4.
Je déchante rapidement. A l'intérieur, il fait sombre et ça ne sent pas du tout la merguez grillée. Il y a bien une odeur qui nous enveloppe mais elle est déplaisante, aigre et attaque le palais. On dirait une espèce de mélange de crottin de chèvre et de bouse de vache mais n'étant pas une experte en déjection, je peux me tromper. En tous cas je dirais que c'est animal et drôlement puissant.
— Vous faites quoi ici, je demande à Bébert, du concentré de crottin ? BBG c'est pour Bouse de Biquette en Granules ? Vous faites sécher des crottes ? Je ne voudrais pas me plaindre mais ça pue un peu. Une sorte de production d'engrais biologique peut-être ?
C'est la mode, tout le monde devient écolo et je suppose que les bobos parisiens s'arrachent les sacs de caca lyophilisés pour faire pousser des tomates sur leurs balcons.
— C'est ça, Bébert ? Vous pouvez m'expliquer ce que je fais ici ? Ça devient pénible votre silence! D'ailleurs, vous savez quoi, je vais rentrer chez moi maintenant. C'était distrayant cette balade en voiture, vous direz à Nico qu'il a une imagination délirante et, ce n'est pas que votre compagnie soit déplaisante, mais, enfin, vous voyez ...
Bébert number one ne répond pas. Il est concentré sur une tablette fixée au mur sur laquelle il pianote des tas de chiffres et pas mal de lettres, aussi.
— Oh oh, Bébert, vous m'entendez ? Youyou, je m'en vais ... Je rentre à ma maison ... Ce n’est pas le moment de faire votre tiercé !
D'ailleurs, pour joindre le geste à la parole, je me retourne pour prendre la direction de la porte d'entrée. C'est le moment où je découvre que nous sommes suivis par trois dames, vêtues avec des robes noires à collerettes rouges, qui me font signe d'un non non de la tête que je ne suis pas invitée à faire un demi-tour. L'air peu avenant de ces corbeaux à cols rouges, assorti d'une hauteur bien supérieure à la mienne, me contraint à renoncer à mes plans diaboliques d'évasion. Je trottine vers Bébert beaucoup plus sympathique que ces zombies. Je ferais mieux de m'en faire un allié.
— Dites donc, mon cher Bébert, elles n’ont pas l'air commode, commode, vos camarades. Faudrait peut-être leur dire de s'habiller avec des couleurs plus avenantes : du bleu, du rose, je ne sais pas quelque chose de plus riant... Tout ce noir ne met pas leur teint en valeur... On dirait des ...
— Taisez-vous malheureuse ! me coupe Bébert, ne dites plus un mot où vous risquez le stage au CDC... Vous ne savez pas ce que vous dites !
C'est la première fois que Bébert m'adresse la parole depuis le début de notre promenade. Je me rappelle du cœur meurtri de Jojo à l'idée de son stage au CDC et je comprends d'emblée qu'il vaut mieux que je me taise tant que je n'ai pas mieux cerné la situation.
Il appuie sur la touche verte en bas de la tablette et un sas s'ouvre devant nos yeux.
— Allez-y rentrez, me souffle-t-il. Faites ce qu'ils vous disent et tout se passera bien.
Il appuie sur la touche d'un interphone et annonce :
— Ici Bébert 1 de BBG 32, colis 264 déposé en cabine. Fin de mission.
— Reçu Bébert 1, vous pouvez disposer.
J'hésite à rentrer dans la pièce, Bébert m'y pousse. J'entends le chuintement de la porte qui se referme derrière moi. La pièce est plongée dans le noir et clignote une paire de fois le temps que les néons qui la tapissent se stabilisent.
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