Chapitre 1 Le Vagabond
Dans un recoin de Veridion, là où les contrées verdoyantes rencontraient les montagnes, voyageait un jeune vagabond du nom d'Erold. Il arpentait les chemins depuis des jours, portant avec lui son barda dans un sac élimé et une épée qui semblait plus ornementale qu'efficace. Il vivait au jour le jour, voyageant de village en village, cherchant sa place dans ce monde. Agé d'à peine vingt ans, il avait déjà un air de baroudeur chevronné, avec ses cheveux blonds mi-longs rebelles et une barbe hirsute qui ajoutait une décennie à son visage.
La taverne était bruyante et bondée, tout comme la plupart des tavernes de cette partie de Veridion. Erold s'était arrêté ici pour se reposer et peut-être, avec un peu de chance, se voir offrir un repas chaud en échange d'une histoire captivante. Du haut de son mètre quatre-vingt dix, sans doute plus, ses yeux bleus, vifs et malicieux, balayèrent la salle à la recherche d'une place libre. Il repéra un tabouret vacillant près du comptoir, enfoncé dans un coin sombre. C'était l'endroit idéal pour un vagabond qui voulait garder un œil sur tout en restant tranquille.
Alors qu'Erold s'asseyait, il sentit l'énergie électrique caractéristique d'une taverne sur le point de voir éclater une bagarre. Il y avait toujours quelque chose qui mettait les esprits en ébullition ici, que ce soit une simple dispute pour un verre renversé ou un débat enflammé sur la bière la plus savoureuse de la région.
Le bouillonnant brouhaha fut interrompu par un grand fracas. Un colosse musclé, l'air rouge et courroucé, venait de renverser accidentellement la chope de bière d'un homme bedonnant, dont le visage virait au pourpre à vue d'œil. Les murmures se firent de plus en plus forts alors que les clients prévoyaient déjà l'explosion imminente de fureur.
Erold eut un sourire en coin. Une bagarre dans une auberge n'était pas le genre de divertissement qu'il avait envisagé pour la soirée, mais il ne pouvait s'empêcher de trouver cela amusant.
一 Ça va chauffer, murmura-t-il à son voisin de tabouret, un vieux marin chevronné qui l'observait avec curiosité.
Celui-ci grogna et répondit d'une voix rocailleuse :
一 Ça fait des années que je viens ici, gamin. Crois-moi, ça n'est pas la première bagarre que je vois.
Le colosse, se voyant clairement provoqué par les regards hostiles de la foule, resserra ses poings et avança vers le bedonnant d'un pas menaçant.
Mais avant que quiconque puisse comprendre ce qui se passait, Erold sauta de son tabouret et se plaça entre les deux hommes.
一 Hé enfin voyons les gars, calmez-vous un instant ! Vous voyez bien que ce n'était qu'un malheureux accident, dit-il d'une voix calme et persuasive.
Le silence s'abattit sur la taverne, les clients observèrent avec étonnement le jeune vagabond défiant les deux hommes costauds. Encore plus étonnant, il paraissait aussi robuste qu’eux, et bien qu’il n'eût certainement pas encore atteint sa taille adulte, son regard se posait presque à même hauteur que les leurs.
一 Eh bien, regardez qui veut jouer au héros, ricana le colosse.
Le bedonnant sembla hésiter un instant, puis ralluma sa pipe et prit une taffe, le regardant comme s'il ne savait pas s'il devait en rire ou en pleurer.
Erold sourit de toutes ses dents et agita une main pour détendre l'atmosphère.
一 Au héros ? Certainement pas ! Y’a pas plus chiant qu’un héros ! Vous savez quoi, on est ici pour s’amuser, non ? Pourquoi pas régler ça en lançant un défi ? Un concours de force ? Il plia le bras, ses muscles puissants se contractèrent laissant imaginer la force du jeune voyageur.
一 Le perdant paie une tournée générale ! ajouta-t-il avec un air provocateur.
