L'épopée glaciaire, (2)
"J'ai été con. J'aurais dû me douter qu'un type ne pouvait pas bosser dans la pègre sans avoir subit de traumatismes. Tout ça c'est bien réel pour lui, je m'en rendais pas compte. Pour moi, ça n'avais pas vraiment d'importance, mais ses émotions et son vécu sont réels. Et je l'ai blessé, pour de vrai."
Le malaise semblait étirer le temps autour de lui, faisant de chaque instant de silence maussade une douleur cinglante qui paraissait durer plus longtemps (environ un mois) que réellement.
— Je suis vraiment désolé, Lucio.
Ce dernier se contenta de pousser un grognement.
— Mais c'est pas vrai, arrête de faire ta pleureuse, t'es un putain de gangster je te rappelle !
— Pas sûr que ça soit comme ça qu'il faut s'y prendre... marmonna Magalie.
— C'est ridicule, on va pas passer notre temps comme ça, on est des adultes, merde !
— Les adultes aussi ont le droit de souffrir.
— Tu m'aides pas là Magalie...
Marlowe laissa un peu de temps couler avant de reprendre ses tentatives :
— Bon, Lucio, vas-y, explique-nous un peu cette histoire de chevaliers de l'enfer.
— Plus envie, rétorqua simplement l'orphelin.
— Oh nan mais arrête de faire ton boudin de petit enfant, ça suffit !
— Pfff...
— Allez, s'il te plait, Mafia Killer.
Le visage de Diceni s'éclaira d'un léger rictus, qui disparut aussitôt.
— Ça marchera pas à tous les coups...
— D'accord, mais ça m'intéresse cette histoire, pour de vrai.
— Mon cul ouais. Tu t'en fous de ce que je pourrais bien te raconter à propos des démons de l'Apocalypse. Tout ce qui t'intéresse c'est que je ne sois plus fâché.
— Et ça déjà, ça ne suffit pas ? Et puis, sérieusement, si ces créatures sont si dangereuses que tu nous l'a signalé, il faut qu'on sache comment s'en débarasser.
— On ne peut pas.
— Comment ça ?
— Ils sont invulnérables, rien ne pourra les arrêter.
— Je suis sûr qu'il existe un moyen.
— Pas à ma connaissance. Ce sont des monstres de nature quasi-divine. La prophétie raconte qu'ils descendront sur Terre quand ils estimeront que le temps des êtres vivants dessus sera venu. Ils observeront un moment nos faits et gestes pour s'assurer du bienfondé de leur destruction à venir, et s'entraîneront à nous exterminer avant de déchaîner l'Apocalypse elle-même. D'où les signes précurseurs que nous observont. Et nous, simples mortels, sommes impuissants. Ça ne veut pas dire que nous ne devons pas essayer de nous battre un minimum ! Nous mourrons, c'est certain, mais nous mourrons de la manière la plus noble qui soit ; en affrontant contre tout espoir des créatures invulnérables.
— Brrr, ça fait froid dans le dos ! s'exclama Thierry.
— Oui, pour le coup, je partage les craintes de Nathalie, affirma Magalie.
— Je me suis chier dessus de peur, avoua sobrement Pablo. J'en ai plein dans mon futal.
— Rassurez-vous, fit Marlowe, nous ne craignons rien, j'en suis persuadé.
— Hein ?
— Je vais vous expliquer. Déjà, dites-moi, comment est notre monde ?
— Brutal, violent, déprimant, soupira Diceni.
— Complètement foufou ! s'exclama Thierry.
— Merveilleux, et parfois terrible, nuança Magalie.
— Omelettoïdale, répondit Pablo.
— Non, non et non. Et what the fuck Pablo ?
Pablo haussa ses épaules d'incertitude.
— Non, notre monde est réaliste. Et donc tout ça n'existe pas. Ecoutez-moi jusqu'au bout. Puisque nous vivons dans un récit réaliste...
— Oh naaaan ! s'écria Magalie
— Et il recommence ! s'énerva le mafieux.
— J'ai dit "écoutez-moi jusqu'au bout". En plus, Magalie, je pensais tu me croyais un minimum là-dessus, à moins que tu n'ais fait semblant pour me remonter le moral. Et, Lucio, si je dois croire à tes histoires, écoute au moins les miennes... Bon. Donc, puisque nous sommes dans un récit se basant dans un cadre réaliste, alors l'intégralité de l'histoire est réaliste.
— Mais, et les fantômes, on les a bien vu... objecta Magalie.
— C'est ce que nous croyons avoir vu ! Notre histoire réaliste paraît peut-être un peu fantastique par moments, mais c'est juste pour le suspens, pour la tension. Tout est crédible, la vérité finira bien par être dévoilée. Derrière chaque événement paranormal se cache une explication rationnelle que, j'en suis persuadé, nous ne tarderons pas à découvrir. C'est comme Nathalie qui pensais que nous étions bloqué dans une sorte de Purgatoire alors que la météo s'était simplement trompée. Tout à un sens et l'unité de réalisme sera conservée tout du long, je le sais, je le sens, c'est un des pouvoirs que j'ai.
