Le labyrinthe 4 : l'héritage de Matéo
Slau éprouvait toujours une souffrance du fait de la présence proche de Matéo mais elle était diffuse, reléguée à l'arrière plan, comme étouffée. Ce qui le réjouit. Cela voulait dire que sa stratégie avait fonctionné : ses attaques ont affaibli les pouvoirs de son jeune adversaire. D'un autre côté, le Messager sentait la douleur sourdre, tapie au fond de l'adolescent mais elle était occultée par une certaine forme de soulagement teinté d'insatisfaction. Il conclut que sa séparation avec Max lui apportait un peu d'apaisement sans le rendre plus heureux. Sa conscience le travaillait.
— Parfait ! jubila le Messager
Maintenant que Matéo retrouvait dans le labyrinthe la seule attache qui lui restait, il entreprit de détruire son amitié avec ce Gibraltar. Ce serait plus aisé que de le séparer de Max, lui aussi protégé par le messager. Ce dernier était plus coriace à manipuler compte tenu de sa maturité. L'efficacité optimale lui commandait d'agir sur le chaînon le plus fragile : le vulnérable et innocent Matéo. Pour cette raison, il adorait l'innocence.
Le bouche à oreille avertit Gibraltar de l'arrivée de son ami bien avant qu'il ne le voie. Après avoir parcouru plusieurs couloirs, grimpé des escaliers quatre à quatre et couru au-devant du jeune homme, il le conduisit dans son banga, le laissa s'installer avant de lui servir une collation. Il s'étonna de l'absence de Max mais s'abstint de lui poser des questions. Le visage fermé de son invité lui fit comprendre qu'il y avait de l'eau dans le gaz. Matéo n'exprimait plus la même insouciance ni la même joie de vivre que quelques semaines auparavant.
Lui aussi avait connu une déprime semblable lorsqu'il vint se réfugier dans le labyrinthe après l'assassinat de ses parents. Il voulait juste se refermer sur sa souffrance et ses angoisses sans avoir à répondre à un interrogatoire sur ce qui s'était passé. Il savait que, souvent, les grandes douleurs rendaient mutiques.
Gibraltar essayait de se comporter comme à son habitude mais sans une exéburance excessive comme s'il ne s'était rien passé. D'un autre côté, il désirait éviter le coup de l'empathie qui serait interprétée ou ressentie comme de la pitié.
Après le déjeuner, Montparnasse fut informé de la présence de Matéo dans son banga. Celui-ci n'avait pas besoin d'un logement individuel pour l'instant. Il lui manquait un soutien et le laisser seul serait pire que de le rejeter. Gibraltar prenait soin de son ami en lui apportant exactement ce dont il avait besoin, à savoir une présence bienveillante et amicale qui serait un baume apaisant dans sa détresse.
Après le dîner, Matéo s'enferma dans la chambre, son compagnon se contentant du canapé. Il avait eu le courage ou la sottise de quitter son oncle. Il réfléchissait à la suite des événements mais ne savait toujours pas quelle orientation donner à sa vie. Contraintes et obligations étaient terminées mais cela ne lui procurait aucune satisfaction pour autant. Il mit du temps à trouver le sommeil. Un nouveau rêve s'imposa à lui.
Il parcourait une sente qui longeait une large faille. Sur l'autre falaise, Gibraltar le hélait et lui faisait signe de le rejoindre. Il lui indiqua un point un peu plus loin. Après cinq minutes de marche dans la fraîcheur du sous-bois, Matéo parvint à un pont de corde. Il posa le pied sur le tablier composé de centaines de planches et exerça une pression pour en tester la solidité. À mi-chemin un homme se tenait, immobile. Il s'élança vers lui et reconnut Max. Celui-ci lui manifestait sa ferme intention de l'empêcher de passer.
— Je suis le seul à pouvoir te protéger. Reste avec moi.
— Laisse-moi passer ! Je veux juste traverser !
— Tu l'auras voulu ! Viens ! Pauvre fou !
Matéo s'avança et au moment où il allait toucher Max, celui-ci se transforma en une nuée de corbeaux jacassant qui se ruèrent sur lui. Il sentit leurs becs puissants habitués à dépecer les charognes. Son visage, ses bras, ses mains et même ses jambes saignaient abondamment. Au milieu de leurs croassements, il tomba quand une planche céda sous ses pas. Il se rattrappa de justesse avec les bras, les pieds pendant dans le vide. Les oiseaux virevoltaient et l'assaillaient de plus belle. L'adolescent se débattait comme il pouvait, puis finit par lâcher prise. Pendant sa chute, les volatiles se rassemblèrent pour reprendre la forme de Max qui poussa un rire hystérique et moqueur.
