nouveau départ???
Le battement sourd de la pluie sur les vitres le réveilla. Le parc était noyé de grisaille. Il se prépara avec un soin tout particulier après avoir vérifié qu’il n’avait reçu aucun message. Il se sentait d’humeur paisible. Aujourd’hui, Anne et lui se salueraient courtoisement, justifieraient leur présence et écoutant les derniers conférenciers. Ensuite, le vent balaierait les rêves et ils se quitteraient en bons termes. Plus tard, certainement, il revivrait la parenthèse tchèque comme un clin d’œil du destin paré de toutes les couleurs de la nostalgie. C’était aussi simple que ça.
L’hôtel semblait engourdi par la pluie à l’image de ceux qui entraient un à un dans l’amphithéâtre, peu motivés s’ils l’avaient jamais été. L’intervenant du matin s’avéra particulièrement insipide et le repas qui suivit avait des allures de veillée funèbre. Anne fit mine de ne pas le voir et il se garda bien de s’approcher.
La dernière conférence fut de loin la plus intéressante. Il avait entendu parler de la jeune femme blonde aux yeux de chatte. Spécialiste des réductions d’effectifs, les multinationales et les sociétés pudiquement qualifiées « d’entreprises en difficulté » se la disputaient. Celle qu’on surnommait « la Tueuse » obtenait toujours des résultats spectaculaires. Ce fut la seule qu’il suivit avec une véritable attention. Il reconnut la plupart de ses méthodes et se sentit rassuré. L’Entreprise n’avait aucune raison d’aller la chercher.
Anne était toujours entourée de ceux qu’il n’arrivait plus à considérer comme des crétins. Elle ne prenait aucune note mais il connaissait sa formidable capacité de mémorisation. Comment allaient se passer les inévitables adieux ?
La Tueuse fut applaudie et son sourire angélique récompensa l’assistance qui pensait déjà au départ.
Le moment était venu. Alors qu’il cherchait un moyen de l’aborder, ce fut elle qui vint vers lui et il put à nouveau respirer son parfum.
— Tu m’offre un dernier verre pour fêter la fin de ce passionnant séminaire?
— Tu as raison. Laissons sur le seuil la poussière du chemin, comme il est dit dans les Écritures.
Ils s’installèrent face à la fenêtre. Dehors tout était encore brillant de pluie mais le soleil en déclin se faufilait entre les nuages.
— Si nous nous revoyons un jour, ce ne sera pas à Marienbad.
— Á Deauville peut-être ?
Ils trinquèrent en riant.
Ils étaient presque seuls au bar. Victor avait l’impression que le temps effectuait spécialement pour eux une nouvelle boucle.
— Tu ne m’en veux pas trop ?
— Pourquoi ?
— Pour t’avoir envoyé balader comme le dragueur minable que tu n’as jamais été. Et surtout, merci de ne pas avoir insisté, tu m’aurais vraiment déçue. Si ça peut te rassurer, personne n’est venu me rejoindre dans ma chambre. Je veux plus être le coup d’un soir.
Ils regardèrent la pluie qui revenait, noyant le parc de mystère.
— Ne me surestime pas trop. Je ne suis pas un saint et tu es encore plus belle que dans mes souvenirs.
— Tu n’as jamais trompé ta femme ?
— Non.
— Et elle ?
— Non… En réalité, je n’en sais rien. Elle a toujours eu des côtés très secrets. Dans un couple on ne vit l’un avec l’autre que quelques heures par jour si on ne compte pas le temps passé à dormir.
— Dormir… Pas forcément. Souviens-toi de notre dernière nuit à Deauville.
— Tu avais déjà pris ta décision. Tu savais que tu allais me quitter.
— Oui, pour toutes les raisons que je t’ai dite.
— Je peux te prendre la main comme autrefois ?
— Á tes risques et périls ! Moi, je suis libre et toi marié à une femme fidèle. C’est pourquoi, si tu oubliais le numéro de ma chambre, je ne t’en voudrais pas.
Victor sentit une vague de chaleur envahir son corps et son esprit.
— Tu veux dire que …
— Je veux dire que…
— Je ne comprends pas.
— Parce que tu as encore beaucoup à apprendre sur les femmes , mon chéri. Hier soir, j’ai visionné ce film dont tu m’as tant parlé. Je veux savoir si le destin s’ amuse à brouiller les cartes et à revenir en arrière.
Les deux acolytes étaient assis à quelques fauteuils de là en faisant semblant de regarder ailleurs.
— Tu peux aussi considérer que je veux juste un petit rappel du passé ou que j’aime bien baiser dans un décor luxueux… Fais ton choix ! On pourrait aussi dîner dans ma chambre. Ils ont l’habitude et la discrétion.
Il retrouva dans son regard la petite étincelle qu’il avait tant aimé autrefois. Tout fut oublié. Son Iphone silencieux, la séparation du lendemain, l’Entreprise et la journée entre filles de sa femme. Une fois de plus, le temps se refermait sur Marienbad.
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