Changement de plan
La vie allait bon train dans le tank ultra massif. La bonne humeur régnait entre ses occupants. Ching, servant de passerelle, fit s’émerveiller les uns les autres qui découvraient une culture fondamentalement différente de la leur. Les européens et les asiatiques s’expliquèrent également la raison de leur présence ici, leur motivation… Les uns étaient contents ; ils allaient finalement trouver Mardo, pour résoudre « l’enquête de la fin du monde ». Les autres ne boudaient pas leur enthousiasme non plus ; finalement, le temps de l’indépendance et du renouveau était venu.
L’ambiance, qui était à la rigolade, devint, en quelques secondes d’intervalles, tendue. Tout d’abord, Magalie reçu un appel téléphonique. Cinq secondes après qu’elle eut décrochée, une autre voix grésilla dans les communications des tibétains. Celle de Tibex.
— Allo ? Ernest ?
— Camarades, c’est pire que prévu.
— Magalie, c’est urgent ! Vous êtes encore en Chine ?
— Comment ça ? Que se passe-t-il ?
— Pas vraiment, on a passé la frontière, des soldats tibétains nous escortent jusqu’à Mardo.
— Je suis à une centaine de kilomètres de la frontière de notre nation. Je vois du mouvement.
— C’est pas mieux… Mon frère m’a rapporté des infos confidentielles, j’espère qu’il n’est pas trop tard. L’armée chinoise marche actuellement vers le Tibet. Ils vont lancer un assaut colossal pour finalement en finir avec cette « mascarade de révolution », comme leurs dirigeants l’appellent.
— Soit plus précis, je t'en prie.
— C’est terrible !
— J’y venais. Des centaines de milliers de soldats chinois se déplacent vers nous. J’ai intercepté leurs communications. Ils comptent bombarder plusieurs villes, dont Damas.
— Ouais... Ils vont commencer par bombarder les lieux importants, puis ils termineront le travail avec leurs blindés et leurs fantassins qui approchent déjà.
— Bordel… Ils n’ont aucune limite. Combien de temps disposons-nous encore pour faire évacuer les civils ?
— Oh putain. Ils seront là dans combien de temps ?
— Trop peu. Pour l’effet de surprise, les avions décolleront quand les troupes atteindront la frontière, de sorte que les bombardements ne surviennent qu’une vingtaine de minutes avant l’entrée des troupes dans la première ville qu’ils comptent capturer. Vous avez compris ce que ça veut dire ? Vous pouvez allez retarder les troupes chinoises avant qu’elles ne franchissent notre territoire, et ainsi gagner du temps.
— Dans moins de trois heures. Quant à l’aviation… Probablement deux, environ. Faites attention à vous.
Ching Et Magalie raccrochèrent en même temps. Paniqués, ils expliquèrent la situation aux autres. Ching annonça qu'ils se dirigeraient vers la frontière pour prêter main-forte aux soldats les plus proches de celle-ci.
— Et nous alors ? s'interrogea Pablo.
— Ce sera une opération périlleuse, avoua Ching, et il est possible que nous ne nous en sortions pas. Aussi, je vous laisse le choix ; vous pouvez nous accompagner dans les combats – et dans ce cas, je vous prierai de ne pas distraire mes hommes ; ou alors, vous pouvez descendre ici et maintenant. Nous enverrons une petite voiture vous amener à destination.
Deux voix s'entremélèrent. Pour des raisons absolument distinctes, Marlowe et Lucio prononncèrent ces mots à l'unisson :
— On reste !
Les deux compères se dévisagèrent un instant. Cela les arrangeait tous deux, évidemment, néanmoins cette question naquit dans leurs esprits : "Pourquoi il veut venir, lui ? Il a pourtant aucun intérêt à faire ça...".
Ching répondit d'un "Parfait.", suite à quoi il promulgua l'interdiction jusqu'à nouvel ordre d'actionner la boîte à Oui.
Magalie partagea à son collègue ses inquiétudes :
— Attends, on va quand même pas aller à la guerre ?
— Si.
— C'est quoi ces conneries ? Ça nous regarde pas tout ça ! On n'est ni tibétains, ni soldats !
— Au contraire, ça nous regarde, c'est notre devoir d'aider ce pauvre peuple à reprendre ce qui lui revient de droit.
— T'as pété un câble, c'est pas possible ! On va juste crever en fait ! C'est pas des petits rigolos comme nous qui vont changer la donne lors de cette bataille !
— Une fois de plus, tu te trompes.
— Oh nan... Me dit pas que t'es encore dans tes délires de monde fictif...
— Magalie, il ne nous arrivera rien, je peux te l'assurer.
— T'es fou. Tu l'as toujous été. Je le savais. Peu importe ce que tu crois, Marlowe, tu n'es pas le centre de l'Univers. Toi aussi, tu peux mourir. Je te l'assure. Ressaisis-toi, partons d'ici.
— Magalie, tu ne comprends pas ! Un combat de grande envergure avec des enjeux de taille… Il faut absolument voir ça, c’est le genre de trucs qui va captiver les gens, c’est bien pour une histoire… Et puis, peut-être qu’on aura à nouveau l’occasion de voir la brume noire en action… Bref, je ne vois que du positif là-dedans.
— Dans ce que tu viens de dire, je ne vois que du négatif.
— Attends de voir.
— T'es cinglé...
— Crois ce que tu veux. Tu seras bien obligée de voir la vérité en face un jour ou l'autre.
— C'est justement ce que j'allais te dire. Je ne reste pas ici une seconde de plus. Je rejoins Mardo sans plus attendre.
— Tu comptes te balader seule en plein milieu d'un pays étranger ?
