Le voyage 3 : Les Monts Atanary

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Matéo savait que la nuit serait longue. Il prit soudain conscience de sa solitude. De toute sa jeune vie, il n'avait jamais eu à prendre une décision aussi difficile et il devait la prendre seul. Pour une raison qui lui échappait, Slau voulait l'empêcher de voir son père. Il n'hésiterait pas à tuer ses amis s'il ne se constituait pas prisonnier. S'il se rendait, ses amis seraient libres, mais il mourrait. Quoi qu'il fasse, les conséquences seraient terribles.

Il se souvint, à ce stade de ses réflexions, des paroles de l'interprète des rêves : "Vous devrez sacrifier ceux que vous aimez et dans tous les cas renoncer à eux."

Soit, je meurs. Soit ils meurent. Dans tous les cas, je dois renoncer à eux. Elle m'avait averti, mais je n'ai pas écouté.

Elle n'avait pas répondu lorsqu'il lui avait demandé la significatiion de ces paroles énigmatiques. Il chercha une solution dans le reste de l'interprétation. Elle parlait de Slau qui voulait le tuer tout comme les rêves le lui avaient enseigné. Il était représenté par un homme ailé, ce qui rappelait le messager qui l'avait délivré des mains de Mahoré dans les bois. Il possédait comme une paire d'ailes lui aussi. Sauf que Slau s'est fait un corps humain pour vivre avec les humains. Il se demandait pourquoi il n'avait jamais repris son corps de messager fait d'énergie pure.

Il se secoua mentalement.

Mes pensées m'égarent. Le soleil se lève et je n'ai toujours pas la moindre solution à mon problème.

Dans le pire des cas, il préférait servir de rançon pour délivrer ses amis. Ce n'était pas à eux de mourir. Ils ne devaient pas subir les conséquences du conflit inexplicable qui l'opposait à Slau. Ils risquaient la mort simplement pour lui avoir témoigné de l'amitié et de la loyauté.

La matinée passa sans que Matéo ne se manifeste, ce qui rassura Gibraltar. Celui-ci se réjouissait de cette absence. Elle signifiait que son ami s'en était allé retrouver son père. Par ailleurs il regrettait d'avoir embarqué Baby dans cette funeste aventure. Il serra avec tristesse le petit garçon contre lui et pose la joue sur sa tête.

Slau montra un calme apparent mais bouillait à l'intérieur. L'arrivée d'une centurie en début de journée ne changeait pas son humeur. Il prévoyait un spectacle grandiose dont le personnage principal faisait défection. Quand il diffuserait la mort de Matéo, tous se soumettront à son autorité, l'espoir vain en leur Élu envolé. Son plan reposait sur sa loyauté envers ses amis et son altruisme déplacé.

— Monseigneur, il est là !

Slau bondit de son fauteuil et se précipita dehors. Le Shiloh se tenait à bonne distance.

— Monseigneur Slau, je viens à toi en toute sincérité échanger ma personne contre tes deux prisonniers, ma liberté contre la leur.

Le Messager s'assura que les reporters, formés pour retransmettre les conquêtes en vue de propagande à sa gloire, filmaient la scène.

— Rends-toi et je délivrerai tes amis.

— Non, Monseigneur. Délivre-les d'abord !

— Tu n'as pas confiance en moi. Tu me traites, moi, de menteur ? Devant toutes ces caméras ?

— Telle n'est pas mon intention. Avant de les quitter, je désire parler une dernière fois à mes amis et les rassurer. En privé !

— Et qu'est-ce qui me dit que tu viendras à moi de ton plein gré une fois tes amis en sécurité ?

— Rien Monseigneur. Exceptée ma parole.

Slau éclata d'un rire sonore, repris en chœur par les troupes.

— Je vois que tu as des appareils d'enregistrement avec toi. Je ne voudrai pas passer pour un parjure qui ne respecte pas la parole donnée. Je te propose ceci. Libère mes amis. Je leur fais mes adieux et pendant qu'ils s'éloigneront vers le sanctuaire, je viendrai à toi. Je te donne suffisamment de garantie.

— J'ai décidé d'être magnanime avec toi. J'accepte ta proposition.

Il ordonna en aparté à Mahoré d'aller chercher les prisonniers.

Matéo les serra affectueusement dans ses bras.

— Pourquoi as-tu fait ça ? Ça t'avance à quoi ? Ce n'était pas plus simple de retrouver ton père comme on avait dit ?

— Tu as fini de me houspiller ?

— Non, je n'ai pas fini !

Gibraltar ne pouvait plus retenir ses larmes.

— Pense à Baby ! Il a besoin de toi.

— Mais tu ne te rends pas compte, il va te tuer, hoqueta-t-il.

— Tu m'aimes Gibraltar, mon ami ?

— Bien sûr que je t'aime et que j'ai de l'affection pour toi.

— Dans ce cas, fais-moi confiance.

— Mais oui, j'ai confiance en toi, s'étonna Gibraltar.

— Promets-moi : quoi que tu verras, tu n'interviendras pas. Tu me le jures ?

— Je verrai quoi ?

— Tu me le jures ?

— Je te le jure.

— Maintenant, va te mettre à l'abri, hors de portée des soldats. Souviens-toi ! Tu as juré.

Matéo se dirigea vers Slau qui affichait un sourire triomphant. Gibraltar rejoignit la barge et se retourna pour assister à l'arrestation. Un soldat lia les mains du prisonnier. Slau l'obligea à se mettre à genoux. Il lui tira la tête en arrière, se pencha sur son visage et sembla lui murmurer quelque chose.

Matéo se tenait bien droit et fixait son ami, comme pour lui rappeler sa promesse. Puis il se releva face à Slau.

— À genoux devant ton maître !

— Je veux que tu me regardes dans les yeux quand tu m'exécuteras.

Slau pointa son épée flamboyante sur la gorge de son prisonnier.

— Tu crois que ton regard de chien battu m'empêchera de te tuer ? Tu m'as échappé quand tu étais enfant. Te voilà à nouveau en mon pouvoir. Cette fois-ci, tu subiras le sort que tu as toujours mérité.

Devant les caméras, le Messager leva son arme et trancha net la tête qui roula sur les cailloux. Le corps de Matéo s'affaissa lentement, comme au ralenti.

Gibraltar poussa un hurlement sinistre. Les soldats tirèrent. Slau vit le jeune homme prendre Baby dans ses bras et la barge s'élever dans les airs. Le soleil se voila, jetant une ombre sur les Monts Atanary. L'air eut un frémissement qui rebondit jusqu'à l'entrée du sanctuaire. Slau, satisfait de sa journée, retourna dans sa tente d'un pas alerte. Mahoré, furieux, donna un coup de pied dans la tête de celui qui lui avait ôté tout espoir de retrouver son petit esclave.

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