Chapitre 5
Des masses criaient devant les tribunaux, enhardies par la chaleur retombant sur Athènes par vagues intermittentes. Les citoyens portaient des himations aux couleurs aussi variées que les peaux de leurs esclaves, marchant dans l’ombre, qui donnaient de l’ampleur à leurs voix sans jamais les doubler. Des meneurs haranguaient la foule, et s’y fondaient immédiatement après. Impossible d’en identifier le moindre. On venait manifester depuis le littoral et même la Mésogée ; des pêcheurs de Brauron et du cap Sounion, venus protester contre les derniers décrets, jetaient des pierres sur le bâtiment. Chose commune dans la ville de Cécrops, surtout après une assemblée saisonnière. Cela n’inquiétait guère les magistrats, et bouleversait encore moins l’ordre de la cité. Il n’y en avait qu’un pour se soucier des répercussions sur sa carrière politique.
À une lieue de la place publique, Propis tournait en rond dans la pièce de son séjour, tandis qu’un jeune métisse gréco-libyen lui résumait la situation. Les choses n’avaient fait qu’empirer depuis quelques jours, après qu’il avait prononcé son premier discours. L’intervention d’Æther n’aurait eu aucune incidence, s’il ne faisaiet pas écho à d’autres crimes perpétrés dans les bas quartiers. Malgré ses tentatives de noyer le poisson : il prétendait qu’un imitateur avait pris la place du meurtrier, ou bien que les rumeurs avaient été largement exagérées par le bouche-à-oreille, le jeune homme persistait à lui tenir tête. Étant fort apprécié des communs pour ses dons, il avait rassemblé un groupe d’accusateurs assez virulents. Parmi eux, un groupe de prytanes faisaient pression pour relancer l’enquête et manifestaient avec les autres dans l’agora. L’archonte espérait se faire bien voir en désignant un coupable, mais l’annonce du procès avait produit l’effet inverse.
Un autre esclave entra en trombe dans le séjour :
– Hélios est arrivé, déclara-t-il, il vous attend dans la cour.
– Bien, nous reviendrons là-dessus, et sur l’affaire du Pirée, plus tard.
Il sangla son chiton le plus long et franchit le portique. Le poète béotien attendait assis sur le rebord d’un pot en terre cuite, où un if pyramidal prenait ses racines. Contrairement à ses pairs, il portait une tunique en cuir bardée d’assortiments métalliques scintillant au soleil.
– Quelle tête tu fais ! lança-t-il à son hôte. De mauvaises nouvelles ?
– On conteste déjà mes décisions aux tribunaux. J’ai l’impression de chuter avant même d’être monté.
– Ces athéniens ! À croire qu’ils n’ont que cela à l’esprit : cité, politique, cité, politique. Tu prends les choses trop à cœur, c’est pour ça que tu te fais du mal. Les petites Dionysies ont déjà commencé dans la périphérie. Viens plutôt, ça te changera les idées.
– Je ne peux pas faire ça maintenant, reprit-il doucement, je me suis engagé auprès de la cité. J’ai juré devant Zeus et tous les Olympiens.
– Alors, qu’est-ce qui ne va pas ?
– Le fils de Daenos. Il n’arrête pas de me mettre des bâtons dans les roues, dès qu’il en a l’occasion. Ce sont ses amis qui manifestent, maintenant. Je ne sais plus quoi faire pour me dépêtrer de cette mélasse commune.
Hélios resta songeur quelques instants, afin de se remémorer le visage du citoyen, et frappa sa paume du poing.
– Il me revient. Ce garçon aux cheveux blonds et aux yeux aussi expressifs qu’un poisson mort. Il t’en veut personnellement ?
– Son père me déteste depuis que j’ai essayé de lui retirer son statut d’athénien d’honneur, lorsque j’étais encore bouleute. C’était il y a trois ans.
– Il n’est donc pas athénien ?
– Son père a été naturalisé en raison de son soutien important pendant la bataille de Marathon. Un de mes rivaux de l’époque l’avait pris sous son aile, contre toute logique. Des métèques se sont ruinés, sans jamais rien obtenir, pourquoi celui-ci ferait exception ? Heureusement, il n’a pas le droit de se présenter à l’assemblée. Seul son fils, né de deux parents citoyens, le peut.
