiosité, tout au plus, et ils étaient souvent déçus de réaliser qu'elle n'avait pas grand chose à leur raconter de Paris ou d'elle-même.

Mais avec l'arrivée des Allemands, et les corvées que ceux-ci imposaient aux ouvrières, les hommes de la ferme se prirent à veiller particulièrement sur ces demoiselles. Même, portés par un sentiment de propriété, ils se prirent d'intérêt pour celles qui jusqu'alors n'avaient pas semblé mériter leur attention.

C'est ainsi que Léonie se mit à faire l'objet d'une cour plus ou moins discrète de la part de Georges, un ouvrier agricole vivant au village. Tous les matins, il saluait la jeune femme d'une courbette maladroite, et le soir il semblait ne pas vouloir quitter la ferme tant qu'il ne lui avait pas adressé un au-revoir. Il avait vécu à Paris pendant quelques mois au début de l'occupation — son cousin lui avait trouvé un petit boulot dont il se gardait bien de donner les détails à Léonie puisqu'il y avait été balayeur — et il essayait toujours de se servir des quelques connaissances qu'il avait glané sur la capitale pour se rendre intéressant aux yeux de la jeune femme. Mais celle-ci se contentait de lui servir une ou deux réponses sans chaleur, et Georges ne parvenait pas à déceler dans la voix profonde de Léonie, l'ennui et le désintérêt qu'elle semblait pourtant éprouver pour lui. Loin d'être un mauvais bougre, il ne se faisait jamais plus pressant que cela, mais il apparut assez vite aux autres travailleurs de la ferme que ses attentions mettaient mal à l'aise la jeune femme, qui était trop polie pour dire quoi que ce soit.

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