Chapitre 1
La voiture file sur la route qui mène chez mon père. Une immense forêt. Un trou pommé. West Wood, voilà où je m’apprête à passer mon été. On dirait bien que ma mère a finalement trouvé comment se débarrasser de moi, une fois de plus.
La fenêtre ouverte, je soupire en laissant le vent s’engouffrer entre mes doigts.
- Et tu crois qu’il y a le net au moins ?
- Ce n’est jamais que deux mois. Tu verras, il y a pleins de choses à faire dans le coin.
Je retiens un rire. Je ne sais pas pourquoi mais je sens déjà venir l’été pourri. Les longues heures à mourir d’ennui. Est-ce qu’elle a vraiment le droit de m’infliger ce supplice ?
- Et n’oublie pas de me contacter, rappelle-t-elle.
- Parce qu’il y a le téléphone maintenant ?
- Très drôle, ma fille. Sois gentille avec ton père. Tu sais qu’il peut être un peu casanier par moment. Dans son monde… Enfin, tu sais…
- Oui, je sais.
- Ne lui en fait pas voir de toutes les couleurs. La situation est déjà assez compliquée comme ça.
Je soupire en regardant défiler les arbres à travers la fenêtre. Et voila comment on se retrouve à faire les frais d’une situation qu’on n’avait même pas voulu…
- Ca va aller, maman, tenté-je de la rassurer. Tu te fais trop de soucis. Vraiment.
- Tu crois ?
- Sérieusement, j’ai autant de chances qu’il m’arrive quelque chose que de gagner au loto.
Elle rigole.
- D’accord, j’arrête. Mais sois prudente, ok ?
- Si ça peut te rassurer, j’appellerai tous les soirs pour te faire un débriefing complet de ma vie à mourir d’ennui.
Cette fois, je saisie qu’elle a compris. Elle n’ajoute rien.
Trois kilomètres après le panneau qui annonce West Wood, la voiture s’engage sur un sentier en terre sur plusieurs mètres. L’odeur des pins s’infiltre dans l’habitacle. Je remonte mes lunettes de soleil. La maison de mon père se trouve légèrement à l’écart de la ville et l’immense propriété voisine, qui doit bien faires quelques milliers d’hectares.
Je soupire.
- Est-ce que cette ville a toujours été aussi pommée ? lancé-je, sceptique.
- Ce n’est pas aussi isolé que ça en a l’air. Et puis au moindre pépin, tu peux toujours m’appeler.
- Maman…
- C’est une blague, fait-elle en me lançant un clin d’œil. Je sais que tu sauras te débrouiller.
Elle gare la voiture devant la maison à côté de l’énorme pick up de mon père et se penche pour m’embrasser le front.
- On est arrivé ma chérie. Tu prends les valises ?
Je grommèle mais me plie à ses règles. Je crois que je suis tellement crevée que je pourrais m’affaler dans le canapé et m’endormir illico. Ce qui ne m’arrive à peu près… jamais.
Je sors les valises pendant qu’elle touche deux mots à mon père, sur le pallier.
- Bonjour John.
- Salut, Judith. Tu veux entrer ?
- Euh… Non, je ne reste pas longtemps. Je m’assure juste qu’Emma a tout ce qu’il lui faut.
Mon père hoche la tête d’un air entendu avant de récupérer les bagages.
- J’ai fait des pancakes, comme tu les aimes, dit-il. Et je t’ai installée dans la chambre que tu préfères.
- Super papa, merci.
Je le sers dans mes bras. Il a l’air content de me revoir et m’embrasse à son tour les cheveux.
- Bien, alors je pense que je vais y aller, lance ma mère. Emma, ne veille pas trop tard et soit sympa. Pense à ton linge sale et ne fait pas tourner ton père en bourrique.
Elle fait mine de partir, et se retourne une dernière fois, me faisant signe de la main de l’appeler. Oui, oui, maman… Si tu faisais tant de soucis il ne fallait pas te débarrasser de moi !
Le moteur démarre et la voiture disparait sur le sentier.
Pendant ce temps, mon père a rentré les valises et les installe dans ma chambre.
- Christine te passe le bonjour, dit-il. Elle est passée plus tôt dans la journée pour voir si tu étais arrivée.
- Ah ! Avec tout ça je l’ai totalement zappée !
Je me jette aussitôt sur mon portable et consulte mes messages : trois appels en absences et au moins une dizaine de notifications.
J’avais rencontré Christine deux ans plus tôt, au cours du premier été que j’avais passé chez mon père. Un été dont je ne gardais que peu de souvenirs d’ailleurs. Si ce n’est les après-midi passés ensemble chez elle. Il faut dire que ses parents adoraient organiser des fêtes. Rien de tel quand on ne savait comment faire passer le temps.
De : Christine
A : Emma
Je suis passée chez toi mais tu n’étais pas encore là. J’ai hâte de te voir !
Et moi donc. J’avais beau avoir mes amies, j’appréciais toujours sa compagnie. C’était une fille sincère. Puis je crois que j’aimais bien sa voix. Son ton enjoué, sa bonne humeur, sa gentillesse. Son visage angélique attirait souvent les regards : on ne passait jamais inaperçu en soirée, à ses côtés. Mais en dépits des apparences, elle était plutôt du genre réservé.
De : Emma
A : Christine
Je viens d’arriver. Tu passes ce soir ?
- Si tu as besoin de moi, je suis dans le salon. Ah, et tu as des pancakes dans la cuisine.
Il disparait tandis que je m’affale sur mon lit. Le matelas rebondit, les draps sentent les cerisiers, mon parfum préféré. Je laisse ma tête s’enfoncer dans l’oreiller en songeant à Davon. Emily me tuerait si elle savait qu’il m’a adressé la parole à la dernière soirée. Pas grand-chose. Juste pour savoir si je voulais venir avec eux à la soirée de Matt. Malheureusement, j’avais dû refuser par amour pour mon cher papa qui passait les siennes seul à Nulepart City.
Davon, c’est un peu le gars sur lequel louchent toutes les filles du lycée. Un mètre quatre-vingt de perfection. Le genre de mec qu’on ne touche que du regard. Des yeux sombres, un air cool. Un garçon qui aurait probablement plu aux parents de Christine. Et qui plaisait à Emily…
Il valait mieux que je passe sous silence ma dernière soirée à Springfield.
Mon portable vibre. Nouveau message.
De : Christine
A : Emma
Je passe te chercher à 19h. Prépare-toi !
Ce qui me laisse le temps pour une bonne sieste… et des pancakes. Mon père sait toujours comment m’acheter quand il le veut. Sans me faire prier, je roule sous les draps et glisse dans le sommeil.
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