Gibraltar entendit les hurlements de son ami et se précipita dans la chambre. Celui-ci se débattait dans son sommeil, transformant le lit en champ de bataille. Il essaya de le calmer mais reçut plusieurs coups.
— Matéo, c'est moi ! Réveille-toi !
Celui-ci émergea enfin, les yeux exorbités, en sueur. Son torse montait et descendait au rythme de sa respiration haletante.
— Ben, mon cochon, t'as fait un sacré cauchemar !
Avec la délicatesse d'une mère, son hôte lui apporta un verre d'eau et attendit qu'il se rendorme.
Gibraltar comprenait ce que ressentait son colocataire. Il avait assisté à l'assassinat de ses parents. Le petit garçon de sept ans qu'il était en avait eu des cauchemars pendant des années. Les terreurs nocturnes avaient ponctué son enfance et son adolescence jusqu'à une époque récente. Montparnasse fut un soutien fidèle mais ponctuel, une ancre à laquelle il s'était accroché avec l'énergie du désespoir.
Le temps ne l'avait jamais amené à pardonner au duc la mort de ses parents. Par représailles, il avait pris plaisir à de menus larcins qui ne retiraient rien au duc mais lui avaient procuré une certaine satisfaction. À l'âge adulte, il avait voulu agir à un autre niveau et s'était engagé dans l'armée rebelle qui prétendait lutter contre le tyran comme elle le nommait. Mais les actions menées ne semblaient pas l'atteindre plus que cela. Il avait alors pensé à l'acte ultime pour toucher Sangamouji dans sa chair et s'était porté volontaire comme bombe vivante. La jeune recrue avait, dans sa folie meurtrière, entraîné Elliot qui avait failli mourir d'atroce façon. Gibraltar était reconnaissant à Matéo d'avoir épargné un tel sort à son infortuné compagnon d'arme.
Les gens racontaient que le supplice raté d'Elliot avait précipité la fin du Duc. Quelle revanche ! Il mourut de la mort qu'il aimait réserver aux autres. Gibraltar ne pouvait rêver mieux pour assouvir son besoin de vengeance ! Par l'intermédiaire de Matéo, ses parents étaient vengés. Il pouvait revenir en paix au labyrinthe avec le sentiment d'avoir accompli le but qu'il s'était fixé, mais se trouvait quelque peu désorienté maintenant que son objectif était atteint. Il éprouvait une grande affection pour son ami et ressentait beaucoup de satisfaction de pouvoir veiller sur lui dans ces moments difficiles.
Pour éviter de rester enfermés toute la journée, les deux garçons se livraient à de longues promenades en roues dans les couloirs du labyrinthe. Beaucoup étaient déserts, ce qui leur permettait d'exécuter des figures de freestyle plus osées les unes que les autres. Ils se lançaient des défis farfelus et parvenaient même à rire de bon cœur. Ils aimaient faire les fous en descendant à vivre allure les escaliers ou par bonds successifs ou encore d'effectuer des vols planés pour savoir qui atterrirait le plus loin.
Toute ces activités intrépides les épuisaient. Aussi Gibraltar amena son ami à la falaise où la vue était dégagée et le calme propice au recueillement et à l'introspection. Allongés sur le ventre, la tête dans le vide, ils regardaient la voie ferrée à l'étage inférieur. En face, à trois cents mètres, la paroi rocheuse verticale au sommet de laquelle, la ville, impassible, continuait avec ses immeubles délabrés ou écroulés et ses routes.
Les deux amis ne pensaient qu'à jouir de l'instant présent. L'un comme l'autre n'avait pas de but précis ni de projets qui solliciteraient leur énergie. Gibraltar repensait à cette semaine pendant laquelle il avait partagé avec son ami, non seulement toutes ces activités, mais aussi beaucoup de complicité. Il se rendit compte qu'il lui était plus attaché qu'un frère.
— Tu peux rester dans le banga aussi longtemps que tu le veux.
— Je sais. Tu es sûr que je ne dérange pas ?
— Qui veux-tu déranger ? Je suis tout seul, je n'ai pas de femme, pas d'enfant, pas de contrainte, aucune obligation. Ça me fera du bien d'avoir de la compagnie. Et toi aussi à ce que je vois.
— Parfois, je me demande si j'ai bien fait de partir, se dit Matéo, davantage à lui-même qu'à son interlocuteur.
— Là, je suis largué. Tu quittes ton oncle et le lendemain, tu regrettes ?
