Me faire ça
Ma conscience est en éveil. J’entends. Mais c’est de courte durée. Je me sens si lourde, dans un état vaseux. Un brouillard mental m’empêche de penser de me mouvoir. Le type de brouillard à vous replonger dans le sommeil. Ma conscience décline et cette fois-ci, je m’endors. Plonge dans un rêve. Plonge droit dans un monde où mes taches abstraites prennent, soudain, formes. Le genre à faire peur. Le genre à terrifier n’importe qui en ces lieux. Non impossible ! C’est impossible que je puisse appréhender des formes. Ils n’ont pas pu le faire !
— Nooon ! hurlé-je de toutes mes forces.
Je palpe du bout des doigt mes paupières. Au bord de la crise de nerfs. Je griffe la peau de mon visage. C’est horrible. Comment ont-ils pu me faire cela ! Je me remets à hurler de plus belle. Ma colère s’amplifie. Elle devient incontrôlable. Je tombe du lit et me blottis en position fœtale. Je ne veux plus parler à personne. Ils m’horrifient ! Je ne veux plus jamais les entendre. Ils me dégoutent ! Quand, je capte le bip-bip d’une machine. Je me focalise dessus. Ce bruit artificiel me détend, me berce. Il me rassure. Comment se fait-il qu’un tel bruit me réconforte ? Je l’ignore. Mais il m’aide à me calmer. Puis des larmes coulent sur mes joues sans savoir pourquoi. Enfin, je sombre de nouveau.
***
Je rêve. Je vole dans monde. Le mien. Il est sombre, morne.
Puis il prend soudain des formes à laquelle s’ajoutent à sa noirceur des couleurs. Je n’ai jamais vu cela de ma vie. Je capte des millions de nuances. C’est fantastique. Incroyablement beau. Elles scintillent. Parmi les dizaines de sons qui me parviennent, un en particulier m’interpelle, celui de l’aérotrain. Il file à toute vitesse entre ces choses qui semblent être des habitations. De ma position, j’ai l’impression de planer sur la ville : Calandra. Puis mon corps passe dans quelque chose de brumeux. D’opaque. L’air s’est soudain refroidi. Je frissonne. Je ne vois plus les mille de lumières chaudes. Plongée dans le noir. Serait-ce un nuage ?
Enfin, quand j’en ressors, progressivement, l’ensemble de Calandra me revient. Ce monde que je croyais être mien ne l’est pas. C’est le leur. Une voix chaude au timbre irréel et subtil s’annonce. Il me semble venir de tout lieu.
— Élise ? Reprends-toi. Nous t’avons choisie pour que tu sois la première à porter notre message. Ne l’oublie jamais que de ton histoire, dépendra la nôtre. Nous ne pouvons rester. Tu comprendras prochainement.
— Mais qui êtes-vous ?
Pour seule réponse, j’eus en écho.
— Nous reviendrons…
Cette voix, me rappelle celle d’un autre. Or, je n’arrive pas à poser un souvenir dessus. Cela m’a l’air si loin et ne peux en avoir l’accès. Comme si ma mémoire avait été effacé. Quand je ressors de ce nuage, je chute aussitôt vers un immense bâtiment. Mon ventre se soulève. L’instant d’après, j’entends une autre voix résonner. Je la reconnais. C’est celle du docteur Tanaka.
— Il faut la comprendre, c’est un passage douloureux. Même obligatoire. Après tout ce n’est qu’une adolescente. Soyez donc au petit soin avec elle. Sinon, elle risque de sombrer dans la dépression. Je vais lui prescrire des benzodiazépines pour l’aider à surmonter ce qu’elle traverse.
Quoi, qu’est-ce que je capte encore ? Ils veulent me droguer. Pourquoi ? La panique me reprend. Je ressens dans mes doigts des fourmillements. Puis c’est au tour de mon corps. Enfin, j’entrouvre lentement mes paupières. Un halo de lumière m’éblouit. Je les referme aussitôt. J’hallucine. La rage monte en moi. Je me force à ne pas les ouvrir. Je préfère rester dans la noirceur de mon esprit. Même si au fond de moi, j’ai toujours voulu appréhender le monde. Quelques instants après, je retente. Curieuse.
Je rouvre mes paupières, lentement cette fois. Le halo est moins éclatant. Je vois. Je vois tout. Mais je reste horrifiée comme abusée. Trahis. D’autres sentiments se mêlent en moi. Mais d’entre tous, celui qui me domine le plus est la haine. Elle m’envahit. Elle enveloppe mon corps. Je referme les yeux et patiente dans l’obscurité de mon esprit.
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