La suggestion sembla dérider les deux hommes, qui échangèrent un regard complice. La tension s'évapora dans un éclat de rire général. La bagarre potentielle se transforma en une compétition amicale de bras de fer et de crachats de noyaux de cerises. Les clients se joignirent à l'ambiance joyeuse, les querelles oubliées au profit de l'esprit jovial et joueur du vagabond.
La compétition de bras de fer entre Erold et le colosse musclé devint le moment le plus attendu de la soirée. Les clients se tassèrent autour de la table, pariant sur lequel des deux l'emporterait.
<< Allez mon gars, montre-nous de quoi tu es capable ! cria un homme à la barbe foisonnante en agitant sa chope de bière. Si tu gagnes, c'est moi qui offre une tournée ! >> ajouta-t-il avec un clin d'œil malicieux.
Erold sourit en réponse, et alors que le duel commença, il sentit la force titanesque de son adversaire. << Ce gars doit soulever des montagnes pendant son temps libre >>, pensa-t-il en se concentrant.
Mais il n'était pas en reste et il utilisa une astuce quelque peu discutable mais bien connue des habitués des lieux de buverie : la diversion. Alors que le géant se focalisait sur la force brute, Erold en profita pour détourner l'attention avec un récit hilarant sur une chèvre espiègle qu'il avait rencontrée lors de ses voyages. Le colosse se mit à rire aux éclats, relâchant sans s'en rendre compte son emprise. C'était le moment parfait pour le jeune vagabond. D'un geste vif, il renversa le bras de son adversaire, remportant la victoire sous les acclamations du public.
一 Champion du bras de fer et de l'humour, déclara l'homme barbu en tapant le sol de son énorme marteau, je n'ai jamais vu un match aussi divertissant de ma vie.
Erold fit une révérence théatrale devant son public conquis.
一 C'était une question de stratégie, mes amis ! Il ne faut jamais sous-estimer la puissance du rire dans un combat !
Il se sentait comme chez lui, ce soir-là, il gagna bien plus que la tournée générale : il gagna le respect et la reconnaissance de tous ceux qui avaient été témoins de son habileté à apaiser les tensions. L'auberge retentissait de chants et de rires alors que la nuit avançait. Il avait réussi à se faire une place parmi les habitués, ses talents de conteur et son humour charmant faisant le tour de la salle. Il raconta des histoires de créatures étranges rencontrées au cours de ses voyages dont il avait triomphé, à certains moments par la force brute et à d’autres, grâce à sa ruse et son audace.
Le marin, son voisin de tabouret, semblait amusé et impressionné par les péripéties du jeune homme. En fait, les villageois se demandaient si Erold n'était pas une sorte de magicien déguisé en vagabond. Il avait ce don étrange pour conter des histoires si captivantes que les verres semblaient léviter de plaisir et que les chaises se rapprochaient instinctivement pour écouter.
Même le vieux loup des mers, qui avait vu plus d'aventures qu'un nain ne voit de barils de bière, semblait accroché aux lèvres d'Erold, comme s'il entendait parler des légendes les plus fabuleuses pour la première fois.
<< Quand je vous disais que ce gamin avait une langue bien aiguisée ! >> marmonna-t-il avec admiration, avant de se faire apporter un autre verre.
Les heures passèrent, et l'alcool coulait à flots. Alors que la soirée touchait à sa fin, un homme étrange entra dans l'établissement. Son visage était dissimulé par l'ombre de son capuchon, mais quelque chose dans son allure inspirait un respect silencieux. À peine eut-il posé un pied à l'intérieur que le brouhaha s'estompa, et chacun tourna son regard curieux vers l'inconnu.
一 Mesdames et messieurs, je suis à la recherche d'hommes courageux et déterminés, prêts à se lancer dans une quête périlleuse et légendaire, annonça-t-il d'une voix grave, résonnant dans la taverne comme le tonnerre avant l'orage.
Erold, intrigué par cette entrée spectaculaire, se redressa sur son tabouret, échangeant un regard complice avec le vieux marin à ses côtés. Il semblait que le destin venait frapper à sa porte, offrant une opportunité nouvelle à saisir.
一 Et quelle serait cette quête, noble étranger ? demanda-t-il, s'attirant les regards envieux et curieux de ceux qui savaient que les grandes aventures naissaient parfois dans de modestes tavernes.
