Cher Journal,

Qui aurait pu prévoir que trois jours puissent devenir une éternité ? Impossible de la retrouver. Le désir de comprendre me déchirait le cœur. J’avais envie de la voir et de la rassurer. Son regard triste quand elle m’a sauvé hante mes nuits. Pourquoi a-t-elle senti le besoin de me fuir, de se cacher ? Car je sais désormais ce qu’elle est ? J’ai des doutes sur la réponse, et quand on ignore quelque chose : on se renseigne ! Du moins, c’est ce que me dit toujours Kaori quand on se fait des quizz de culture générale.

La bibliothèque la plus fournie de la ville, c’est celle de mon université. Alors, je m’y suis rendu à chaque temps libre. J’ai épluché un grand nombre de recueils : même le dictionnaire des yokais. Si ce n’est pas une preuve de mon désespoir. Néanmoins, rien. Jusqu’à ce que je trouve LE livre.

Sa couverture avait trahit son âge avancé. L’ouvrage est entièrement fait de papier de riz. Clairement, je peux le dater — à vue de nez — comme ayant été rédigé à l’ère Edo. Relié par de la paille, il avait dû être récemment rénové. Le parchemin était si fin entre mes doigts. Je ne comprends vraiment pas comment j’avais put le manquer durant mes recherches. Il a tout d’une antiquité !

Curieuse, j’ai pris le temps de le feuilleter. Son contenu m’a interpellé. Le japonais n’était pas le même que celui qu’on emploie aujourd’hui. Une forme ancienne de notre langue y était écrite, et je dus me souvenir de mes cours sur l’époque du Sengoku-Jidai pour traduire l’ensemble.

Petit à petit, la surprise s’immisçait en moi. Cette œuvre était un Kaidan. Un recueil de légendes locales, que plusieurs auteurs avaient complétées au fil des siècles. La dernière histoire m’attira tout particulièrement : le récit du « Prunier maudit ».
Un petit détour dans la section histoire, et je trouvais une concordance entre les différentes cartes régionales. Aucun doute : l’arbre maudit est celui de Minamiji.

Honnêtement, j’ai eu un peu peur de lire plus loin. Dès que mon regard se posait sur les calligraphies, un mot m’interpellait. Une information en appelant une autre, j’ai fini par prendre sur moi de retranscrire la légende. Mon enseignante en langue ancienne a dû être étonnée de mon zèle à ses cours et face aux questions dont je l’ai assaillie par courriel !

Plus j’avançais dans mon œuvre, plus je comprenais ce qui m’échappait jusqu’ici. Umejo ne m’évitait pas par peur de mon jugement. Non, elle fuyait notre lien karmique, et sa finalité annoncée. Son éloignement, c’était pour me protéger. Pour ne pas permettre à l’histoire de se réitérer.

Tu me connais, Journal. Je ne peux tolérer ce sacrifice ! Et puis, je suis assez grande pour prendre seule mes décisions. En mon âme et conscience, je dirais même. Je me doutais que son regard était trop triste, trop doux, pour qu’elle choisisse de m’abandonner avec froideur. Comment pourrais-je la laisser dans ses craintes ?

Pour une fois, je m’octroie le droit d’être égoïste. Demain, je la forcerais à apparaître.

Je trouverais le bon moment, car à présent, je sais ce qui pose problème. Et puis, je ne dois plus me mentir. Moi qui ne crois pas dans le « grand Amour », ou les « coups de foudre », j’ai compris l’évidence. Je l’aime.

Je l’ai rencontré récemment, mais je ne me vois pas vivre sans elle. Et ça, je souhaite qu’elle l’apprenne.