Episode 02
Jessabiel
~*~
Gadriel était désormais assis dans un siège dans un espace blanc qui s’étendait à l’infini dans toutes les directions. Soudainement, une figure holographique de couleur verte fut son apparition, celle d’un jeune garçon qui avait à peu près la même taille que lui, mais disposait d’un physique moins chétif.
- Bonsoir, Gadriel, dit-il après son apparition.
- Bonsoir, Kyon.
- J’ai entendu ta conversation avec Iria. Tu devrais faire plus attention à ton entourage.
- J’essayerai de faire plus attention la prochaine fois. Pouvons-nous continuer la lecture là où nous l’avons arrêtée la dernière fois ?
- Bien évidemment, répondit Kyon en affichant un léger sourire de complaisance.
À ce moment, Gadriel et Kyon furent tous les deux plongés dans un noir. Un point lumineux apparut ensuite en dessous des pieds du jeune garçon numérique avant de s’agrandir progressivement tout en prenant divers couleurs. Plus ce phénomène s’étendait et plus cela donnait l’impression qu’ils étaient tous les deux en pleine chute libre vers une planète inconnue.
Peu de temps après, Gadriel et l’intelligence artificielle finirent par se retrouver au milieu d’un champ de bataille avec d’un côté un nombre important de Célestes en armure accompagnés de plusieurs dragons de divers couleurs, et de l’autre un groupe composé d’une vingtaine de dragons blancs ayant tous la taille d’un bâtiment de trente étages.
- Comme tu le sais déjà, l’affrontement final entre les forces armées Célestes et les membres du culte de l’Empereur Dragon se déroula sur Draegen, le monde natif de la race des dragons. Ce fut une bataille qui se déroula sur plusieurs centaines de jours et qui impliqua plusieurs clans draegeniques, ceux étant pour le retour de l’Empereur contre ceux qui ne l’étaient pas.
- Je m’en souviens parfaitement. Cependant, quelque chose dans cette histoire me tracasse un peu. Qu’est-ce que cet Empereur a de si spécial pour causer un conflit de cette ampleur ? rétorqua Gadriel tandis que les deux armées fonçaient l’une vers l’autre.
- J’aimerais te donner une réponse très claire, mais je ne possède que des brins d’information. Mais selon les données dont je dispose, l’Empereur Dragon serait un être de légende, une figure dotée d’immenses pouvoirs de destruction qui aurait vécu avant le début de notre univers.
- Avant le début de notre univers ? Ce n’est pas un peu exagéré comme légende ? Je veux dire, notre univers a plusieurs milliards de cycles. Personne ne peut être plus vieux que ça, n’est-ce pas ? En plus, comment ils ont fait pour obtenir des informations sur quelque chose qui s’est produit avant le début de notre univers ? Ça n’a aucun sens.
Kyon lui répondit alors qu’il n’en savait strictement rien. Selon lui, la vie telle qu’il la connaissait n’aurait même pas pu exister à cette période vu qu’il n’y avait sûrement rien eu avant leur univers.
- Quelqu’un a donc dû inventer cette histoire et ces dragons y ont cru sans pour autant vérifier sa véracité.
- C’est ce qu’il y a de plus probable.
- Mais tout de même, une bataille aussi sanglante à cause d’une simple légende qui pourrait s’avérer être infondée. Pourquoi ? Pourquoi en arriver là ? questionna Gadriel, dubitatif.
À cet instant, le jeune garçon observa un des belligérants du conflit, un dragon blanc avec d’étranges marques ressemblant à des trous, ouvrir grandement sa bouche. Juste après, ces mêmes marques qui parcouraient une grande partie de son corps laissèrent échapper une quantité importante d’énergie qui se concentra devant sa bouche sous la forme d’une sphère. Un rayon s’échappa alors de cette dernière et réduisit en cendres tous les Célestes qui avaient eu le malheur de se trouver sur sa trajectoire. En voyant cela, Gadriel ne put s’empêcher d’être à la fois impressionné et terrifié par cette démonstration de puissance.