— Alors ça veut dire que je me suis souillé pour rien ? s'attrista Pablo.
— Euh... Oui, désolé.
— Mais comme nous sommes dans une histoire qui n'existe pas vraiment, raisonna Thierry, alors ta merde aussi est fictive !
— Ouf ! J'ai cru pendant un instant que je m'étais foutu le honte pour de vrai ! Ahah, quel soulagement !
— Waw, vous m'impressionnez Thierry, avoua Marlowe. Je ne vous pensais pas capable d'une telle réflexion. Je pensais le contraire, mais force est de reconnaître que vous êtes plutôt intelligent !
— Je sais, ma mère me le disais souvent ! Je plaisante, elle me battait à coups de ceinture...
— Ton histoire est ridicule mon petit Marlowe, lança alors Diceni.
— Je te demande pardon ?
— ... tout comme mon père, d'ailleurs, souffla Thierry, pris dans un flashback.
— Tout ton raisonnement se base sur une hypothèse avec laquelle je ne suis pas d'accord, et ton seul argument c'est que nous vivons dans un monde cartésien, ce que tu ne peux savoir. Il n'y a qu'en rencontrant une chose étrange que notre univers cartésien passe subitement dans le domaine de la "science-fiction", comme tu appelerais cela.
— Certes, mais il y a aussi le faux-fantastique, où la possibilité d'un événement hors du commun est envisagée, puis démentie. Et c'est ça qui nous arrive actuellement.
— ... mon père qui battait également ma mère... poursuivait Thierry, inconscient des discussions en cours.
— Tiens, pour reprendre ton idée que nous sommes dans une fiction : Tu es exactement l'archétype du personnage insupportable dans les films que le public déteste, parce qu'il refuse de croire les héros, et ce parfois malgré les preuves, et ira jusqu'à leur mettre des bâtons dans les roues, ignorant le danger qui plannent sur eux.
— Pas faux, dit Marlowe.
— C'est tout ?
— Bah, oui, j'ai pas d'arguments à répondre à ça, et continuer de défendre mon opinion face à ça reléverai de la mauvaise foi. Cependant, c'est mon instinct qui me crie de continuer à croire à ma version des faits. Et, puisque nous sommes dans une histoire policière, à la base, que je suis un enquêteur, et que les enquêteurs dans ces histoires doivent toujours faire confiance à leurs intuitions premières...
— ... mon frère me tabassait aussi, faut dire...
— C'est parce que les enquêteurs sont des génies dans ces histoires, mon bon Marlowe.
— Merci pour ce compliment ! plaisanta le Lieutenant.
— C'est absolument pas là où je voulais en venir ! riposta Lucio, un sourire en coin.
— ... mais mes parents le frappaient aussi, alors ça va, je supppose...
— Bon, tout ce qui compte, conclut Framboise, de manière pompeuse, c'est que nous sommes tous ensemble, unis face à l'adversité et aux obstacles qui se mettront sur notre chemin ! Nous ne connaissons pas la vérité de notre réalité, certes, mais ce que nous connaissons, c'est la réalité de nos sentiments ! Ainsi, peu importe les ennemis, les embûches, et peu importe comment notre univers fonctionne, nous serons toujours là les uns pour les autres et triompherons ! Ne nous laissons pas abattre par de vaines querelles, mais profitons d'elles pour renforcer nos liens, et dès lors, même si nous ne savons pas à quoi nous attendre, nous saurons agir en consé...
— Oh mais ferme-la, femme ! lança Marlowe
Lui et Lucio effectuèrent un tope-là gratifiant.
— Bien envoyé, fit le comparse du Lieutenant en souriant.
Magalie voulu faire un scandale et proclamer ses convictions féministes, mais elle se retint pour cette fois-ci : puisque ça permettait à ces deux loustiques de se réconcilier, elle acceptait de prendre sur elle.
Soudain, alors que la bonne humeur investissait progressivement de nouveau la voiture, un bruit se fit entendre à l'arrière de celle-ci. Comme des objets qui tombent. Le silence se fit alors, et nos personnages entendirent un léger remuement, comme un corps qui bouge pour se mettre dans une position plus confortable. Cela ne les inquiéta pas outre mesure, après tout, les choses tombent toutes seules depuis la nuit des temps. Mais il y eut ce bref éternuement. Oui, c'était bel et bien un éternuement, un petit bruit incontrôlable qu'on ne peut contenir. Ce genre de minuscules détails qui peuvent trahir toute présence, compromettre toute opération.
Oui. Quelqu'un était dans le coffre.
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