Chapitre 40
Salutations 8D Je vous annonce officiellement que nous en sommes au 40e chapitre de cette histoire (que je comptais expédier en une vingtaine de pages au début...) et que vous avez donc déjà passé 2 heures et 40 minutes de votre vie à lire les péripéties d'Iluth et Alban !
PS. J'en profite pour vous remercier de vos suivis et de vos avis toujours encourageants et très souvent constructifs !
PPS. Pas la peine de me demander combien de chapitres il reste (je ne vise personne, bien sûr), JE N'EN SAIS RIEN ! Je connais juste la fin et les principales étapes qui y mèneront ;)
Le soir même, lorsqu'Alban rentra après ses heures de chasse quotidiennes, Iluth eut la surprise de le voir rassembler ses affaires. Il empaqueta du pain et des fruits séchés dans des baluchons de draps, puis roula deux épaisses couvertures et les ficela adroitement. D'un œil perplexe, Iluth l'observa aller chercher les trois vitraux sur le coffre avant de les glisser entre les couches de tissu rugueux.
– Je ne sais pas où tu vas comme ça, mais ces choses vont sûrement te gêner et cela m'étonnerait qu'elles te soient utiles.
Il haussa un sourcil insolent, sans même lever les yeux vers elle.
– Là où je vais, tu vas aussi. Et pour une fois, tu as raison : ces choses vont me gêner, mais il est hors de question que je m'en sépare.
– D'accord, mais là, tu me dois une explication. Et même deux ! grogna Iluth. Où va-t-on et pourquoi ?
– Il y a un dragon qui sévit à l'autre bout du pays. Ça fait des mois que ces imbéciles de soldats et de chasseurs de prime essaient de le défaire, espérant vendre sa peau et ses bourses, mais pour l'instant c'est la bête qui les castre et les écorche. Le baron de la cité en a assez de ces incompétents, il a décidé de faire appel à moi.
– En offrant une coquette somme, je suppose.
– Evidemment, tu crois que je fais dans la charité ? Nous avons au moins deux semaines de voyage avant d'y arriver, rien que pour ça, il avait intérêt à mettre la main à la poche. J'ai reçu sa missive aujourd'hui. Il y a au moins trois ans que personne ne m'a proposé autant, alors lève ta croupe de ce lit et rends-toi utile, pour une fois !
– Je rêve où tu viens de dire "pour une fois" ? grinça la licorne en sautant sur le plancher.
– Commence pas, tu as très bien compris.
Il saisit trois énormes paquetages et les lui ficela sur le dos en quelques gestes précis, à l'aide d'une ceinture et d'une grosse corde.
– Prends ça, ça, et aussi ça.
– C'est lourd ! gémit Iluth. Pourquoi dois-je porter autant de choses alors que je suis bien moins forte que toi ?
– Les canassons, c'est fait pour ça ! N'espère pas que je te nourrisse à rien faire.
– Cette vieille corde me laboure le ventre !
– Avec un peu de chance, ça te fera mincir ! rétorqua-t-il dans une œillade évocatrice. Tu fais du gras dans cette chambre depuis des semaines. Cesse de gâcher ta salive, ça ne sert à rien de pleurnicher avant d'avoir mal !
– Mais j'ai déjà mal !
Il éclata d'un grand rire et chargea les derniers paquets sur ses propres épaules, suivis de l'énorme rouleau de couvertures. Puis il attrapa d'un bras l'arc immense qui prenait la poussière contre le mur, ce qui surprit Iluth. Elle ne l'avait jamais vu ne serait-ce que lui jeter un œil. Il l'accrocha en travers de son dos, sur le pommeau de son épée.
– Attends d'avoir marché trois jours, tu comprendras ce qu'est la véritable douleur !
Il ouvrit la porte à la volée et s'engouffra dans l'escalier, bousculant une ou deux putains au passage. Du moins, c'est ce qu'en déduisit Iluth qui entendit leurs cris d'orfraie.
– Dépêche-toi donc, corniaude de licorne ! Les dragons, ça n'attend pas !
La licorne trottina à sa suite, ses yeux d'or pleins de curiosité, gagnée par son enthousiasme contagieux.
– Je t'ai rarement vu aussi heureux, lança-t-elle par-dessus les bruits sourds de son pas qui faisait craquer les marches.
– C'est l'appât du gain. Et celui du combat aussi ! Ça fait trop longtemps que je n'ai pas tué de démon, je commence à perdre la main.
– Charmant, grogna la succube soudain moins enjouée.
Ils franchirent la porte du bordel sous les rires des filles accoudées au comptoir. La lumière étincelante du jour transcenda leurs deux silhouettes un instant, avant de les avaler dans son écrin blanc.
C'est ainsi que leur longue marche commença.
Les murailles de la ville laissèrent place aux bourgs, puis aux fermes. Le vent des montagnes chassa la puanteur des rues, qui était restée incrustée dans leurs narines comme une crasse tenace. Sous leurs pieds, la route pavée redevint simple lacet de terre marqué par les sabots lourds des bœufs. La forêt laissa la place aux champs, puis aux prés tristes et gris. Iluth fut surprise de constater à quel point l'herbe était terne, déjà froide sous le manteau du tout jeune hiver ; la terre sableuse se creusait de leurs empreintes, humide sous le poids des feuilles mortes déjà presque pourries.
Dès la deuxième heure, la licorne eut mal aux jarrets.
Dès la troisième, ses sabots fourchus la firent souffrir également.
La quatrième et la cinquième ne furent que supplice. Son dos, démusclé par le manque d'activité des trois mois précédents, commença à se creuser lentement sous le poids de son chargement. La corde qui le maintenait en place lui cisaillait le ventre et les côtes. Elle réussit à tenir encore presque une heure, aussi vaillamment que possible, la nuque raide et le regard fixé sur le dos d'Alban, devant elle, qui ouvrait la voie d'un pas toujours aussi puissant.
Puis elle trébucha une énième fois, le sabot pris entre deux pierres fourbes, et ne parvint pas à se relever.
– Alban !
Il se retourna vers elle à contrecœur, le visage imperturbable.
– Déjà ? dit-il seulement.
– Ne te moque pas de moi ! répliqua Iluth d'une voix blanchie par l'épuisement. La nuit tombe. Il est plus que temps de s'arrêter !
– Et si nous voyagions de nuit ?
– Par ma barbiche, alors tu n'as qu'à me porter sur tes épaules avec le reste, si tu tiens tant à aller plus vite !
– Lève-toi, on ne peut pas s'arrêter ici, au beau milieu de la route. Encore une heure et on s'arrêtera pour la nuit.
– Je ne peux pas me relever, gémit-elle en fermant les paupières. Je ne sens même plus mes jambes. Et ta satanée corde est en train de me couper en deux !
Il s'approcha à grand pas et s'accroupit au dessus d'elle, soufflant de dédain. Parfois cette femelle lui semblait aussi proche qu'une sœur ; parfois au contraire il la méprisait si fort, poussé par la rancœur qui ressurgissait en lui, qu'il s'étonnait de ne pas l'abandonner derrière lui.
– Cesse d'exagérer ainsi, tu passes ta vie à te plaindre !
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