一 Je suis à la recherche des légendaires Lames du Destin, connu sous divers noms. Peut-être que “Fendoir d’argent” vous parle plus. C’est une hache aux pouvoirs anciens et puissants, cachée loin au nord derrière Eredvène, la Montagne de Feu, dans les profondeurs du continent de Brumevallée, répondit l'étranger, faisant frissonner d'excitation l'auditoire.
Un murmure d'émerveillement se répandit dans la taverne. La quête dans laquelle Erold s'était déjà intérieurement lancé résonnait maintenant d'une aura de mystère et de grandeur.
一 La Brumevallée ? Un continent maudit, chuchota le marin, c'est une mission digne des plus fous, ou des légendes les plus épiques.
Erold fixa l'étranger avec intensité, cherchant à percer le voile de mystère qui l'entourait.
一 Nom d’une tête de gnome, voilà qui est intéressant ! Mais pourquoi recherchez-vous des compagnons pour cette aventure ? Pourquoi ne pas entreprendre ce périple seul ?
L'étranger souleva légèrement son capuchon, dévoilant un regard perçant et ferme :
一 Car la Brumevallée est un lieu dangereux et impénétrable, rempli de pièges et de gardiens ancestraux. Je ne suis qu'un homme, et une mission de cette envergure nécessite des âmes vaillantes et unies.
Une lueur d'enthousiasme brilla dans les yeux du jeune aventurier, qui se mit à sourire largement .
一 Il a raison, les gars. C'est comme monter sur scène sans un public enthousiaste. Eh bien mon ami, vous avez trouvé le bon endroit ! Ici, dans cette taverne, vous ne manquerez pas d'hommes courageux et téméraires prêts à relever ce défi avec vous. Parole d’homme que j’en suis ! Qui est partant ?
Un tumulte d'approbation se répandit dans la foule, et bientôt, des mains se levèrent, des voix s'élevèrent, tous proposant leur aide dans cette quête audacieuse. L'étranger semblait satisfait du résultat, reconnaissant dans chaque regard la détermination et la bravoure nécessaire pour l'accompagner dans ce périple.
一 Très bien. Demain à l'aube, pour ceux qui le veulent, nous nous rassemblerons ici et partirons ensemble pour la Brumevallée, déclara l'étranger d'un ton solennel.
Le reste de la soirée se déroula dans un tourbillon d'excitation et d'anticipation. Erold partagea des rires et des chants avec les futurs compagnons de cette quête incroyable. Il sentait une énergie électrique dans l'air, celle de l'aventure qui les attendait.
La nuit passa rapidement, et à l'aube, l'établissement s'anima de nouveau. Erold se tenait aux côtés de l'étranger, entouré des compagnons qui avaient répondus présent à l'appel. Le vieux baroudeur des mers lui fit un signe amical, lui souhaitant bonne chance dans cette entreprise périlleuse.
Alors que le groupe se préparait à quitter l'auberge, l'homme se présenta sous le nom de Samuel et prit la parole d'une voix calme et résolue :
<< Mes amis, notre voyage sera difficile, et nous devrons faire face à des épreuves inconnues. Mais je crois en chacun d'entre vous. Ensemble, nous pouvons réussir là où d'autres ont échoué. >>
Erold et les autres membres le regardèrent avec respect et confiance. Ils sentaient qu'ils étaient entre de bonnes mains avec cet homme humble, qui avait acquis sa sagesse et son expérience à travers de nombreuses aventures.
<< Nous trouverons les Lames du Destin et accomplirons des actes dont on se souviendra pour les siècles à venir ! >> déclara Erold, le regard brillant d'excitation et la voix pleine de passion.
Sous les acclamations des clients, le groupe de compagnons quitta la chaleur réconfortante de l'établissement pour affronter l'inconnu de Brumevallée.
Une grande aventure se dessinait à l'horizon, et Erold, le vagabond autrefois sans but, était maintenant le protagoniste d'une quête épique, entraîné dans un tourbillon de péripéties, de mystère et de destinée.
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