Ça roule !

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Je crois que ça a commencé à dérailler quand ils ont modifié les règles pour les subventions. Avant, c'était ric-rac, mais après je ne m'en sortais plus.

Avec Marcel et Guy, on avait décidé de rester ensemble après notre démobilisation. Pas ensemble-ensemble ! On n'en est pas ! Mais de trouver un point de chute où on pourrait continuer de se voir. Marcel poursuivait dans la gendarmerie. Une fois son affectation connue, j'ai cherché et c'est là où on m'a proposé de devenir éleveur de cochons. Je n’y connaissais rien, mais on m'a assuré que ce n'était pas difficile et que n'importe quel imbécile pouvait y arriver. Difficile de dire non. Guy, on a jamais bien compris. Il est dans les affaires et il peut faire ça de n'importe où. Je ne veux pas juger un ami, mais ça a l’air un peu foireux, car on ne peut pas dire qu’il roule sur l’or.

Depuis que le porc est la seule viande autorisée, la production ne suit pas, parait-il. Il me donnait les bâtiments et le logement, enfin je n'avais rien à payer pour les occuper, les porcelets, la nourriture et il revenait ramasser les cochons engraissés. Facile !

Pour la nourriture, il fallait mélanger deux trucs. Ils apportaient du centre de tri ce qu'ils appelaient le compostable. On devait le laisser murir dans des silos, puis ajouter la farine, comme ils disaient. Je ne suis pas très malin, mais après que j'ai trouvé une dent dans la farine, je suis allé chercher sur internet. Pas sur l'internet officiel, bien sûr, l'autre. Je savais comment faire pour ne pas me faire prendre : vous connaissez le tarif !

C'est bien ce que j'avais déjà entendu. Depuis que les services funéraires étaient libres et obligatoires, plus personne ne savait ce que devenaient les corps. Je ne parle pas des importants dont on nous montrait les funérailles. Je vous cause du tout-venant, des morts comme vous et moi. Après, j'ai compris où ils finissaient ! Autant être utile jusqu'au bout.

On passe sur le scandale des maisons de vieux, quand il faut faire de la place. Chaque fois, il y a un mec pour nous raconter qu'il y a eu une épidémie. Ça prend pas, mais ce ne sont que des rumeurs… En tous les cas, on n’a jamais manqué de farine.

Il y a longtemps, il y avait eu une sale histoire avec des farines faites avec des bêtes malades. Avec ce système, en la donnant à bouffer aux cochons, pas de problème ! Enfin, on n'en entendait pas parler. Le gouvernement devait faire son job.

Avec d'une part les ordures mangeables, d'autre part la poudre, la nourriture était donc à basse émission de carbone, sans trucs importés et sans saloperies. Il suffisait que les bestioles puissent courir un peu, et ils avaient le label écolo-national ! Pas plus difficile que ça.

Bon, des fois j'oubliais de les sortir, ou de les rentrer. C'était toujours quand Marcel et Guy étaient passés. On parlait beaucoup et ça donne soif. Souvent, le lendemain, je me levais trop tard, et ça ne valait plus le coup de les sortir.

J'avais quand même la certification. C'est trop drôle : il faut que je vous raconte comment je l'ai obtenue. Quelques mois après mon installation, ils sont venus à deux. Vous savez, depuis que les contrôles ont été confiés à des sociétés privées pour plus d'efficacité, ils peuvent débouler n'importe quand. On m'avait prévenu, pas de souci. J’avais payé pour.

Les deux clampins faisaient la fine bouche. Ils avaient trouvé les cochons enfermés (j'avais été malade d'une gueule de bois pendant plusieurs jours, pas de ma faute !), c'était sale (ben oui, les cochons sont des porcs), la nourriture mal préparée (j'aime pas les trucs compliqués). Bref, ils chipotaient et ça commençait à tourner vinaigre. Pourtant je les avais invités à prendre un café. Mon intérieur n'est pas nickel, mais toutes les meufs que j'ai ramenées se sont tirées avant d'avoir fait le ménage !

Donc, ils étaient là à pinailler. J’avais bien vu la bosse sous leur veste, mais ça ne m’impressionnait pas plus que ça. Je les écoutais dérouler leurs objections, regardant leurs belles chaussures devenues des pieds merdeux. Puis j'en ai eu marre. Avant qu'ils comprennent, j'avais le fusil en main, pointé vers celui qui paraissait être le chef. L’autre calcula vite qu'au mieux il risquait de rentrer seul. Il se tenait sage. Ils changèrent de discours. On pouvait toujours s'entendre. La proposition qu'ils me firent était tellement énorme que je les chassais. Du racket, il en faut un peu, mais là, c'était juste impossible. Il ne me serait rien resté ! Des imbéciles, car on ne tue pas la poule qui donne le lait !

Je savais qu'ils allaient revenir. J'avais dans ma poche depuis un petit joujou que j'avais rapporté de mon occupation précédente. C'était interdit, mais tout le monde le faisait. Ils fermaient les yeux, sans doute en pensant que quelques mecs bien armés, avec la tête bien droite, disséminés dans la population, ça pouvait être utile. Rapport à l'insécurité, aux colorés et aux fadas qui croyaient encore qu'on pouvait changer la société en foutant le bordel.

Ils sont arrivés à quatre, dans un engin énorme. Trois balèzes sont descendus, alors que le dernier restait dans la voiture à pianoter. J'ai écarquillé les yeux en regardant derrière eux. La vieille ruse habituelle ! Le temps qu'ils se retournent, le joujou était sous le véhicule, dégoupillé. Le temps qu'ils comprennent, ils étaient à plat ventre. Tout flambait, y compris le pianoteur, quand ils se sont relevés. Sauf que moi, je tenais un flingue. Ils sont partis alors que je leur criais de ne pas oublier de m'envoyer la certification. Vous me croyez si vous voulez, mais je l'ai reçue quinze jours plus tard ! Et elle arrive bien chaque année. Comme quoi quand on prend la peine de s'expliquer, les gens sont compréhensifs ! Et mes cochons de qualité.

Compréhensifs, mais pas soigneux pour autant. C'est moi qui ai dû retirer la carcasse de la bagnole, une fois refroidie, pour la balancer dans le bordel qu'il y a derrière la grange. J'ai pas trop fait attention, mais je n'ai rien vu qui restait du cramé.

Bref ! Je ne vais pas vous embêter avec mes problèmes de petit entrepreneur. C’est pas le luxe, mais j'avais de quoi vivre, sans trop me fouler. Les mecs du conglomérat m’engueulaient régulièrement, car le nombre de porcs qu'ils ramassaient par rapport au nombre de porcelets n'était pas bon. Pas ma faute si leurs bestioles crevaient. Je ne perdais rien. Avec ma broyeuse, je recyclais les carcasses des bêtes mortes. La subvention était versée par porcelet reçu, donc c'était sans importance.

Ils avaient mis au point ce système et ça marchait plutôt bien. Je savais qu'il restait quelques vaches, et autres animaux à bouffer, car certains de nos dirigeants aimaient ces viandes, malgré leur très mauvais impact. Les volailles, ils les avaient supprimées pour des raisons sanitaires. Ça n’embêtait que ceux qui ne mangeaient pas de porc, donc c'était sans importance.

Ils avaient interdit toutes les autres viandes. Comme ça, ceux qui ne voulaient pas en manger devaient s'en passer ou devenir végétariens et dépérir ! Ça explique la pression qu'ils nous mettaient.

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