2.

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Je suis allongée sur la banquette arrière de la voiture. Mes pieds sont bloqués dans la portière. Mon sac à dos me scie les épaules, mon côté droit est collé-serré au gorille qui a dû me malmener. La cagoule me maintient dans un noir absolu, j'étouffe, et, par-dessus l’odeur de patchouli, celle de la sueur s'ajoute et me donne la nausée. C'est pas vraiment une excursion Club Med. Je grogne.

— J’ai mal, je suis installée de travers. Mon sac me blesse. Et puis, vous êtes qui d’abord ? Une bande d'affreux ? Les salariés d'une caméra cachée ?

Pas de réponse.

Le malabar de droite me donne un coup de pied dans le tibia pour toute réponse.

— Aïe ! Mais vous êtes qui enfin ? Je vous préviens, je vais me plaindre à la direction !

Un grésillement. Le type de devant a allumé son talkie-walkie.

— Ici BBG 32, pour le central. Vous me recevez ?

— Ici le central, on vous reçoit, BBG 32, soixante-douze sur cinq, identifiez- vous !

— Matricule 32-1, mission Olé olé 1243, en kidnapping régulier.

— Quel est le problème ?

— Le colis 264 se rebiffe. Elle ne va pas tarder à nous soûler. Demande instructions à son sujet.

Crrr ...crrr... crrr...

— Centrale, répétez s'il vous plait, je ne comprends pas bien. Il semble qu'il y ait de la friture sur la ligne. Un ban de maquereaux ou deux qui passent.

Il est temps que je m'en mêle.

— Ouais bon, on n’est pas à la mer non plus les gars, hasardé-je. Vous pouvez m'expliquer ce qui se passe?

Une petite tape de mon voisin sur l’arrière de mon crâne me rappelle la situation inconfortable dans laquelle je me trouve.

— Aïe, gémis-je.

Soudain le talkie-walkie retrouve une seconde jeunesse et un son clair et parfaitement distinct s’en échappe :

— ICI LE CENTRAL, VOUS AVEZ L'AUTORISATION : FAITES LA TAIRE !

Ce ton féminin, mielleux, puissant me rappelle une voix que je connais. J’essaie de me concentrer sur mes souvenirs mais dans le brouillard des limbes de mon cerveau je n’arrive pas à retrouver la propriétaire de ce timbre précieux.

— Allez Jojo, t’as entendu la patronne ? On a le feu vert. Occupe-toi d’elle. Réduis-la au silence. Qu'on en finisse !

Il n’a pas terminé sa phrase qu’un fort bruit de klaxon se déclenche dans la voiture. Je suis sourde dans la foulée. Le bruit est tellement insupportable que le conducteur est obligé de s’arrêter de conduire. On dirait un groupe de Métal Rock qui chante Pandi Panda de Chantal Goya. Je porte mes mains sur mes oreilles à travers la cagoule. Le son traverse mes mains, le tissu, mes tympans. La voiture tremble au rythme des vibrations intenses. Les sièges suivent le mouvement, j’ai l’impression d’être dans un vibro masseur.

— Purée, gueule Jojo à l’attention du type au talkie-walkie. T'as prononcé le mot interdit. L'alarme s'est déclenchée. On a déjà pris deux avertissements cette semaine. Tu sais ce que ça veut dire ?

Le mec de devant souffle, déprimé :

— Je sais Jojo, je sais.

— Cette fois, on te dénonce, râle le conducteur en tentant des manœuvres sur le tableau de bord pour stopper le bruit insupportable. J’en ai marre de me taper des blâmes à cause de toi. Ça t’apprendra à faire attention.

La sonnerie se coupe enfin. Les voyageurs soupirent d’aise. C’est vrai que ça fait du bien.

— Purée les radars de vocabulaire sont de plus en plus sensibles, la dernière génération ne laisse plus rien passer.

Je ne comprends rien à ce qu’ils racontent. C’est complexe. Dans la mesure où je sors juste d’un rêve étrange, je me pince le bras pour vérifier que je suis bien réveillée. Mais oui, pas de doutes.

