Chapitre 78

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[attention ELLIPSE]

Ils étaient à nouveau face à face.

C'était comme s'ils avaient vécu cette scène des milliers de fois, encore et encore, jusqu'à la connaître par cœur ; mais jamais Alban n'avait eu peur de toucher cette fille à ce point.

Les centaines d'aiguillons qui hérissaient tout son dos et son ventre, comme une armure de hérisson, perçaient sa chair et se succédaient par vagues houleuses, naissant et mourant tour à tour au travers de son corps boursouflé.

– Alban.

Mais la voix était la même. Ce n'était pas celle d'un monstre, c'était celle d'Iluth. Elle était douce, patiente… si posée, alors même qu'Alban dérivait dans les affres d'une folie délirante. Et son visage… il était si familier, si tendre. Ces grands yeux de chouette emplis d'inquiétude, ces épais sourcils tressaillant au rythme de ses émotions, ces joues rondes qu'il imaginait soyeuses sous la caresse de sa main, malgré une peau pâle et grêlée de marques disgracieuses, il les connaissait si bien... Cela faisait si longtemps qu'il avait envie de la serrer contre lui, de tout oublier dans ses bras. L'espace d'un instant, en une nuit bien plus froide que celle-ci, il avait même failli goûter à ses lèvres.

Mais ce qui s'était passé ensuite avait tout réduit à néant. Et maintenant… ces épines monstrueuses. Il était incapable de passer outre. Cela aurait signifié être percé de toutes parts, profondément, jusqu'à son cœur qui finirait empalé sur Iluth. Une métaphore qu'il ne saisissait que trop bien.

– Alban. Calme-toi. Ce n'est que moi. Que moi. Je ne te veux pas de mal.

Elle s'approcha un peu. Il recula instinctivement, répugné par les dards qui ondulaient sur sa peau nue.

– Alban... Stupide mâle. Est-ce que tu te souviens seulement de cette fois où nous avons été si proches ? J'étais dans tes bras et tu étais dans les miens.

Bien sûr qu'il s'en souvenait. Il s'en souvenait beaucoup trop bien.

Pas après pas, elle conquérait lentement l'espace qui les séparait, les mains levées, veillant à ne pas faire de gestes brusques. Alban ferma les paupières, l'esprit nauséeux, incapable de faire la part des choses. Depuis quand était-ce lui la bête, l'animal à apprivoiser ? Depuis quand Iluth lui parlait-elle de manière si tendre, elle qui n'était que raillerie chaque jour ?

– Et pourtant tu es encore là. Je ne t'ai pas fait de mal. Ce fut même plutôt l'inverse…. Peut-être est-ce à moi de craindre tes épines ? Elles sont invisibles, mais je les ai senties me blesser plus souvent qu'à mon tour.

Elle ouvrait les bras lorsqu'il se déroba in extremis, esquivant son étreinte mortelle.

Mais derrière lui l'attendait une autre Iluth.

Celle-ci, il la connaissait également. Ce n'était pas la première fois qu'elle venait lui sourire ainsi. C'était elle, sans être tout à fait elle ; son visage était plus gracieux, sa peau semblait plus douce et ses jambes plus longues, sa démarche souple et séduisante. Elle était dépourvue d'épines. Elle était toujours dépourvue d'épines. Elle n'était qu'oubli, tendresse et sensualité, là où l'Iluth pataude face à lui se révélait piège monstrueux.

Alban ferma les paupières, déchiré.

C'était ce qu'elle était. Un piège. Cet être connaissait trop bien son passé, ses peurs et ses effrois, ses colères et ses défauts. Il détestait cette sensation d'être perçu tel qu'il était derrière son masque. Iluth était tout ce qui lui déplaisait en les femmes et en le genre humain : bavarde, railleuse, mesquine, jalouse, dépourvue d'empathie et de jugeote, mis à part pour blesser son prochain ou parvenir à ses fins.

Et par-dessus tout, elle n'était pas humaine. Mais il l'aimait tant !

Un frôlement interrompit le cours chaotique de ses pensées. L'Iluth gracieuse et timidement souriante venait d'effleurer son bras, toujours sans dire un mot. Il l'observa, ne sachant à quel saint se vouer, prêt à se damner pour elle. Ces deux femmes étaient si… si méprisables, détestables et adorables à la fois.

– Pourquoi est-ce que c'est elle que tu regardes toujours ? maugréa l'Iluth venimeuse derrière lui.

Mais il ne lui prêta pas attention. L'autre lui sourit à nouveau et ouvrit doucement les bras à son attention. Elle était si proche ! Douce créature dépourvue des piquants de la véritable Iluth, de son caractère de cochon, de ses sempiternelles maladresses et de sa gouaille ravageuse.

– Je te parle, tu pourrais au moins faire l'effort de me regarder.

Et de sa jalousie. Et de tant d'autres choses encore… Une Iluth parfaite.

Il céda dans un souffle et fit un pas vers la jumelle silencieuse. Elle l'entoura de ses bras et son petit corps nu se pressa contre le sien. Un grand désordre se manifesta immédiatement dans la cervelle d'Alban. Il se tendit de tous ses muscles.

– Allez-y, frottez-vous l'un à l'autre, je ne dirai rien ! glapissait toujours l'hérisson derrière eux. Pourquoi est-ce que ta maudite cervelle a inventé cette pâle copie ? Elle ne fait que refléter le génie qui émane de ma personne, sans parvenir à le reproduire !

Une minuscule parcelle de l'esprit d'Alban sursauta et comprit que son acolyte se lançait dans l'humour en désespoir de cause, afin d'attirer son attention ; mais il était trop tard. Tout le reste de sa tête, et son corps avec lui, s'adonnait déjà aux délices de l'étreinte de la deuxième Iluth. Il enfouit le visage dans sa chevelure longue et hirsute, posant le menton sur son épaule osseuse. Elle lui caressa doucement la nuque et les cheveux d'Alban se hérissèrent sous ce geste aussi tendre qu'intime. Sa cervelle lui hurlait de s'enfuir au loin, ses tripes se nouaient d'angoisse, alors même que tout son être n'aspirait qu'à céder. Il aurait pu rester dans ces bras-là des heures. Il aurait peut-être même pu s'y endormir sereinement ; enfin, si son entrejambe n'avait pas commencé à se tendre de manière plus que gênante.

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