Un sourire carnassier se dessina sur la figure barbue du thébain.
– S’il te pose tant de soucis, je peux encore m’en occuper.
– C’est hors de question, répondit-il aussitôt, si cela s’apprenait, je pourrais définitivement tirer un trait sur ma magistrature.
Comme Hélios montrait des signes de curiosité, ils discutèrent longuement de cette affaire de meurtres et Propis revint sur l’intervention importune du jeune homme en pleine assemblée et sur la demande d’Antès, qu’il considérait autrefois comme un frère, et qui s’était immédiatement rangé de son côté.
– Donc, acheva-t-il, on a retrouvé le corps d’une autre hétaïre il y a trois jours.
– Si je te suis bien, dit le poète sans une once d’inquiétude, rien ne prouve qu’il s’agit bien du même coupable.
– Tout le monde le sait ! Tout le monde sait qu’il meurt des prostituées tous les soirs dans la ville basse. Si seulement l’une des victimes n’était pas cette hétaïre : Kynthia. Même moi qui ne suis pas friand de ce genre de service, je la connaissais de réputation. Les indifférents ont fini par se réveiller, ce qui nous mène à la situation d’aujourd’hui. Quelle guigne ! Le meurtrier n’est sûrement plus dans la région. J’ai choisi Génothès parce que son profil correspondait. En fait, j’aurais vraiment voulu croire à sa culpabilité.
– Trouve un nouvel étranger à qui faire porter le chapeau ?
– Et risquer d’être à nouveau accusé de sycophanteries ? Non merci.
– Fais en sorte qu’il ait l’air coupable, tout du moins, qu’il attire sur lui le regard de l’assemblée.
Un bruit éveilla leur attention, près du portail. Kalithos apparut soudain entre deux colonnes, jetant un œil derrière son épaule pour s’assurer qu’on ne le suivait pas, un rouleau de papyrus entre les mains. Il ne s’attendait pas à croiser son père, encore moins accompagné.
– Tu devrais être avec le pédagogue, lança Propis à son fils. Je présume que tu lui as encore faussé compagnie ?
Le garçon bredouilla, remarquant la présence du béotien, et choisit de détourner le sujet de la conversation pour ne pas évoquer le pauvre homme de Samothrace qui devait, en ce moment même, le chercher près de la colline des muses, criant son nom partout en ville.
– J’ai écrit un nouveau poème à la mode d’Anacréon, Père, voudriez-vous l’entendre ?
* * * *
Antès et Dione arrivèrent à la frontière de Thèbes durant la seconde matinée, éreintés par des sentiers escarpés, interminables, sinueux, comme s’ils avaient été eux-mêmes des bêtes de trait. Ils franchirent l’une des nombreuses portes de la cité béotienne, sous les hautes murailles où s’échouait le fleuve Asopos, et progressèrent, quoique difficilement, dans les quartiers pauvres. Merkion les déposa aux environs du marché inférieur, dans l’aile ouest de la ville, pour décharger plus loin une partie de sa cargaison.
– Ne vous éloignez pas trop, les prévint-il, ou j’aurai du mal à vous retrouver. On se rejoint au même endroit avant la tombée de la nuit.
Cela représentait plus que la moitié d’une journée. Antès voulut protester en voyant l’état de misère dans lequel était plongé le quartier, mais Dione lui tint l’épaule pour l’en dissuader. Il ne s’était toujours pas remis de son échec à Delphes.
– Il y a quelque chose à savoir sur cette ville ? interrogea-t-elle leur accompagnateur.
Le potier se tourna vers le berger à l’air dégoûté, et lança sur un ton malicieux :
– Une seule, ne leur dites pas que vous êtes athénien. Cela dit, ils s’en apercevront bien assez tôt.