— Dites-donc les gars, je leur dis, je suis drôlement mal installée. On ne pourrait pas m’arranger un peu mes conditions de détention ?

Le type de devant s'énerve :

— Jojo, AGIS. Fais la taire. Depuis quand les kidnappés nous soûlent comme ça ?

— Bien, chef.

Jojo s’approche. Je sens son souffle fétide dans mon cou, puis un coup sec me libère les épaules. Je crois qu’il vient de trancher les deux sangles de mon sac à dos.

— Eh mon sac à dos ! je gueule. Il m’a couté un bras.

— Ouais, mais de toute façon là où tu vas, t’en auras pas besoin !

Il me redresse violemment sur le siège et me remets une tape dans le cou.

— Voilà là, t’es mieux installée, pas vrai. Et, maintenant tu te tais !

La voiture redémarre, ronronne. J’entends les bruits de la circulation. Je pense qu’on a passé la rocade et qu’on s’éloigne du centre-ville mais je n’en suis pas sure.

— Il est quelle heure ? demandé-je.

— Chais pas, réponds Jojo. Hé, Bébért, on ne peut pas lui filer un calmant ?

— Non Jo, la patronne a dit qu’il fallait la livrer en bon état.

Je relance :

— Non, mais il est quelle heure ? J’ai un train à prendre....

— Presque onze heures, finit par céder Jojo.

— Ben voilà, c’est malin ... j'ai raté mon train !

— De toute façon il y a grève, aujourd’hui. Voilà, maintenant tais-toi ...

Le trajet se poursuit dans un silence relatif. On entend le diesel en même temps qu'on le renifle, Jojo qui respire fort, Bébert qui pète.

Il me semble qu’on roule depuis un bon moment, je m’assoupis tout doucement. J’essaie de retenir ma tête qui dodeline dangereusement en direction de Jojo, pas question de le toucher.

Un cri de Jojo me réveille :

— STOP ! ARRÊTE-TOI RODOLPHE ..... Y EN A UNE, .... Juste là.

La voiture pile.

— Ben non, je n’en vois pas, répond Bébert, t’as vu une cible, toi ? Où ça ? Je ne vois que le ciel qui poudroie ...

— Mais non pas une cible, idiot, mais un vendeur de chocolatine ! Juste là, regarde. Allez, on en achète ! J'ai trop faim !

Je suppose qu’il tend le bras pour montrer une boulangerie. Jojo ouvre la fenêtre, c’est vrai que ça sent drôlement bon le chocolat. Je salive.

Mais Bébert ne l’entend pas de cette oreille :

— On ne dit pas chocolatine, mais pain au chocolat, Jojo ! T'as bien suivi les cours de maintien non ?

— C’est pareil, argumente Jojo.

Alors là, je suis bien d’accord avec Jojo, pour une fois ! C’est bien le goût qui compte.

— Mais non, tu sais bien que ce n'est pas du tout pareil ! Et là tu me laisses pas le choix Jojo, je suis obligé de te signaler à la CBC.

Bébert saisit son talkie-walkie pour rapporter l’incident.

J’entends Jojo renifler à côté de moi et, tout d’un coup, il est secoué de sanglots violents.

— S’il te plait Bébert...Ne fais pas ça ! Je ne recommencerai pas ...

J'ai presque pitié de mon agresseur, j'étouffe un sanglot de compassion et je lui presse gentiment le genou pour le réconforter. Mais rien n'y fait !

— Tu ne me laisses pas le choix Jojo, désolé ...

Bébert, intransigeant, se met à parler dans le talkie-walkie. Je le trouve un poil psychorigide ce gars.

— Ici BBG 32, pour le CBC.

La réponse ne tarde pas :

— Ici le CBC, j’écoute !

— On a un code d’alerte dans notre véhicule. Niveau rouge.

— Je vois. On a une session de libre demain matin, déposez l’individu en arrivant au centre.

— Merci.

Jojo finit par une plainte qui me déchire les entrailles :

— Mais je déteste la purée de Brocoliiiiis ....

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