Journal de Kizuna ▬ Acte 02
Cher Journal,
Je suis retournée travailler au Temple. Cette fois encore Umejo attendait près du prunier. Elle m’a souri, et nous avons donc repris l’apprentissage des danses rituelles. J’ai toujours trouvé ces-dernières belles, mais j’ignorais leur portée religieuse. Elles existent pour honorer les dieux, mais surtout, pour chasser les mauvais esprits.
C’est étrange. Chaque soir après les cours, lorsque je viens travailler, je me sens sereine près d’Umejo. Comme si nous avions toujours été ensemble. C’est un sentiment de plénitude, et un attachement aussi soudain qu’inexplicable. Je connais Kaori depuis l’enfance. Notre complicité me semble tout à fait normale. Mais avec Umejo… C’est une fleur éclatante, là où je ne suis qu’un bourgeon en éveil. Je la côtoie depuis si peu de temps : comment est-ce possible ? Je suis fascinée par ces émotions, et je ne souhaite pas les raisonner.
Pourtant, je ne suis pas aveugle ni crédule.
Hier, j’ai voulu demander au prêtre s’il avait une femme, ou une sœur, qui travaillait au Temple. La curiosité de savoir où elle habitait. Apprendre un peu sur sa vie, sans qu’elle ne puisse habilement détourner la discussion. De plus, j’ai la sensation que de la questionner directement la peinerait. Le prêtre me regarda étrangement. Il est fils unique et célibataire. Je fus surprise, prise de cours. Ce n’était pas un mensonge, comme pour nier une existence gênante. Non, c’était une réaction sincère, car il était bien trop étonné pour mentir. Mais dans ce cas : qui est Umejo ?
Je voulus lui poser directement la question. Mais le soleil se couchait et je devais rentrer. Je n’avais toujours pas osé évoquer le sujet. Honnêtement, je pensais ne jamais obtenir réponse. Mais le destin ne l’entendit point de cette oreille. Alors que je partais, je me rendis compte de l’absence de mes gants. Je fis un rapide passage au vestiaire, mais curieuse, j’avais été jeter un regard au prunier en fleur.
L’air était lourd. Comme si les ombres me captureraient si j’avançais encore d’un pas. Derrière le sombre tronc, une forme noirâtre se mouva. Un grand œil luisait en son centre. Le vent mauvais. L’odeur, habituellement entêtante, me donnait envie de vomir. Je sentis mon cœur défaillir. Mes jambes cédèrent sous l’influence de la peur. Tremblante, je vis la masse se rapprocher.
J’éprouvais une terreur jusqu’ici inconnue. Les yokais existeraient ? Je pensais qu’ils incarnaient des légendes ! Des inventions pour expliquer l’inexplicable ! J’avais tort.
Je crus ma fin arrivée. Je crus disparaître.
Un parfum, le sien, envahit la zone putride. Là, devant moi, celle qui avait capturé mon attention me protégeait. Je ne voyais que son dos, alors que les manches de son kimono claquaient dans le vent. L’odeur des fleurs de prunier me fit tourner la tête, tout en apaisant mon cœur maltraité par l’adrénaline.
Je ne comprenais pas ses mots. Sa voix m’évoquait un chant. Du japonais ancien, parsemé d’une touche d’outre-tombe. Le son repoussa l’esprit, les effluves purifièrent les lieux. La nuit redevint reine, pendant que le vent faisait voler les pétales blancs. Je restais statufiée face à celle dont je devinais enfin la nature. Mais, je n’avais pas peur : je n’avais plus peur. Pourquoi éprouver un sentiment d’inconfort, alors qu’elle venait de me sauver ?
Umejo no Minami... L’esprit protecteur du Temple. La protectrice du dieu honoré en ces lieux.
Pourtant, les larmes ruisselèrent sur mes joues, et je vis briller de la crainte dans son regard. Était-ce de l’inquiétude ? Les mots qu’elle murmura, avant de disparaître dans une gerbe fleurie, me laissaient croire que oui.
Mais je ne veux pas abandonner : je souhaite la revoir. J’aimerais la remercier. Comprendre pourquoi elle s’est montrée à moi. Tant de choses, d’excuses. Pourtant, au fond, je désirais surtout l’attraper : pour me blottir contre elle.
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