- Heureusement qu’ils ont cessé d’exister, pensa-t-il.
- Peut-être pour obtenir les pouvoirs de l’Empereur Dragon. Selon la légende, ses pouvoirs seraient de nature apocalyptique. Quiconque mettrait la main dessus deviendrait sans aucun doute une force pratiquement inarrêtable.
- Pratiquement ?
- Oui. Selon la légende et tout ceci est à prendre avec des pincettes, il existerait certains êtres qui seraient aussi puissants, voire plus puissants que l’Empereur Dragon. Il s’agit des Recteurs et des Scythes.
- Des êtres plus puissants que ça, pensa le jeune garçon en observant l’horrible bataille qui se déroulait devant ses yeux. Kyon, as-tu des informations les concernant ?
- Non, malheureusement. La seule information restante que j’ai dans mes archives concerne uniquement l’Empereur Dragon qui aurait été banni dans une dimension très lointaine de la nôtre, une dimension de laquelle il chercherait désespérément de s’échapper, rétorqua-t-il.
Gadriel fut quelque peu déçu de ne pouvoir rien apprendre de plus sur l’Empereur Dragon et encore moins sur ces Recteurs et Scythes. Son malheur ne s’arrêta cependant pas là. En effet, tandis que le jeune garçon continua d’observer la bataille tout en entamant successivement de nombreuses sessions de questions-réponses avec Kyon, tout s’arrêta brusquement. Tous les acteurs principaux du conflit cessèrent tous de bouger au même moment, et ce à l’instant où tous les dragons sans exception détournèrent tous leur regard vers les cieux.
- Kyon, qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il.
- Il semblerait que je n’ai pas accès au reste des informations concernant ce conflit. Comme c’est étrange. Ce genre de choses ne s’était jamais produit auparavant, répondit-il, perplexe.
- N’y a-t-il rien que tu puisses faire ?
- C’est ce que je suis en train de faire à l’instant, mais il semblerait que l’accès me soit refusé.
Gadriel était quelque peu déçu par le fait que Kyon ne soit pas en mesure de lui montrer la suite de ce conflit. Il aurait tellement voulu voir comment ça s’était terminé. De son côté, le jeune garçon vert était troublé par ce soudain évènement. Il avait beau tout essayer pour obtenir l’accès au reste des informations, rien ne fonctionnait. Il lui restait cependant une solution pour régler ce souci.
- C’est vraiment dommage que tu ne puisses pas y accéder. J’aurais tellement voulu voir la façon dont ils se sont débarrassés de ce culte, rétorqua Gadriel.
- Je vais voir avec les autorités supérieures s’il est possible d’obtenir l’accès au reste des données.
- C’est vrai ? Merci beaucoup, Kyon.
- Pas besoin de me remercier. Je suis également curieux de connaître la cause exacte de la fin de conflit. Mais en attendant, nous ferions mieux de nous arrêter là. La grande conjonction de transfert ne devrait pas tarder à débuter et je doute que tu veuilles la manquer.
À ce moment, l’environnement autour de Gadriel redevint complètement noir et la pièce reprit sa couleur d’origine. Le jeune garçon se leva ensuite de son siège tandis qu’une sortie faisait soudainement son apparition.
- Passe une bonne soirée, Kyon, dit Gadriel en se dirigeant vers la sortie.
- Merci beaucoup. À toi de même, Gadriel.
Le jeune garçon prit la direction de la sortie du temple, souhaitant au passage aux jumelles Estria et Iria une excellente soirée et leur faisant la promesse de faire plus attention à lui.
*
Au moment où Gadriel sortit du temple, il ne put s’empêcher de remarquer que le nombre de personnes qui se trouvaient à l’extérieur avait drastiquement augmenté. Il était clair que tout le monde n’attendait qu’une chose et c’était le début de la grande conjonction de transfert, un phénomène qui se produisait tous les deux cycles. En voyant toutes ces personnes heureuses et en groupe, le jeune garçon ressentit une profonde tristesse. Peu importe la direction dans laquelle il regardait, tout lui rappelait le fait qu’il était désormais seul et que sa mère l’avait peut-être…que sa mère était présentement absente.