— Parce que, en y réfléchissant, mon oncle ne méritait pas que je le quitte de cette façon.
— Alors, va te rabibocher avec lui, conseilla Gibraltar.
— C'est trop tard et ce n'est pas aussi simple.
— Il m'a l'air d'être un type bien. Je suis certain qu'il ne demande pas mieux que tu reviennes. Il t'accueillera à bras ouverts.
— Tu crois ?
— Certain ! s'exclama son compagnon sur un ton assuré. Je vais te dire une chose. Je suis venu dans le labyrinthe à sept ans. J'ai dû me prendre en main sans l'aide de personne. Montparnasse avait un œil sur moi mais la plupart du temps, j'étais laissé à moi-même. C'est assez terrifiant à cet âge. Il fallait se méfier de tout le monde : des pédophiles, des proxénètes, des marchands d'esclave, des bandes qui voulaient t'enrôler, des bagarres entre factions et j'en passe. À cette époque-là, ce n'était pas aussi organisé que maintenant. Je devais me débrouiller pour trouver à manger. Alors, crois-moi, si j'avais eu quelqu'un comme ton oncle qui s'occupait de moi, j'aurais été le plus heureux des gamins.
Matéo resta coi. Son ami avait sans doute raison. Ses paroles le laissèrent pensif un long moment que l'autre respectait. Ils paressèrent ainsi jusqu'à ce que les rayons du couchant colorent de rouge et d'or la falaise devant eux.
Les chefs de quartier organisèrent un dîner de cohésion sociale. Il donnait aux habitants l'occasion de partager des moments de convivialité afin de neutraliser les tensions et de désarmorcer les conflits. En tant que nouveau membre du Réseau, Matéo était dispensé de servir les anciens tout comme Gibraltar qui le parrainait et se chargeait de son intégration. La soirée s'avérait très agréable mais les deux garçons préférèrent rejoindre leurs pénates assez tôt, épuisés après une journée de déambulations.
Après une semaine de présence dans le labyrinthe, Matéo put, pour une fois, s'endormir sans problème mais son sommeil ne fut pas pour autant réparateur.
Il marchait sur un sentier escarpé. D'un côté le flanc de la montagne et de l'autre une profonde ravine caillouteuse. Il trouvait la montée quelque peu rude. Il héla Gibraltar de l'attendre mais celui-ci continuait son chemin sans lui répondre et accélérait même le pas. Lorsque le soleil fut haut dans le ciel, il apprécia une petite pause, mais son compagnon prit son sac à dos et s'apprêta à reprendre la route.
— Tu repars déjà ? s'étonna Matéo.
— Tu n'es pas obligé de me suivre comme un petit chien.
— Pourquoi tu me parles comme ça ?
— Parce que j'en ai marre de t'avoir dans mes pattes. Tu as voulu ton indépendance, assume ton choix. Je ne suis pas ta nounou. Tu seras un suiveur toute ta vie ?
Slau lui asséna un profond sentiment de rejet, la conscience d'être un perdant, un incapable, l'impression qu'il ne valait rien, que personne ne l'aimait et ne l'aimerait jamais parce qu'il n'était digne de l'amour de personne. Il lui rappela que son père l'avait abandonné, que sa mère n'avait entrepris aucune démarche pour le retrouver, que Max l'avait laissé partir sans résistance, trop heureux de trouver enfin l'occasion de s'en débarrasser. Personne ne voulait de lui car il n'était rien et ne présentait aucun intérêt ni aucune valeur pour qui que ce soit. Il n'était utile à personne, même pas à ce bon à rien de Gibraltar. Il était un poids pour tous ceux qui le connaissaient et il en serait toujours ainsi. Le Messager implanta profondément dans son esprit un ressentiment proche de la haine envers Gibraltar.
Il lui imprima dans la tête que le mieux était qu'il en finisse avec la vie et qu'ainsi le monde serait débarrassé de son encombrante et inutile personne. Il ne méritait pas de vivre et le jour de sa mort, aucun être humain ayant un peu de lucidité ne le regretterait.
Ces sentiments l'assaillaient avec une intensité féroce.
Matéo se réveilla en sursaut, soulagé d'échapper à ces attaques virulentes et se mit à pleurer toutes les larmes de son corps. Il se força à rester éveillé de peur de se trouver confronté à un autre rêve. Depuis quelques semaines, chaque nuit ébranlait davantage son esprit. Dormir devenait une épouvantable épreuve qu'il avait de plus en plus de mal à surmonter.
