La battue

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La veille de cette sombre journée, Paul se préparait à quitter son cabinet tandis qu’Ania entrait dans la salle de soin. Elle resta un moment à le regarder ranger ses affaires puis s’avança.

—Pourrais-je venir demain ?

—Dans la forêt ? Ce n’est pas une place pour une dame, Ania. Il y aura des meutes de chiens, beaucoup de chasseurs et des policiers.

—Ne vous ais-je pas suivi lorsque vous deviez ausculter ces cadavres ?

—Ce n’est pas pareil. Je m’inquiéterai bien trop pour votre sécurité.

Ania s’approcha encore un peu et le fixa de son regard bleu implorant. Paul lui fit un beau sourire et finit par céder.

Afin de pouvoir partir de bonne heure, Ania était venue dormir au manoir, à la plus grande joie de Paul. Ils passèrent une soirée calme, tous autour du feu. Norbert et Igor partirent fermer les portes, tandis que Paul berçait, sous la lumière tamisée, la petite Anastasia. Le feu crépitait, l’ambiance était à la tendresse. Irina vint reprendre sa fille pour la coucher, laissant Paul et Ania se réchauffer auprès des flammes. Ils restèrent là, un long moment, à se regarder en coin, ne sachant pas quoi dire et Paul finit par se lever pour aller se coucher. Il passa derrière la jeune femme, déposa un baiser sur son front et monta à l’étage. Après avoir fermé la porte de sa chambre, il resta encore un moment, le dos appuyé contre le chambranle.

****

Il n’était pas cinq heures du matin, lorsque Paul réveilla doucement sa secrétaire. Après avoir déposé le plateau du petit-déjeuner sur la table de nuit, il prit place sur le lit. Ania ouvrit doucement les yeux, sortant doucement de ses songes et vit Paul, déjà prêt, habillé et bien coiffé. Elle se redressa et s’appuya contre le montant du lit tout en tirant la couverture à elle. Paul racla sa gorge, cherchant les mots qu’il avait pourtant répétés toute la nuit. Il lui prit la main et la serra contre lui.

—Ania, ne me répondez pas maintenant, mais prenez le temps de réfléchir. Je voudrais que vous acceptiez de m’épouser. Je serai un mari attentif, respectueux et protecteur… Je ne vous obligerez jamais à rien. Prenez, madame, le temps d’y réfléchir. Je m’inclinerai devant votre décision.

Avant même qu’Ania n’ait eu le temps de répondre, il sortit de la chambre, la laissant dans l’embarras.

Un moment plus tard, Ania descendit les escaliers, passa devant le médecin et enfila sa longue cape avant de monter dans le fiacre. Tout le long de la route, ils restèrent pensifs, chacun à regarder par une fenêtre de la voiture. Ania triturait, entre ses doigts, la cordelette qui fermait son manteau. Ils arrivèrent sur place et sortirent à la rencontre de Jean. Attentionné, Paul tenait la main d’Ania, afin qu’elle ne trébuche pas. Beaucoup d’hommes étaient venus prêter mains fortes aux forces de l’ordre. Une vingtaine de chiens aboyaient, attendant avec impatience l’ordre du départ. Il faisait frais et humide. Une nappe de brouillard avait envahi le sous-bois, créant une atmosphère lugubre. Jean arriva et expliqua qu’il avait fait plusieurs groupes qui allaient rabattre l’odieux boucher directement sur eux. Il était nerveux, fébrile rien qu’à l’idée d’y mettre, enfin, la main dessus. Ania remonta le col de sa cape, tout en regardant autour d’elle. Ce lieu ne lui était pas inconnu. C’est là que le monticule d’écorce avait été empilé. Elle reconnu cette étrange grande souche d’arbre. Tandis que les deux hommes discutaient entre eux, quelque chose attira son attention. Curieuse, elle s’approcha sans se rendre compte qu’elle s’éloignait des deux hommes. Cette petite chose avait l’air de vouloir se défaire d’une emprise. Les feuilles mortes se soulevaient puis s’abaissaient. De petits cris aigus et stridents semblaient appeler à l’aide. Puis, la forme s’allongea, se faufilant sous terre pour s’extirper de la mélasse de glaise et d’humus. Ania s’arrêta. Elle s’agenouilla pour voir de quoi il s’agissait. Elle sursauta, une main venait de se poser sur son épaule.

—Ania, je ne veux pas que vous vous éloignez ! dit Paul en la soulevant.

—Il y a une petite bête, juste là, regardez !

—Il y a plein de petites bêtes dans la forêt, Ania. Certainement une souris !

Paul envoya doucement le bout de sa canne dans le tas et une souris partit en courant. Ania eut un fou rire puis saisit le bras du médecin pour le suivre.