À ce moment, Gadriel ne put s’empêcher d’être envieux de toutes ces personnes qui affichaient un sourire sur leur visage, de toutes ces personnes qui avaient encore leurs êtres chers auprès d’eux. Il trouvait cela tellement injuste. Pourquoi n’avait-il pas aussi droit à cela ? Avait-il fait quelque chose de mal pour se retrouver seul ? Si c’était bel et bien le cas, qu’avait-il fait exactement ? C’était tellement injuste.
Pendant que Gadriel était complètement absorbé par ses pensées, ce dernier passa à côté d’une jeune adolescente brune aux yeux verts émeraude qui essaya d’attirer son attention en l’appelant. Mais voyant que celui-ci ne répondit pas, elle décida tout simplement de poser sa main sur son épaule, provoquant ainsi un sursaut de peur chez le jeune garçon.
- Jessabiel, qu’est-ce que tu fais là ? dit-il après s’être calmé. Tu m’as fait une de ces peurs.
- J’ai essayé de t’interpeller depuis tout à l’heure et je t’ai même appelé de nombreuses fois, mais tu m’as complètement ignorée. C’est pas gentil de faire ça, Gadriel.
- Excuse-moi, Jessabiel. J’étais absorbé par mes pensées.
- Ça, je l’avais remarqué.
Pour Gadriel, il était clair que l’adolescente était quelque peu en colère contre lui, et comment ne pas l’être ? Comme elle venait si bien de le dire, il l’avait ignorée alors qu’elle avait essayé d’obtenir son attention. Cependant, au même où il s’apprêtait à s’excuser pour la seconde fois, celle-ci lui demanda brusquement s’il était également venu assister à la conjonction.
- Non, pas vraiment. En fait, je sors tout juste du temple et là, je rentre à la maison, répondit-il.
- Ces derniers temps, tu y passes beaucoup de temps. Les gens risquent de croire que tu vis là-bas. Est-ce que tout va bien ?
- Oui, tout va parfaitement bien. Pourquoi la question ?
- Je sais pas. Tu avais l’air très triste quand je t’ai vu.
- Ah, non ! C’est parce que je pensais à ce qui s’est passé au temple avec Kyon. On n’a pas pu finir le visionnage d’une histoire parce qu’il n’avait pas accès au reste des informations. C’est tout, répondit Gadriel en arborant un faux sourire.
Bien évidemment, il était hors de question pour lui de lui dire la véritable raison pour laquelle il avait été dans cet état. Il ne voulait pas qu’elle apprenne ce qu’il traversait et il ne voulait surtout pas qu’elle s’inquiète pour lui.
- Je vois. Mais dis, qu’est-ce qui est arrivé à ton visage ? rétorqua-t-elle en pointant les ecchymoses qu’il avait sur la face.
- C’est une longue histoire.
Gadriel lui raconta alors ses petites mésaventures avec l’étrange femme dont le corps était aussi solide que la roche et sa rencontre avec l’amusement d’un enfant.
- Tu devrais vraiment faire attention à toi, dit ensuite Jessabiel.
- Tout le monde ne fait que me dire ça depuis tout à l’heure.
- Parce que c’est vrai. Quelqu’un d’aussi frêle que toi pourrait être brisé à tout moment.
- Euh…
- Dis, ça te dirait pas d’assister à la conjonction avec moi ? demanda-t-elle brusquement.
- Euh, je ne sais pas vraiment. À vrai dire, je…
- Allez, s’il te plaît !
À ce moment, Jessabiel approcha son visage si près de celui de Gadriel que ce dernier ne put s’empêcher de rougir en plus d’être complètement pris au dépourvu. Il finit donc par céder et accepter sa requête.
