La voiture ralentit doucement, avant de s'arrêter brusquement. J'entends le mécanisme d'une grille qui cliquette. Notre véhicule s'engage sur un long chemin de petits cailloux qui crissent sous les pneus. Il ne manque plus que le croassement d’un corbeau.

Croa croa croa, s'empresse le préposé aux bruitages, sur un arbre perché.

En fait non, tout y est. On arrive sans doute à l’Overlook Hôtel. J’ai l’impression que le trajet sur l'allée dure une éternité. Je commence à me dandiner sur le siège arrière.

— Dites-donc les affreux, nous sommes où exactement ? Vous voulez bien m’expliquer ce qui se passe ?

— Nous sommes arrivés, bougonne le conducteur du carrosse.

Il tire le frein à main pour se garer en fanfare. Le mec se croit sur une parking de supermarché.

Il conclut par un long appui sur le klaxon, qu’il relance plusieurs fois : soit les propriétaires des lieux sont sourds soit les piles de leurs sonotones sont nazes. Ou alors on est vraiment sur le parking d’un Géant Casino dans une voiture de kéké qui va faire des dérapages. Ils aiment bien le klaxon. Les portières s’ouvrent et des mains puissantes me sortent sans ménagement de ma prison de métal.

On me pousse un peu plus loin avant de m’ôter le sac noir qui me couvre la tête. Je respire une grande goulée d’air frais, je tousse un peu, je cligne des yeux. Il me faut quelques instants avant de comprendre l’environnement qui m’entoure. Autour de moi point de caddie mais des champs, des prés avec des moutons paisibles. Un peu plus loin, des bois. Mon regard se concentre sur un chemin de gravillons qui mène à l’entrée d’un grand pavillon surmonté d’un énorme logo BBG.

— On est où ? C’est quoi ce BBG ? Beaucoup de Beaux Gosses peut être ? demandé je, intéressée.

En même temps, ils doivent être bien cachés les bogosses. Ca sent l’urine de bovins dans le coin. Pas très sexy comme environnement.

— Oh non je sais ! BBG c’est pour BarBecue Géant, je m’exclame. Oh la bonne blague. C’est le délire, vous êtes des copains de Nico mon cousin ? C’est une enlèvement surprise ? Niiiicoooo ....

J'ai posé la question à un gars situé derrière moi, qui porte la cinquantaine et la brioche bedonnante avec peu de classe. Il doit s’agir de Bébert puisque c’est marqué dessus, comme le Port Salut. Il est moulé dans un Tshirt blanc avec une grosse inscription noire qui lui barre la poitrine : Bébert 1. On ne peut pas se tromper. Je me tourne de l’autre côté du chemin et, penaud, l’oreille basse et les yeux fixés au sol se tient Jojo qui, vous vous en doutez, porte le même Tshirt blanc moulant mais avec ... Jojo 32. Presque normal. De l’autre côté de la route, il y a le chauffeur ... mais, lui, n’a pas de Tshirt. Il est couvert d’une grande robe noire avec une collerette rouge, d’un style très étrange. Tous portent des lunettes de soleil alors que le temps ne s'y prête guère. La logique vestimentaire de cette surprise party m'échappe totalement.

— Dites fallait le dire si il fallait une tenue spéciale ? C’est une sorte de carnaval foireux ? J'ai pas ce qu'il faut dans le sac à dos. Nico, sort de ta cachette tout de suite ! Il faut qu’on parle. Nico ?

Mais personne ne surgit et le vent est le seul à me répondre avec une plainte qui glace le sang. Les autres sont étranges, on dirait qu'ils osent à peine me regarder.

— En avant ! annonce Bébert. Jojo on commence par te déposer au centre de remise en forme. Un cours de CBC est indispensable pour te remettre dans le droit chemin.

Jojo regarde par terre, je vois qu’il a l’air dépité, au bord des larmes.

On le jette devant un bâtiment noté CBC en gros avec en plus petit en dessous Cours du Bien Causé.

Cours du Bien Causé, je me demande bien ce que cela veut dire ... Jojo renâcle un coup pour y entrer alors Bébert le pousse d’une bonne tape dans le dos. Deux femmes en robes noires avec une collerette rouge se précipitent pour le prendre bras dessus-bras dessous et le tirer à l'intérieur. Il essaie de ralentir sa progression en trainant des pieds dans les cailloux et crie une fois ou deux :

— Je ne le ferai plus, je ne le ferai plus ...

En vain. La porte se referme sur ses jérémiades, le silence revient.

— Allez, en route, me dit Bébert ... Nous, on va là. Ils vont tout vous expliquer !

Il me montre le gros bâtiment noté BBG et je me réjouis à l’idée de me taper une série de saucisses bien cuites avec du ketchup.