Il disparut ensuite dans les méandres de la cité cadméenne, jalonnée de ruelles sombres où abondaient autant d’esclaves que dans la ville de Cécrops. Antès avait l’habitude d’éviter ce genre d’endroit. Il s’y sentait mal à l’aise, tandis que Dione se réjouissait d’être fondue dans la masse. Une petite voix continuait d’ailleurs de lui susurrer : « Vas-y maintenant, il ne te retrouvera jamais », mais une seconde plus forte y répondait : « Quelqu’un attend ton retour ». Allait-elle devoir choisir entre Naros et sa liberté ?
Un borgne au teint hâlé vint à eux, immobiles au beau milieu du bazar, qui glissait régulièrement sa langue dans l’énorme écart de ses dents, tombées pour la plupart.
– Je sais lire l’avenir dans les entrailles des poules, leur annonça-t-il fièrement.
Dione sursauta presque en reconnaissant l’accent étrusque.
– Navré, fit Antès avec hauteur, nous n’avons rien à vous sacrifier.
L’haruspice afficha une moue peinée et s’éloigna. Dione voulut le rattraper, mais il avait déjà disparu, comme leur guide, dans ce désordre commercial. Des étals remplis de fruits et légumes à peine bons à ronger, couverts de grandes toiles bariolées, des tapis sans ornements et quelques esclaves phrygiens mis sur un piédestal et tenus en laisse par un thébain vociférant. On l’avait également vendue, par deux fois. Elle ne se souvenait du visage d’aucun de ses marchands. Elle ne les avait probablement jamais regardés en face. Dans son esprit, ils n’existaient déjà plus à l’instant où elle avait quitté sa cage avec son comparse. Il régnait dans le marché une atmosphère atypique, oscillant entre le chaleureux et le macabre, suppurant des prostituées et des voleurs à la tire dont on se plaignait un peu partout.
– Je refuse de rester ici plus longtemps, dit Antès, visiblement sorti de ses gonds. Cet endroit dépasse largement mon seuil de tolérance.
– Merkion a dit…
– … Que nous le retrouverions ici avant la fin de la journée, l’interrompit-il. Il me semble qu’elle vient de commencer. C’est à cette heure que nous conduisions les moutons au pré. Rien ne nous interdit de nous éloigner un peu de ce taudis.
Dione haussa les épaules. Il partirait, quoi qu’elle dise. Chassant son envie de parcourir les échoppes et faire de nouvelles rencontres, elle choisit de le suivre hors de l’enceinte étouffante du marché ; des odeurs d’épice et de stupre qui s’atténuaient peu à peu, jusqu’à être remplacées par d’autres plus familières.
Un éleveur traversait la ruelle face à eux avec ses trois bœufs qui en prenaient toute la largeur. Ils attendirent quelques instants, qu’ils en fussent sortis, et s’y engouffrèrent à leur tour. Après le bétail, il restait une présence résiduelle que l’obscurité rendait presque inquiétante. Une lumière vive les attirait à l’autre bout, éblouissante, sans qu’ils sussent de quoi il retournait, suivie de notes de musique, pincées. Ils la suivirent et découvrirent une immense colline, jonchée de temples monumentaux qui n’avaient rien à envier à l’Acropole. Même Antès faillit les confondre.
Ce qui les frappa tout d’abord, ce fut l’étroitesse des rues, même en s’approchant de la colline. Malgré la présence éparse de cèdres et de platanes, assez bas, la végétation était presque absente de la cité béotienne. Dione, qui avait toujours eu l’habitude des grands espaces, se demanda comment les gens d’ici faisaient pour respirer. Le petite place où ils se trouvaient, en contrebas, n’en était pas moins envahie de population, aux vêtements assez variés pour qu’on ne pût pas faire la différence entre les citoyens réels et les serviteurs, ce qui troubla d’autant plus le berger.
Sur un socle en pierre, un hurluberlu emplumé à l’accent thrace récitait des vers iambiques au son d’une lyre à carapace de tortue. Ses cheveux roux avaient quelque chose de familier au duo. Ils ne se l’expliquaient pas : trop captivés par ses déclamations. Antès sourit vaguement. Au moins, se dit-il, les poètes sont les mêmes ici qu’ailleurs. Il racontait les déboires d’Héraclès affrontant les centaures, et les spectateurs restaient scotchés à ses paroles enchanteresses. Comme c’était la coutume à Thèbes durant cette période de l’année, des conteurs et des chanteurs se succédèrent, après lui. Un nom glorieux ressortit plusieurs fois : Pindare, favori de cette cité. Tout le monde attendait sa venue. Cependant, les heures passaient. Ce dernier ne se montrant pas, la foule se dispersa. Vulca et Antès restèrent plantés jusqu’à ce que la place fût pratiquement vide. Même les gardes venus s’assurer du bon suivi des exhibitions poétiques finirent par s’éclipser.