- Genial ! J’ai trouvé un bon coin où on pourra l’observer en toute tranquillité, rétorqua-t-elle joyeusement.
Jessabiel attrapa soudainement la main de Gadriel, ce qui le surprit énormément, et l’entraîna vers un lieu dont elle seule connaissait l’emplacement. Pendant ce temps, le jeune garçon ne put s’empêcher de se questionner sur ce qui venait de se passer. Quand elle s’était adressée à lui, son regard changea momentanément. Durant un court instant, il eut l’impression de se retrouver devant… Gadriel s’arrêta alors soudainement et lui demanda si l’autre serait également présent.
- L’autre ?! Tu parles de mon frère ? répondit Jessabiel, dubitative.
- Oui, lui.
En effet, au moment où Jessabiel s’était adressée à lui, son comportement avait été comme celui de son frère.
- Je pense pas. Je sais pas où Reigns se trouve en ce moment.
- Tant mieux alors. On n’a pas besoin de lui dans les parages.
En entendant le commentaire de Gadriel, Jessabiel ne put s’empêcher d’esquisser un léger sourire avant de lui dire qu’elle espérait que son frère et lui finiraient par s’entendre un jour.
- C’est impossible. Je ne pourrais jamais le voir en peinture.
- Tu exagères, Gadriel. Je suis sûre que si vous prenez tous les deux le temps de discuter, vous finiriez par vous trouver des points communs, dit-elle en se remettant à marcher.
- Des points communs avec lui ? Je ne pense pas que ce genre de choses puissent exister. Lui et moi sommes beaucoup trop différents.
- Dommage. Reigns est pourtant une personne très touchante dans le fond.
Gadriel doutait énormément des paroles de Jessabiel. Pour lui, il était impossible que cela soit vrai. La description qu’elle faisait de lui n’était en aucun cas le Reigns qu’il connaissait.
Après près d’une dizaine de minutes de marche, Gadriel et Jessabiel arrivèrent tous les deux devant un parc où de nombreuses personnes se trouvaient d’ores et déjà, attendant avec impatience le début de la conjonction. Le jeune homme reconnut immédiatement cet endroit, celui-ci étant le lieu où il avait reçu la fameuse balle en plein visage.
- Est-ce que tout va bien ? questionna Jessabiel en voyant la façon dont Gadriel regardait cet endroit.
- Tout va très bien. Je me suis juste rappelé d’un truc.
- OK. Il y a une place là-bas où on peut s’asseoir. Allez, viens !
Une fois de plus, le jeune garçon se laissa entraîner par Jessabiel et les deux finirent assis sous un arbre.
- On aura une bonne vue d’ici.
Pendant qu’ils attendaient, Gadriel ne put s’empêcher de regarder discrètement du coin de l’oeil la jeune fille. Il la trouvait tellement belle. Jessabiel tourna brusquement le regard dans sa direction, ce qui le força à détourner le sien. En voyant sa réaction, elle esquissa à nouveau un léger sourire et se rapprocha un peu plus de lui.
Mal à l’aise à cause de ce rapprochement, les mains de Gadriel devinrent de plus en plus moites et son coeur commença à battre à un rythme effréné, mais surtout il se demandait ce que ce geste signifiait. Est-ce que cela voulait dire qu’elle éprouvait également quelque chose envers lui ? Et si oui, est-ce que c’était la même chose qu’il ressentait pour elle ? Il n’en était pas sûr et savait qu’il devait lui poser la question s’il voulait en être certain. Gadriel prit donc son courage à deux mains et se lança.
- Dis, Jessabiel, est-ce que tu…
- Gadriel, regarde ! s’exclama-t-elle brusquement en pointant le ciel du doigt.
