Retour au bercail

5 minutes de lecture

Le ciel gris accentuait l’impression de tristesse. Le rituel des échanges de cartes continuait alors que les premiers autobus se garaient au pied du grand escalier. Les groupes se constituaient et se défaisaient une dernière fois . Comme prévu, l’homme nerveux et le japonais étaient les plus actifs.

Victor avait fait honneur au petit déjeuner. Il regarda une dernière fois le labyrinthe qui n’avait plus rien à lui dire.

— Tu te souviens du vieux marin ?

Anne était derrière lui, son sacs de voyage à la main. Ses deux acolytes attendaient un peu en retrait.

— Je suis sûr qu’il avait tout compris.

Ils regardèrent une dernière fois l’hôtel.

— Nous aurons au moins connu cet endroit. Je suppose que tu as des cartes à échanger ?

— Mes crétins s’en chargent, comme d’habitude.

Elle le regarda en secouant la tête d’un air navré.

— Je te vois venir. Tu es encore dans ton rêve et tu imagines qu’entre nous tout peut recommencer à cause d’une nuit d’amour, qui fut très réussie, je te l’accorde.

Victor regarda autour de lui pour s’assurer que personne n’avait entendu.

Anne rangea soigneusement son sac parmi les autres.

— C’est bien joli de rêver mais pour commencer ou recommencer quelque chose il faut être deux et je ne suis pas sûre de le vouloir.

Le moteur des autobus accompagnait en sourdine les salutations et le promesses de rester en contact.

— Il y a une chose dont je suis sûre. Il n’est pas question que je refasse deux fois la même erreur. Tu vas me donner ton numéro. Pas le professionnel avec ton répondeur qui me dira que tu rappelleras dès que possible. Moi , je ne te donne pas le mien mais celui destiné à tous les fantoches qui essaient de me draguer. Tu tomberas sur un standard avec un vrai dragon qui n’a qu’une consigne : refuser tous ceux qui ne sont pas sur sa liste. Et tu n’y figures pas , mon chéri.

Elle sourit en repoussant une mèche.

— Au cas où je n’aurais pas été assez claire, c’est moi qui te rappellerai… ou pas.

— Quand ?

— Je n’en sais rien. Tu n’as pas l’air de bien réaliser que j’ai moi aussi des obligations professionnelles qui valent bien les tiennes. Et j’ai d’autres centres d’intérêt qui me prennent du temps. En cas de problème, je ne veux pas rester une nouvelle fois au bord de la route. D’après mes informations, c’est l’expression favorite de ton chef bien-aimé.

— Sois franche avec moi. Tu as quelqu’un dans ta vie ?

Elle le regarda avec l’air malicieux qu’elle prenait en lui jetant de l’eau sur la plage.

— Sois un peu sérieux mon chéri ! N’inverse pas les rôles. Maintenant, si tu veux bien m’excuser, le chauffeur s’impatiente.

La dernière image qu’il emporta d’elle fut une main contre la vitre qui s’agitait pour lui dire adieu. Jusqu’à la dernière seconde l’homme nerveux distribua ses cartes.

Il se retrouva avec une poignée de passagers en attente de départ et qui n’avaient plus rien à se dire. Il aurait au moins passé un bon moment avant de s’en aller sur des chemins incertains.

L’immense hôtel redevenait une magnifique coquille vide peuplée de fantômes. Figé dans son indifférence, il attendait déjà de nouveaux arrivants prêts à discuter de grandes options stratégiques. Un nouvel autocar arriva et il hâta de monter pour fuir ce décor chargé de faux souvenirs. Il revenait maintenant vers le monde qu’il s’était bâti. L’intermède Marienbad était terminé. Il n’y reviendrait jamais.

Il se cala dans son fauteuil et ferma les yeux. Autour de lui, tout redevenait normal. Les Iphone étaient rallumés, certains parlaient à voix basse. Il n’eut pas la tentation de regarder les cartes qu’il avait acceptées et qui pour la plupart finiraient à la poubelle. Ses coups de téléphone se heurtèrent à des boites vocales. Les derniers mots échangés avec Anne dansaient dans sa mémoire, se mêlant à leurs adieux anciens. Leur nuit ensemble avaient réveillé une flambée d’amour dont les derniers feux peinaient à s’éteindre dans l’aube grise. Les sortilèges de Marienbad s’évanouiraient eux aussi. Adieu les rêves et la nostalgie de ce qui aurait pu être, les grands défis l’attendaient. son destin n’était pas de bâtir des châteaux de sable mais des forteresses indestructibles. Quand il aurait accompli sa mission, une nouvelle vie l’attendait. Anne avait eu raison depuis le début. Elle n’y avait pas sa place. Il sentait une force revenir en lui. Victor redevenait Victor.

La campagne tchèque puis la banlieue de Prague défilaient devant ses yeux distraits. Pour s’occuper, il relut les notes prises pendant la conférence de la Tueuse. Il regretta de ne pas avoir pu lui parler. Il aurait peut-être plus de chance de la croiser quand il évoluerait à l’international.

Lorsqu’il entra dans l’aéroport, il eut l’impression de franchir dans le bon sens une invisible frontière. Marienbad, les statues, le labyrinthe dont on sortait si facilement, les longs couloirs, l’homme agité et ses clones, tout cela allait rester au pied de l’avion. Il revenait pour accomplir la mission qu’on attendait de lui. Les regrets, la nostalgie, tout cela viendrait à son heure.

Il fut étonné de constater à quel point les brèves retrouvailles avec Anne le faisait peu souffrir. La vieille blessure n’avait pas eu le temps de se rouvrir. Il la sentait toujours au fond de lui , présente, comme assoupie. En était-il de même pour elle? Quel souvenir garderait-elle de cette parenthèse fugace et agréable ? Avait-elle vraiment envie de le rappeler ? Comme lui, elle retrouvait sa réalité. Quelque chose au fond de lui s’obstinait pourtant à le refuser. Le temps viendrait, peut-être, de la souffrance mais pour l’instant elle n’était qu’un simple souvenir.

Le formalités à l’aéroport l’aidèrent à envisager son proche avenir qui ne devrait pas poser beaucoup de problèmes. Le hiérarchique avait raison, sa mutation ne devrait pas poser de problème. Les enfants ne revendiquaient qu’une chose, leur indépendance pour réaliser des projets improbables et donner un sens à leur vie. Sa femme ne ferait que changer de copines. Elle avait démontré depuis longtemps, au cours de cocktails mondains, son exceptionnel talent pour se faire des relations.

Il essaya une nouvelle fois de l’appeler. Elle savait qu’en revenant il irait directement à son bureau et elle n’avait jamais pris l’habitude de venir l’attendre. Une idée en amenant une autre il se demanda comment il se comporterait quand il serait grand-père.

L’homme nerveux était bien sûr dans le même avion mais à un siège éloigné qu’il ne quitta pas pendant tout le voyage. Victor se retrouva à côté d’un autre français avec qui il n’avait pas eu l’occasion d’échanger le moindre mot et qui resta tout le voyage les mains crispées sur son attaché-case, le regard fixe. Il se retint de lui taper dans le dos pour lui conseiller de prendre son destin à bras le corps.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jean-Michel Joubert ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0