Chapitre 29
Désolée pour hier, en fait je viens d'emménager dans un nouvel appart et on aura pas de connexion internet avant la fin de la semaine. Mais mon génial cerveau a trouvé une solution, vous inquiétez pas. 8D
La nuit suivante, le chasseur fut heureux de retrouver la licorne dans son rêve. Assise dans un écrin de verdure, au milieu des effluves entêtantes d'une roseraie à l'abandon, elle le regardait venir à lui. Des ombres effrayées dansaient dans ses iris dorés.
– N'aie crainte, dit-il lorsqu'il parvint à sa hauteur.
Il se pencha vers elle tandis qu'elle levait la tête ; elle lui parut soudain minuscule, perdue dans son ombre étirée par la lune.
– N'aie pas peur, répéta-t-il. Tout va bien. Regarde.
Mû par un instinct étrange, il tendit une main vers elle. Elle se crispa et se leva d'un bond ; les poils de son échine étaient tout hérissés.
– C'est bon ! rétorqua-t-elle en se tenant à bonne distance. Ne me touche pas.
– Mais je…
– Ne me touche pas, insista-t-elle, venimeuse.
Alban laissa retomber son bras, le cœur soudain pris d'une émotion trop forte pour lui.
– Je…
La licorne étrange, qui se tenait sur deux pattes et croisait les bras avec l'attitude dédaigneuse d'une femme déçue, le fixait sans mot dire.
– Je ne voulais pas…
Il cligna lentement des paupières en essayant de terminer sa phrase, mais il en était incapable. Les mots restaient coincés dans sa gorge. Ils s'y entassaient désespérément. Suffocant, le chasseur serra les poings.
– Je…
Les muscles de son dos se tendirent, contractés par une frustration terrible. Alban, étouffé par ces phrases si simples qu'il ne parvenait pas à dire, avait l'impression détestable d'avoir quinze ans.
– Je voulais te dire…
C'était peine perdue.
Iluth, guère habituée à un tel manque de verve, le toisait comme s'il n'était qu'une mouche écrasée sur son chemin.
– Je ne voulais pas qu'il t'arrive ça, réussit-il à dire très vite. Je voulais que tu te perdes et que tu chouines comme tu fais toujours. Pour que tu restes bien près de moi la prochaine fois. C'est de ma faute. Je ne voulais pas… Pardonne-moi.
Les mots étaient enfin sortis. Il les avait crachés, jetés comme des lames. Il n'aimait pas reconnaître ses torts, il n'aimait pas les excuses et les excuses, en retour, le détestaient cordialement. Mais ce visage… Ce masque détruit, imbibé de sang, et cette corne fracturée hantaient son esprit.
Il ravala l'énorme boule chaude qui grossissait dans sa gorge, au rythme de son souffle, avant de hausser les épaules avec une nonchalance feinte.
– C'est de ma faute, répéta-t-il et ces mots haïs firent flamber la colère en lui. Je ne te toucherai plus, d'accord.
Il n'avait jamais été aussi terrifié qu'à cet instant où Iluth, agonisante sur la mousse de la forêt, lui était apparue entre les arbres. Cet instant crucial où il avait – enfin – réalisé que la bestiole avait pris une place monstrueuse dans sa vie. Elle s'était incrustée dans son esprit, puis dans son cœur, comme un parasite adorable et facétieux ; et lui, impuissant, était désormais incapable de l'en chasser.
Devant lui, tête levée pour soutenir son regard, lluth grommela quelque chose d'inintelligible dans sa barbiche bouclée. Puis elle traversa la distance qui les séparait en trois bonds de cabri, avant de se hisser sur la pointe de ses sabots fourchus pour venir lui poser ses mains sur les joues.
Souffle coupé, Alban ne put détourner les yeux ; les prunelles de la licorne étaient plantées dans les siennes comme deux épingles mortelles.
– Ecoute-moi bien, espèce d'imbécile de sapajou laid comme un pou ! Ce n'est pas toi qui m'a infligé ça. Ce n'est pas de ta faute !
Elle tenta de le secouer comme un prunier mais Alban, trois fois plus lourd qu'elle, ne bougea pas d'un pouce.
– Tu comprends ça ? martela-t-elle en lâchant son visage brûlé et en pointant un doigt accusateur vers son torse. Je serais morte dans cette forêt si tu n'étais pas venu me ramasser comme une charogne. Je suis une licorne, pas un bébé ni la prunelle de tes yeux, tu n'as pas à me surveiller en permanence ni à te flageller dès que je tombe sur trois chapons tordus ! Alors maintenant, tu arrêtes tes simagrées et tu cesses de te penser coupable parce que c'est à cause de ça, et seulement de ça, que tu m'as fait sauter la figure la dernière fois !
Il y eut un silence.
– T'as compris ? souffla-t-elle comme un bœuf furieux.
Il hocha la tête sans mot dire, stupéfait que son propre esprit reste coi face à cette femelle rabatteuse de caquet.
– Vraiment ? reprit-elle. On va bien voir !
Mâchoires serrées, elle saisit la main d'Alban dans sa petite paume poilue et, les yeux toujours plantés dans les siens, amena lentement son index contre son front.
Centimètre par centimètre.
La peau de l'homme toucha la sienne, juste sous la corne d'emprunt que son inconscient tenait tant à lui donner.
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