Lorsqu’il détourna son regard dans la direction que Jessabiel pointait du doigt, Gadriel vit les gigantesques anneaux de Géoshia faire lentement leur apparition. Une aurore boréale dont les couleurs oscillaient en permanence se manifesta par la suite. Et avec les gamals qui volaient toujours en direction de l’horizon, cela donnait lieu à un magnifique paysage d’une beauté incommensurable.
- Waouh ! C’est tellement beau, rétorqua Jessabiel.
- Oui, ça l’est.
En observant discrètement l’adolescente, Gadriel s’aperçut qu’elle était complètement absorbée par ce qu’elle devant elle. Ses yeux brillaient tellement devant ce phénomène provoqué par la grande conjonction de transfert qu’elle donnait l’impression que c’était la première fois qu’elle assistait à ça. Au même moment, en voyant toutes les autres personnes présentes dans le parc, notamment les familles agir de la même manière qu’elle, le jeune garçon ne put s’empêcher de penser à sa situation, la solitude dans laquelle il se trouvait désormais.
- Dis, Jessabiel, tu penses que lorsqu’on aime vraiment une personne, on l’abandonne derrière soi ?
- Pourquoi tu me poses une question pareille ? répondit-elle, surprise.
- Non, oublie ce que je viens de dire. C’était très déplacé de ma part de te demander ce genre de choses à un moment pareil.
Gadriel tenta tant bien que mal de ne rien laisser transparaître, mais la question qu’il venait de poser attisa la curiosité de Jessabiel qui lui demanda juste après ce qui n’allait pas.
- Gadriel, si quelque chose ne va pas, fais-le-moi savoir s’il te plaît, poursuivit-elle.
- Tout va bien, Jessabiel.
La jeune fille ne croyait absolument pas à ce que venait de lui dire Gadriel, d’autant plus qu’elle pouvait clairement voir que le sourire qu’il affichait était complètement faux. Elle s’approchait donc un peu plus de lui et le regarda droit dans les yeux.
- Gadriel, dis-moi ce qui ne va pas. Je vois très bien que quelque chose te tracasse. Je suis ton amie oui ou non ? Tu sais que tu peux avoir confiance en moi, n’est-ce pas ?
Le jeune garçon hésita durant un bref instant, mais finit par céder et lui dire ce qui lui traversait l’esprit depuis son retour de Fjore. Il lui raconta donc tout, de la disparition de sa mère à ses visites quotidiennes au département de recherche.
- Oh ! Gadriel… Je… je ne sais vraiment pas quoi dire. C’est pour ça que tu m’as posé cette question tout à l’heure ? Tu penses que ta mère t’a abandonné ?
Gadriel garda le silence. Au plus profond de lui, il savait très bien que sa mère n’aurait jamais pu faire une chose pareille, mais les paroles de cet agent des forces de l’ordre avaient semé le doute dans son esprit.
- Gadriel…
- Je n’en sais rien, Jessabiel. Je n’en sais strictement rien. Je sais même plus quoi penser de tout ça. Entre ce que cet agent m’a dit et…
- Oh, non ! Il est quelle heure ? demanda brusquement Jessabiel prise de panique.
Gadriel la lui indiqua alors, ce qui renforça le sentiment de panique de la jeune fille. Au même moment, une personne au loin se mit à hurler son nom. L’expression de Gadriel devint alors beaucoup plus sévère tandis qu’il reconnaissait la voix de l’individu qui ne faisait que crier le nom de Jessabiel.
- Qu’est-ce qui fait ici ? Comment il a su qu’on était là ? Est-ce que c’est elle qui l’a informé ou… ? se demanda-t-il.
- Reigns ! Nous sommes ici !
À mesure que le frère de Jessabiel s’approchait d’eux, et plus l’expression de Gadriel devenait de plus en plus sévère. Il n’avait clairement pas envie de se retrouver à proximité de lui.
- Jess ! Qu’est-ce que tu fous dehors avec lui à une heure pareille ? questionna Reigns au moment où il arriva auprès d’eux.
- Tu sais, le « lui » a un nom.