Jean donna le coup d’envoi en sifflant très fort par trois fois dans son sifflet. De partout, résonnaient les aboiements joyeux des chiens. Les chasseurs faisaient un vacarme assourdissant, pouvant même réveiller ce maître des ténèbres de son long sommeil. Il grimpa sur un tronc d’arbre pour regarder, avec sa longue-vue, tous mouvements suspects. Une trentaine de ses hommes attendaient, arme à la main. Paul et Ania redescendirent vers le fiacre, loin de l’agitation, mais prêts à soigner quiconque serait blessé. La brume avait l’air de s’intensifier, et les gardes avaient du mal à apercevoir l’horizon.

Les minutes s’écoulaient, les chiens hurlaient toujours, et les rabatteurs criaient. La main de Jean tremblait, l’issue de cette battue ne pouvait qu’être positive. Il avait engagé tant de monde, qu’il ne pouvait que réussir et empêcher cet assassin de poursuivre ses atrocités. Il scrutait les moindres mouvements, le bras levé, prêt à ordonner la mise à mort.

Ania prit place sur un gros rocher et regarda autour d’elle. Le temps paraissait long et interminable. Elle fixa le contrebas, vers la rivière et vit quelque chose se déplacer. Elle se retourna, mais Paul et Jean étaient bien trop occupés par la battue.

Elle se leva et fit quelque pas en fronçant les sourcils. Une silhouette étrange se déplaçait lentement. Elle regarda, encore une fois Paul, mais ce dernier regardait sa montre et ne la voyait pas. Alors, elle prit l’initiative d’aller à la rencontre de cette chose, indescriptible, qui allait se retrouver, sans nul doute, en plein milieu de la traque. Elle contourna un gros arbre, et descendit jusqu’au sentier. Derrière, Paul parlait toujours avec Jean. L’individu se déplaçait, à présent, en direction des forces de l’ordre. Elle lui fit signe de ne pas s’approcher, mais elle était encore bien trop loin.

Soudain, un coup de feu retentit, puis plusieurs détonations. Elle plongea à genoux en se protégeant les oreilles. Elle chercha du regard ce personnage, mais il semblait avoir disparu. Elle se leva, regarda tout autour et le vit passer entre les arbres. Il se dirigeait vers la meute. Un cerf, puis un second suivi d’une harde de biches dévalèrent la pente. Ania se plaqua contre un arbre, effrayée par tout ce vacarme qui n’en finissait plus. Les coups de feu, les sabots sur le sol boueux, les cris des chasseurs, les hurlements des bêtes sauvages, des chiens, le sifflet de Jean, la course-poursuite des policiers. Là, dans cette paisible forêt, se déroulait une terrible guerre qui s’annonçait sanglante.

Ania se laissa tomber au sol, enfouit sa tête entre les genoux, se blottissant contre le bois, son unique refuge. Ses mains tremblaient, tout son corps était tétanisé, elle se sentait perdue. Dans un dernier espoir, elle releva la tête et vit cet étrange personnage se déplacer à une vitesse effrayante, flottant dans les airs. Elle trembla, s’agrippa à l’arbre, ce qu’elle voyait lui glaçait les veines. Il redescendait vers la rivière, traînant derrière lui, feuilles mortes, tout un tas de mousses, plantes et fines branches. Elle se redressa, voulant donner l’alerte. Là, elle en était persuadé, ce n’était pas un être humain. Il s’arrêta net, deux yeux lumineux se figèrent sur elle. Les chiens arrivaient à leur niveau en hurlant. L’individu se dressa et un vent fort se leva brusquement, balayant la poussière en direction des poursuivants. Des tornades de poussière, de terre s’élevèrent vers le ciel. Contre toute attente, les chiens se tapirent au sol. Ania se retourna contre l’arbre, protégeant ses yeux de l’amas d’humus qui retombait sur elle. Un grondement, tel un coup de tonner s’abattit dans la forêt.

Puis, soudain, le calme revint dans la forêt. Les chiens ne bougeaient plus, les chasseurs étaient silencieux et les canons fumaient. Ania se redressa et regarda autour d’elle. L’être étrange s’était volatilisé. Elle contourna son arbre et se figea devant la scène morbide qui se tenait devant elle. Trois chasseurs agonisaient, empalés par des branches d’arbres. Elle fit quelques pas en arrière et trébucha. Paul ne tarda pas à venir et s’arrêta net devant cette scène insoutenable. Les trois chasseurs tenaient encore les laisses des chiens dans une main et leur arme de l’autre. Ils avaient chacun, deux branches plantées dans le torse dont les extrémités semblaient sortir de terre, les tenants en équilibre face au sol. Que s’était-il passé ? Ania poussa un cri déchirant. Paul se précipita sur elle pour l’emmener jusqu’au fiacre, où il sortit de sa mallette un flacon qu’il versa dans la gourde d’eau. Il fit boire la jeune femme, l’entoura de son manteau et la serra contre lui. Placée contre son épaule, il lui caressa son doux visage. Elle gémissait et tremblait comme une feuille dans le vent. Elle bu encore quelques gorgées et s’endormit rapidement contre lui. Il l’installa, alors, délicatement contre le dossier et replia ses jambes sur la banquette.

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