– Que se passe-t-il ? Demanda l’athénien sans attendre une réponse de son esclave. Peux-tu demander à quelqu’un si la cérémonie est bien terminée ?
– Arrêtez de me demander des choses, simplement parce que vous n’avez pas envie de les faire vous-même. Interroger quelqu’un dans la rue, ce n’est pourtant pas difficile.
L’enthousiasme lui avait presque fait oublier la rébellion de sa jeune esclave. Il perdit aussitôt son calme et grommela :
– Tu es tenue de m’obéir.
– Nous ne sommes pas à Athènes et encore moins chez vous, reprit-elle. Ici, je ne suis tenue de rien du tout. Je ne vous crains plus : Antès. J’aimerais bien que vous vous fassiez à cette idée.
– C’est ça ! Alors, tu vas me laisser.
Dione lut le désespoir dans son regard et souffla un coup. Elle y avait songé, oui. Plus d’une fois, même. Mais elle ne voulait pas imaginer à quel niveau de misère il serait réduit en son absence, en territoire inconnu. Égorgé sous un porche, à l’ombre d’une ruelle malfamée. Errant dans la campagne béotienne, effondré dans les herbes hautes, son bâton reposant contre son flanc. Même pour lui, c’était trop cruel.
L’étrusque arrêta une passante bronzée qui portait une énorme amphore sur la tête et ne semblait pas s’intéresser plus que cela aux festivités, sûrement une esclave. Au départ elle l’entendit jurer quelque chose sur la déesse Cybèle qui la protégeait des mauvaises rencontres, mais ses traits s’adoucirent après qu’elle eut jaugé Dione.
– Où les gens sont-ils partis ? l’interrogea-t-elle.
– Au stade : de l’autre côté de la colline, sur les hauteurs. Des courses ont lieu avant la tombée de la nuit.
– Comment s’y rend-on ?
– Tout droit, fit-elle d’un ton égal, puis à gauche jusqu’à la fontaine d’Héraclès. Ensuite, prenez la rue en biais sur la droite et vous devriez l’apercevoir.
Durant leur court trajet, Antès resta silencieux. Il semblait vouloir dire quelque chose et faillit se lancer une fois, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Un simple merci suffirait, pensa Dione, mais il ne vint jamais. Alors qu’ils commençaient à franchir les escaliers menant à l’enceinte boisée du stade, ils tombèrent nez à nez avec un homme, à la barbe drue et aux mimiques féminines que lui rendaient des éphèbes agglutinés autour de lui. Ainsi agglutinés, ils bloquaient le chemin comme un troupeau de moutons. L’un d’eux agitait une branche de figuier pour éventer l’aîné, assis, qui leur offrait de furtifs baisers.
– Excusez-nous… articula l’étrusque pour attirer leur attention.
Personne ne l’écoutait. Comme à Delphes. Elle s’avança davantage et allait pour hausser le ton, mais Antès choisit ce moment pour tempêter :
– Vous n’avez pas entendu ? Dites à vos bacchantes membrées de baisser d’un ton. Nous attendons que vous vous poussiez pour passer.
Le meneur du groupe se redressa et toisa son interlocuteur athénien, s’arrêtant sur son bâton de marche. Il portait des cothurnes aux semelles en bois qui donnaient une fausse impression de hauteur.
– Vous parlez aussi fort, pour un vulgaire éleveur de chèvres, doublé d’un handicapé, lança-t-il d’une langue acerbe, incisive. Où sont donc vos bêtes et vos chiens ? À supposer que vous ayez les moyens d’en payer. Cette truie m’a l’air charmante, mais je ne suis pas sûr qu’elle ait sa place sur un marché. Peut-être celui des esclaves. D’ailleurs, vous vous trompez de chemin. Le bordel est dans l’autre sens, vers les bas-fonds.