Reigns ignora complètement Gadriel et continua de s’adresser à sa sœur, poussant alors le jeune garçon à dire qu’un inculte comme lui ne savait toujours pas ce qu’était la politesse.
- Qu’est-ce qu’elle vient de dire le microbe ?
Le frère de Jessabiel qui était physiquement plus imposant que Gadriel s’approcha de lui, bien déterminé à s’en prendre à lui. Cependant, c’était sans compter l’intervention de la jeune fille qui se mit entre les deux garçons, empêchant ainsi le pire de se produire.
- Ça suffit tous les deux !
- Jess, je pensais que tu serais de mon côté et non de celui de ce microbe.
- Si je suis un microbe, alors comment devrais-je appeler une personne moins intelligente que moi ?
- J’ai dit, ça suffit !…
Parce qu’elle avait cette fois-ci haussé le ton, le trio attira l’attention des autres personnes qui se trouvaient à proximité d’eux.
- Regardez ce que vous avez fait. Tout le monde a maintenant les yeux braqués sur nous, poursuivit Jessabiel.
- Nous ? Pourquoi je suis inclus dedans ? En plus, c’est toi qui viens tout juste de crier, Jess.
- Reigns, ne m’énerve pas. D’ailleurs, tu fous quoi ici ?
- Père m’a ordonné de venir te chercher. Nous devons immédiatement nous rendre auprès de lui.
- Tu peux avancer. Je te rejoindrai dans quelques minutes.
- Jess, Père n’aime…
- Reigns, je t’ai dit d’avancer.
C’était la première fois que Gadriel voyait la jeune fille se comporter de la sorte, ce qui l’étonna énormément, mais l’effraya également. Toutefois, il était content de voir qu’elle s’en prenait à son frère, il méritait amplement. Et parce qu’il était satisfait par la tournure que prenait la conversation et aussi parce qu’elle faisait directement face à Reigns, le jeune garçon ne remarqua pas le léger changement dans la couleur des yeux de Jessabiel, ses pupilles devenant soudainement rouges. De son côté, Reigns n’eut d'autre choix que d’obéir à sa sœur et s’éloigna donc d’elle et de Gadriel. Néanmoins, avant de s’en aller, il lança une toute dernière menace à l’encontre de Gadriel, l’insultant une fois de plus et lui disant qu’il ne paierait rien pour attendre.
- Ouais, c’est ça.
Dès que Reigns fut suffisamment loin, Jessabiel s’excusa immédiatement auprès de Gadriel pour ce qui venait de se produire.
- Tu n’as pas à t’excuser. Ton frère est juste un co…une personne qui aime chercher les ennuis.
- Je pourrai dire la même chose de toi.
- Mais je n’ai rien fait.
- Dit-il. Quoi qu’il en soit, pour revenir à ce dont nous parlions avant l’arrivée de mon frère, je suis certaine que ta mère ne t’a pas abandonné. Aucun parent ne ferait consciemment une chose pareille. D’ailleurs, je suis sûre qu’elle ne va pas tarder à rentrer. Qui sait, peut-être que tu la verras demain matin à ton réveil.
- Je ne sais pas, Jessabiel. Ça fait déjà plusieurs semaines et elle n’est toujours pas de retour. Eve m’a dit que c’était normal, que son travail demandait parfois qu’elle s’en aille pendant des semaines, mais là c’est différent.
- Gadriel, il faut que tu arrêtes d’être aussi pessimiste. Rien de bon n’arrivera si tu continues de penser ainsi.
- Ce n’est pas facile, Jessabiel. J’ai beau tout faire pour garder le moral, mais plus les jours passent et plus je me dis que…que… En plus, cet agent m’a dit…
À ce moment, la jeune fille s’approcha soudainement de Gadriel, attrapa ses deux mains, et le regarda droit dans les yeux. Ce dernier ne put alors pas s’empêcher de rougir, pensant qu’elle était beaucoup trop proche.