— C'est toujours mieux que mal accompagnée, balança sèchement Magalie avant de lui tourner le dos.
Réunis autour du bouton silencieux, les autres européens discutaient de la décision de Lucio.
— Pourquoi t'as dis ça ? demanda Pablo. Tu comptes nous amener à la mort ?
— Au contraire, je nous sauve tous.
— Quoi ?
— Je dois tout vous expliquer, j'aurais besoin de vous pour m'aider dans ma mission. Et je vous demanderais de ne pas hausser la voix. Nous devons être discret ?
— Qu'est-ce que c'est encore que ces magouilles ? fit Thierry.
— D'abord, comprenez que ce char dans lequel nous nous trouvons n'est autre qu'un des cavaliers de l'Apocalypse.
— Quoi ? Tu délires, là, mon pauvre vieux...
— Croyez-moi, c'est mon intuition qui me le crie. J'ai passé ma vie à me renseigner sur les prophéties. Il ne fait aucun doute, c'est bien de ces monstres blindés dont il était question.
— Mais enfin, souleva Pomoc, c'est n'importe quoi, pourquoi les tibétains déclencheraient la fin du monde ?
— Ça, je l'ignore. Peut-être qu'ils prendront goût au pouvoir. Ou peut-être tout simplement qu'ils perdront le contrôle de cette technologie. Toujours est-il que nous devons la détruire.
— T'es pas sérieux ? s'étonna Pablo.
— Je suis on ne peut plus serioso.
— Il a utilisé un mot étranger, me voilà convaincu.
— De même, acquiesça Thierry.
— Hein ? Mais moi, pas du tout ! fit Pomoc.
— Je t'en prie, hijo, nous aurons besoin de ton aide.
— Ça sert à rien d'employer des mots italiens, ou portugais, je sais pas, dans tous les cas ça fonctionne pas sur moi. On ne va tout de même pas tuer les tibétains ?
— Parfois, des sacrifices sont nécessaires... C'est notre unique chance ce sauver le monde. Il n'y a que de l'intérieur que ces engins de malheur peuvent être détruit. C'est le destin qui nous a placé ici, il te faut l'admettre. C'était écrit.
Pomoc baisse les yeux, dubitatif. Mais quoi croire ?
— Bien. Le cuistot, t'as toujours tes omelettes sur toi ?
— Eh comment !
— Tu sais ce qu'il te reste à faire...
— Les manger ?
— Mais non, crétin fini ! Idiota ! Estúpido ! Blöd !
— Presque sûr que c'était de l'allemand, ça, signifia Pablo.
— Il a quand même pas confondu l'italien et l'allemand, si ? s'étonna le chauffard, incrédule.
— Bref, c'est pas la question ! coupa court Lucio. Tes omelettes, tu vas les offrir aux tibétains en prétextant "un dernier repas pour vous donner de la force avant les combats".
— Oooh, je vois !
— Ça fera de vous de véritables meurtriers ! s'insurgea Pomoc.
— Au point où on est...
— C'est pour sauver le monde, petit, ajouta Thierry.
— Bien, reprit le criminel. De mon côté, je divertirais Marlowe pendant que tu distribueras le poison.
— Mais, s'interrogea l'adolescent, pourquoi ne pas le mettre dans la confidence ?
— Trop risqué. Il ne m'a jamais cru, il ne me croira pas. Il fera tout pour nous empêcher de réussir notre objectif. Thierry, une fois que nous aurons pris possession du char, je compte sur toi pour le manœuvrer et exploser les trois autres cavaliers en les prenant par surprise. Pomoc, tu seras en support. Si quelque chose tourne mal, tu resteras aux aguets et te tiendras prêt à agir. Maintenant, il nous faut répéter notre plan dans les moindres détails, tout doit être méticuleusement parfait, la mission est trop importante pour laisser place à l'improvisation. En premier lieu, réfléchissons, quelle serait la meilleure méthode pour distraire Marlowe assez longtemps ? N'oublions pas qu'il est enquêteur, il saura détecter les mensonges malhabiles...
— Je le sens pas, conclut Pomoc. Je le sens pas. Je... Je suis pas capable de faire tout ça.
— Eh ben alors ? le nargua le complotiste. Qu'est-il arrivé à "l'intrépide" ?
— Intrépide, mais raisonnable. Non, ça sera sans moi.
— Eh bien pars alors ! Casse-toi pendant qu'il en est encore temps ! On n'a pas besoin de faibles comme toi !
Sans en rajouter, Pomoc se leva et alla rejoindre Ching. Magalie discutait déjà avec lui. Le soldat indiqua qu'elle pourrait sortir du véhicule dès maintenant. La position a été envoyée et une voiture ne tardera pas à la conduire jusqu'à Mardo. Pomoc l'accompagna.
— Toi aussi, hein... nota-t-elle.
— Ouais. C'est n'importe quoi, on n'a rien à faire ici.
— Tout à fait d'accord. J'ai bien fait de te prendre, tout compte fait.
— Les autres ne veulent rien entendre.
— Marlowe non plus.
Pomoc soupira. Magalie lui répondit par un autre soupir, puis ajouta :
— Bah. Ils font ce qu'ils veulent... Je m'en fous.
Une certaine tristesse dans la voix indiquait qu'elle ne croyait pas réellement à ses paroles.
En sortant, ils passèrent devant Marlowe. Magalie lui jeta un regard foudroyant. Pomoc, tendu, hésitant, lui glissa quelques mots :
— Ils veulent détruire le tank de l'intérieur...
Pomoc se tourna brièvement vers Lucio. Enfin, avec résilience, il suivit Framboise hors du véhicule.
Marlowe, le seul fou loin de la boîte, observa avec véhémence les manigances des autres fous.
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