Les jeunes hommes gloussèrent. Dione craignait le pire. Elle vit passer son maître de l’orange au magenta, puis au rouge écarlate.
– Je ne vais pas me laisser insulter par un béotien de la pire espèce.
Il leva sa canne haut, comme il l’avait fait quelques jours plus tôt, et voulut l’abattre sur le crâne de son offenseur. Les éphèbes ne lui laissèrent pas cette joie et se jetèrent sur lui. Il devrait retenir la leçon, à force. Dione voulut s’interposer pour éviter la catastrophe, mais on la repoussa sèchement et elle faillit perdre l’équilibre, à cloche-pied sur une marche abîmée. Les vents hurlaient sur les côtés, agitant les cyprès, et le poète s’avança vers l’esclave pour lui tapoter la joue. A bien le regarder, de plus près, il n’était pas aussi âgé qu’il en avait l’air. Ses yeux verts pétillaient de vitalité et sa barbe dissimulait les quelques rides et les boutons autour de sa bouche.
– Finalement, elle n’est pas si laide, lança-t-il aux éphèbes qui maintenaient Antès au sol. Sa beauté me portera chance dans mon duel contre Corinna, à Tanagra. Si les muses sont de mon côté, la victoire est à portée de main. Qu’en pensez-vous, mes mignons ?
Les mignons rirent de plus belle, tandis que l’athénien tentait vainement de se défaire de leur emprise, pestant contre le poète et le menaçant de mille maux s’il avait le malheur de toucher « son » esclave. Dione ne se sentait pas le moins du monde en danger, mais cette attention la surprit un peu, même dictée par l’orgueil. Des gardes apparurent à cet instant, aux bottes chromées et aux casques à crêtes jaunes. Ils jaugèrent la scène et tout particulièrement Antès.
– Euterpe m’est apparue avec sa lyre et ses ailes de papillon, s’exclama le poète : accaparant l’attention. Un rayon de miel est venu jusqu’à moi depuis le mont Hélicon.
– Ces gens vous importunent ? Nous vous attendons depuis un moment.
– Lui ? s’étonna-t-il. Je crois bien que c’est un chien hargneux. Jetez-le dans une cage le temps d’une nuit et il sera calmé. Du reste, non, ils m’ont au contraire bien diverti. Les odes sont prêtes.
Avant de s’éclipser, le poète lança un regard somme toute énigmatique à Dione.
– Tu n’es pas faite pour servir ce genre de personne, petite. Les athéniens n’ont jamais su prendre soin de leurs femmes.
– Merci, concéda-t-elle, mais je m’en étais déjà aperçue.
L’avait-il prise pour son épouse ? La joute de tout à l’heure, si abrupte, n’allait pas dans ce sens, cependant elle n’avait d’autre but que de provoquer Antès, toujours fébrile. Et elle y était parvenue sans difficulté. Les soldats thébains se saisirent des deux voyageurs et les entraînèrent vers les cachots de la ville, redescendant les escaliers sans se soucier des gémissements douloureux de l’athénien qui buttait sur chaque marche. On arracha son précieux pendentif et les anneaux de Dione, tout ce qui leur restait de brillant, puis on les jeta dans une cellule commune aux parois rêches et dont la seule lumière provenait d’une lucarne ouverte, derrière les barreaux.
– Je comprends mieux maintenant, soupira l’étrusque, moqueuse, pourquoi vous refusiez de parler.
* * * *
Merkion attendit que fût apparue la dernière étoile de la constellation du taureau, mise à l’honneur en cette saison, sa cargaison réduite de moitié, avant de repartir. La route promettait d’être longue jusqu’à sa prochaine escale, et les sentiers n’étaient pas sûrs dans l’obscurité. Quittant la cité par une autre voie, il fut pris de remords et s’exclama pour lui-même.
– Que je sois foudroyé s’il leur est arrivé malheur. Et, puisse un dieu, quel qu’il soit, leur venir en aide.
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