- Gadriel, ce que cet agent a pu te dire n’a aucune importance. Une mère n’abandonnerait jamais son enfant. Je suis sûre qu’elle reviendra dans peu de temps, fais-moi confiance. Et si elle n’est pas chez toi demain matin, je te promets de t’accompagner à Fjore. Et s’il le faut, j’irai moi-même engueuler ce fameux agent des forces de l’ordre pour qu’il se mette au travail.
Les paroles de Jessabiel remontèrent le moral de Gadriel qui se dit qu’Eve et elle avaient toutes les deux raison. Il n’y avait aucun moyen que sa mère puisse volontairement l’abandonner. Ce n’était pas dans le comportement de la femme qui l’avait élevé de faire une chose pareille.
- Merci beaucoup, Jessabiel. Merci pour ton soutien.
- Tu n’as pas à me remercier. Les amis sont faits pour ça.
De la même façon dont elle avait saisi ses mains, Jessabiel les lâcha avant d’annoncer à Gadriel qu’il était temps pour elle de rentrer chez moi, ajoutant par la même occasion que Reigns l’attendait toujours.
- Je comprends. Ton père te fait appel.
- Oui. Et il a horreur de patienter. On se voit donc demain. Tu me diras si ta mère est revenue. Bonne soirée, Gadriel, rétorqua-t-elle avant de courir en direction de son frère.
- Bonne soirée, Jessa…biel !
À mesure qu’elle s’éloignait d’elle et plus le jeune garçon replongeait dans une monotonie marquée par un profond sentiment de manque. Il réalisa qu’il venait de manquer une opportunité de dire à Jessabiel ce qu’il éprouvait pour elle et savait également qu’il y avait très peu de chances qu’il trouve sa mère en rentrant chez lui. Cependant, il croyait en ce qu’elle lui avait dit et garda donc espoir. Ce fut donc avec ses paroles en tête que Gadriel quitta le parc quelques minutes plus tard et prit la direction de son domicile.
*
Après plusieurs dizaines de minutes de marche, Gadriel arriva finalement devant son domicile et, pendant un long moment, il resta debout devant celle-ci à observer les fenêtres. Les paroles de Jessabiel résonnaient toujours dans sa tête et il s’imagina alors trouver sa mère en train de préparer le dîner au moment où il franchirait le pas de la porte. Ce fut donc plein d’espoir que le jeune garçon se précipita à l’intérieur de sa maison.
- Mère, êtes-vous là ? questionna-t-il, le visage enjoué.
Malheureusement, Gadriel n’obtint pas la réponse qu’il avait espérée et fut au contraire accueilli par la voix d’Eve qui lui dit qu’ils n’étaient que tous les deux dans la maison arbre. À cet instant, le visage enjoué du jeune garçon disparut pour laisser place à une expression témoignant du triste retour à la réalité qu’il subissait.
- Je vois.
En entendant le ton de sa voix, la jeune femme numérique comprit à quel point Gadriel était dévasté par la réalité qu’il vivait désormais. Elle ne savait pas ce qu’il avait traversé au cours de la journée, mais sa réaction lui disait qu’il s’était vraiment attendu à revoir sa mère en rentrant. Elle se matérialisa alors devant lui dans l’optique d’essayer de lui remonter le moral, mais au moment où elle s’apprêtait à lui adresser la parole, ce dernier se mit à lui parler.
- Si tu veux bien, Eve, je pense que je vais aller me coucher, dit-il en passant à côté d’elle.
Incapable de dire quoi que ce soit, la jeune femme observa Gadriel monter les marches d’escalier et se rendre dans sa chambre où il se coucha sur son lit avant de se mettre à pleurer. Ne supportant pas de le voir dans cet état, Eve voulut aller le réconforter, mais elle se dématérialisa brusquement et toute la demeure fut soudainement plongée dans l’obscurité. Gadriel, qui n’avait absolument pas remarqué cela, continua de sangloter avant de finalement s’endormir près d’une dizaine de minutes plus tard.
A suivre !!!
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