Gibraltar le vit sortir de la chambre, la mine défaite et des poches sous les yeux. Ses cauchemars se lisaient sur son visage. Après avoir servi le petit déjeuner, son ami le dévisagea d'un œil soucieux.
— Je t'ai entendu pleurer ce matin. Ça ne va pas mieux on dirait.
— J'ai encore fait un cauchemar.
— Je m'en suis aperçu. Ça fait depuis longtemps ?
— Oui. Ça fait au moins trois semaines. Je n'en peux plus.
— Comment un cauchemar peut te mettre dans cet état ?
Matéo lui raconta tout ce qu'il avait enduré durant des nuits entières.
— Tu sais quoi ? Je pense que ce sont ces cauchemars qui te perturbent.
— Merci du scoop !
— Je veux dire, expliqua Gibraltar, que ces cauchemars sont à l'origine de tes problèmes comme les disputes avec ton oncle, ta séparation avec lui. Tu n'as pas remarqué ?
— Remarqué quoi ? fit Matéo avec une lassitude non feinte.
Ces devinettes commencaient à l'agacer au plus haut point. Il fit cependant l'effort de rassembler le peu de patience qui lui restait pour écouter son compagnon qui s'évertuait à comprendre ce qui lui arrivait.
— Les premiers rêves ont présenté ton oncle comme un ennemi qui t'empêchait de vivre comme tu veux. Il fallait t'en débarasser. Maintenant, c'est à mon tour. Ton cauchemar de cette nuit a donné de moi une image horrible. Tu penses vraiment que je suis comme ça ?
— Je ne sais plus, répondit Matéo.
— Super ! Sympa ! Je te croyais mon ami, rétorqua Gibraltar, un peu vexé.
— Pardon ! Ce n'est pas ce que je voulais dire.
— Je crois que quelqu'un t'envoie ces rêves pour te séparer de tous ceux que tu connais. À mon avis, il veut t'isoler pour t'affaiblir. J'ai appris ça avec les rebelles. Un soldat loin de son bataillon est plus vulnérable. C'est évident.
Matéo reconnut que son interlocuteur avait du bon sens rassis. Les années de galère lui avaient permis d'acquérir une sagesse pratique qu'il ne possédait pas. Il l'écouta donc avec un intérêt renouvelé.
— La seule personne capable de t'attaquer dans les rêves, c'est le Messager. Je ne vois pas qui d'autre. Je ne sais pas qui tu es réellement mais il ne t'aime pas. Ah ça non !
Il dut admettre que le raisonnement se tenait.
— Ne me le demande pas. Je ne le sais pas moi-même.
— Je ne vois qu'une seule personne pour te sortir de là, conclut Gibraltar. C'est Max. Je ne vois pas qui d'autre.
— Laisse-moi la matinée pour penser à tout ça. Si tu as raison, j'irai retrouver mon oncle avant ce soir. Je ne veux pas passer une autre nuit de cauchemar.
Ce matin-là, Gibraltar laissa son colocataire à son introspection.
Le raisonnement de son hôte ouvrit les yeux de Matéo sur la manière d'analyser les rêves de ces dernières semaines. Ces agressions oniriques avaient sali tous ceux qu'il aimait et provoqué chez lui un comportement destructeur. Pour commencer, sa façon de considérer son oncle devait changer. Il se mit à comparer l'image que donnaient de lui ses rêves et l'homme qu'il connaissait. Max avait toujours pris soin de lui. Jamais il ne l'avait frappé ni menacé. Au contraire, le vieil homme se montrait doux, patient, dévoué et lui avait épargné les turpitudes qu'avaient connues Gibraltar. Matéo le respectait pour tout cela. Ses réflexions l'amenèrent à comprendre combien son comportement avait dû le peiner. Il était décidé à réparer les torts qu'il lui avait causés.
De la même façon, le Gibraltar de la vraie vie n'avait rien à voir avec celui de ses cauchemars. Il devait rendre cette justice à ceux qui l'aimaient. Ceux qui l'aimaient ! Ce qui voulait dire qu'il était digne d'être aimé, au contraire de l'image que le rêve donnait de lui. Son ami avait raison : toutes ces agressions oniriques faisaient partie d'une stratégie destinée à le détruire psychologiquement, mentalement et même physiquement.
Il devait à présent se ressaisir et s'accrocher à ceux qui lui voulaient du bien et qui pouvaient l'aider. Sa détermination s'affermit et ses forces lui revinrent sans effacer complètement la fatigue accumulée par ces nuits agitées et cette haine toxique qui l'assaillait dans son sommeil.
Il se leva d'un bond et commença à assembler ses affaires.
