Anne se dérobe
Le lendemain, il faisait très beau. Anne apparut au petit déjeuner avec le même tailleur que la veille. Ils se saluèrent comme de vieux camarades et elle l’invita à prendre le petit déjeuner avec ses comparses . Elle avait mis dans ses cheveux une barrette d’argent qu’il lui avait offert peu après leur rencontre. La conversation à bâtons rompus fut des plus agréables et les deux autres prouvèrent qu’ils valaient peut-être mieux que le rôle qu’on leur faisait jouer. Bien entendu, ils se gardèrent bien de faire allusion à leur conversation de la veille. Tout était clair et le reste n’était plus qu’une question de patience. Anne parla de sa fille qui ne songeait pas au mariage et montrait de réels talents artistiques.
Il n’accorda qu’une attention limitée au conférencier mais réussit à sauver les apparences. Il consulta discrètement son Iphone mais l’ Entreprise restait muette. Son instinct lui disait qu’il se passait des choses pendant son absence mais pour rien au monde il n’aurait appelé lui-même. Il n’y avait pas à s’inquiéter. Au moindre coup fourré Régis le préviendrait. Les amis étaient faits pour ça.
Pour le déjeuner, le hasard lui accorda des voisins de table nettement moins intéressants. Il vit de loin Anne en compagnie de trois hommes dont le petit japonais qui paraissait fort intéressé par sa voisine. Le portable vibra au moment où il s’apprêtait à prendre le café. Il se réfugia sur la terrasse. Le message de son hiérarchique affichait sa sobriété habituelle.
« Toujours R.A.S pour l’instant. Bon séjour. »
Il eut aussi la surprise de trouver un message vocal de sa femme , ce qui arrivait rarement.
« Je pars pour une sortie entre filles. Je ne sais pas à quelle heure je rentrerai. Bises »
Son monde habituel lui envoyait des signes. Encore une journée de patience et tout reprendrait sa place.
Il rejoignit l’amphithéâtre avec l’esprit léger et les idées plus claires, prêt à toutes les indulgences pour le conférencier. Contrairement à ce que laissait supposer le thème, celui-ci parvint à capter l’attention générale. Pour la première fois, il prit sérieusement des notes. Anne s’éclipsa rapidement tandis que ses acolytes le saluaient de loin. Il eut un instant la tentation de surveiller ceux qui pourraient éventuellement la rejoindre puis se maudit de sa stupidité. Les vieux fantômes avaient la vie dure.
Il se promena longuement dans les allées en attendant le dîner, essayant en vain de retrouver les émotions de la veille. Dans un soleil couchant de carte postale, il n’y avait pas de place pour les rêves et les souvenirs. Il but distraitement un verre au bar, croisa le petit japonais en grande conversation et l’homme nerveux qui relisait ses notes. Les lampadaires s’allumaient, les statues montaient la garde figées dans leurs postures ridicules. L’endroit était toujours aussi lugubre mais avait perdu son mystère.
Il éprouva un certain plaisir en découvrant des nouveaux voisins de table. Ce soir-là, il eut la surprise de voir à côté de lui le sosie d’acteur américain. Contrairement à sa première impression, l’homme se révéla agréable et cultivé, moins obsédé qu’il n’y paraissait par une situation professionnelle délicate. Il lui expliqua qu’Anne préférait prendre un repas dans sa chambre et regarder sa série télévisée favorite.
Victor fit preuve de l’intérêt poli qui s’imposait et lui offrit un verre. Un espagnol et un hongrois aussi bavards l’un que l’autre complétaient la table et se révélèrent de joyeux compagnons. Lorsqu’il rejoignit sa chambre, il se sentait baigné par une certaine euphorie. Si la dernière journée était à l’image de celle-ci, il ne regretterait pas son bref séjour.
.
Annotations
Versions