— On dirait que ça va un peu mieux, constata Gibraltar. Qu'est-ce que tu fais ?
— Je pars. Tu viens avec moi ?
— On va où ?
— Chez mon oncle.
Lorsqu'ils parvinrent à la station Pohr, une silhouette les attendait. Matéo la reconnut aussitôt. Il sauta de sa roue et courut vers elle. Ils s'étreignirent longuement, appréciant ce moment magique des retrouvailles. Tous les jours, Max guettait le retour du fils prodigue. Il avait confiance dans la capacité de son poulain à rebondir, à sortir vainqueur de cette confrontation avec le Messager. Maintenant, Matéo était là, le serrant avec ferveur dans ses bras. Le vieil homme ressentait dans cette étreinte tout le respect, l'amour et les regrets qu'un jeune garçon était capable de communiquer, touché au plus profond de son être par l'attachement affectueux que lui témoignait son fils adoptif.
Après quelques secondes, Gibraltar, se sentant un peu délaissé, se racla la gorge pour attirer leur attention.
— Hem ! Et... si on montait. Ça vous dit ?
— Heu... Désolé ! On y va mon oncle ?
Max se chargea de la roue et tous les trois remontèrent dans l'appartement. À la lumière du jour, il remarqua les dégâts que des semaines de cauchemars avaient dessinés sur le visage exténué de Matéo. Il le fit allonger sur son lit et sortit Esprit. Une lueur bleutée enveloppa le garçon puis pénétra son corps. Ses traits se détendirent. L'adolescent reprit des couleurs. Pour la première fois depuis longtemps, il connut un répit, goûta à la paix tant recherchée et retrouva la vigueur de ses dix-sept ans.
Son visage rayonna de sa joie de vivre. Gibraltar retrouva enfin le compagnon qu'il avait connu sur les remparts.
— Comment te sens-tu maintenant ? s'enquit-il Max
— Beaucoup mieux mon oncle. Merci, répondit-il en s'asseyant.
— J'ai quelque chose pour toi. Lorsque le messager m'est apparu, il m'a confié la mission d'aller te chercher pour te soustraire à ceux qui te voulaient du mal. À cette occasion, il m'a remis une chose pour toi. Voici Esprit ! Il m'a ordonné de te le donner lorsque tu seras en âge. Je pense que le moment est venu de te remettre ce qui te revient de droit.
Esprit s'échappa de sa paume et se maintint au-dessus de Matéo qui devint lumineux comme le soleil. Max et Gibraltar, la main devant les yeux pour se protéger de l'intense lumière, le virent léviter à trente centimètres du lit. Il tendait les bras vers l'étoile miniature à la manière d'un enfant cherchant à atteindre sa mère, un sourire extatique sur son visage transfiguré.
Gibraltar entendit le vieil homme murmurer :
— Esprit l'a reconnu comme son légitime propriétaire. C'est impossible !
Tout le monde savait que Esprit n'appartenait qu'à un messager. Il pouvait être confié à un humain mais jamais lui appartenir. Or il venait de reconnaître Matéo comme son propriétaire. Gibraltar restait coi, envahi par une crainte respectueuse.
L'adolescent retomba avec douceur sur le lit et la lumière qui émanait de lui disparut. Il prit la bille qui contenait l'énergie d'un soleil et se tourna vers ses compagnons comme s'il ne s'était rien produit.
Ce fut un moment simple mais néanmoins solennel, une étape dans la vie de Matéo.
La scène qu'il venait d'assister l'avait pris au dépourvu, mais avec une émotion qu'il contint non sans difficulté, Max lui expliqua avec une certaine gravité :
— Monseigneur, ceci est ton héritage. Prends en grand soin. Il contient une incommensuragle puissance. Sa possession implique beaucoup de responsabilité mais tu as montré que tu en étais digne. Utilise le pour le bien, jamais dans un dessein égoïste.
Monseigneur. Il l'a appelé Monseigneur, nota Gibraltar.
Matéo le remarqua aussi et se promit d'en parler plus tard. Il ne voulait pas gâcher ces moments de retrouvailles avec de longues explications.
Le repas fut copieux, détendu et joyeux. Matéo, avec l'accord de Max, proposa à Gibraltar de lui rendre l'hospitalité qu'il avait exercée à son égard. Celui-ci, hésitant sur le comportement à adopter envers son ami après la scène qu'il venait de vivre, n'osa refuser.
La petite maison se remplit de rires et de gaîté. Max ne retrouva aucune trace du chagrin et de la morosité qui y avaient sévi ces derniers jours.
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