Chapitre 10
A la fin du cours de sport, j’avais les jambes ankylosées et le souffle court. Nous avions gagné après plusieurs ratés dans chaque équipe ; des chutes de planches volantes notamment. Cyll, Lyrus, Yenn et moi quittâmes le terrain de land pour nous reposer un peu dans nos chambres avant le déjeuner : nous avions par miracle un trou dans notre emploi du temps. Nous traversions la cour pavée quand j’entendis des voix provenant du bâtiment principal ; la porte était ouverte.
- J’arrive à léviter maintenant, se vantait une voix tandis que des pas s’approchaient, c’est mon maître qui a décidé de me confier sa technique !
- Moi, j’ai appris à cuisiner, répondit une autre voix.
Les garçons et moi nous regardâmes : c’étaient sûrement les autres élèves qui commençaient à arriver ! Curieux, nous nous approchâmes.
- A cuisiner ?! C’est pas comme ça que tu auras ton année ! Mon pauvre ! s’exclama la première voix.
- Pas du tout ! Je me débrouille bien, et puis c’est un peu comme de la chimie, si tu veux. C’est très intéressant !
Nous étions maintenant assez rapprochés de la porte d’où sortaient les voix, et je pus apercevoir deux jeunes hommes qui discutaient tout en marchant dans notre direction. L’un deux, aux cheveux blonds, leva les yeux au ciel. Je l’associai à la première des voix que nous avions entendues. L’autre était un peu plus petit et arborait des cheveux noir charbon. Ce dernier s’exclama :
- Ne fais pas cette tête-là ! Tu devrais essayer, tu sais, ça te détendrait.
- Pff !
- Si, je te jure ! insista le jeune homme.
- Même pas en rêve ! Non mais qu’est-ce que tu t’imagines ?! déclara le blond en secouant la tête d’un air décidé et buté.
Mes camarades et moi faillîmes éclater de rire, mais aucun son ne se fit entendre derrière la porte ouverte : nous suivions la conversation avec intérêt.
- Tu vois, tu es trop stressé ! Tu devrais suivre un cours de yoga ! lui assura le brun.
- Tais-toi, andouille, s’exclama l’autre avec un sourire en coin, ne sais-tu pas qu’un parfait Mage se doit d’être sérieux et digne ?!
- Mouais. Tu as surtout besoin de t’écrouler sur ton lit et d’y rester jusqu’à demain matin !
- Ce n’est pas faux, avoua le blond.
Les deux garçons s’approchaient de plus en plus de nous et nous dûmes nous écarter pour donner l’impression que nous n’étions pas du tout en train de les écouter. Ils sortirent bientôt du bâtiment et l’un d’eux nous aperçut en train de nous bousculer pour nous éloigner de la porte.
- Tiens, des nouveaux ! s’exclama-t-il.
- Alors, ça vous plaît l’école de Shün ? questionna l’autre en nous fixant de ses yeux bleus.
- Heu...ouais, c’est pas mal ! répondit Yenn en se recroquevillant devant ce jeune homme qui le dépassait d’une bonne tête.
- Vous avez sûrement fait connaissance avec Mademoiselle Vin Asse, continua le blond, je vous plains !
- Ouais. Vous auriez dû l’entendre parler : elle était tellement terrifiante que lorsque madame Clara nous a annoncé qu’elle ne viendrait pas pour le dîner, on a presque crié de joie ! C’était carrément cool hier soir, on s’est bien amusés ! lança Lyrus en me décochant un clin d’œil.
- Là, il veut dire qu’il s’est pris un grand verre d’eau sur la tête et qu’il avait l’air ridicule, ajouta Cyll d’un ton moqueur.
- Pff, tout de suite les grands mots ! Non, monsieur, j’avais calculé mon coup et je n’ai même pas paniqué !
- A peine ! Tu as juste hurlé comme si tu allais mourir dans la seconde ! lançai-je, hilare.
Lyrus, vexé, me tira la langue et se détourna pour bouder. Les deux grands éclatèrent de rire puis s’éloignèrent pour rejoindre leurs chambres après nous avoir salués. Cyll, Lyrus, Yenn et moi dûment bientôt en faire autant. Il fallait que nous changions d’habits avant le repas. Nous traversâmes la cour et atteignîmes le haut bâtiment crépi. Cyll ouvrit la porte et notre petit groupe entra au rez de chaussée, dans lequel étaient logés les quatrième année. Des valises de toutes tailles s’entassaient dans les couloirs. Quelques élèves étaient déjà arrivés, et un léger brouhaha régnait dans l’étage. Des secrétaires chuchotaient des indications et les quelques élèves qui étaient arrivés entraient et sortaient de leurs chambres, tandis que d’autres semblaient flâner et discuter entre eux de leurs vacances.
- Ils ne se font pas choisir par leurs chambres ? demandai-je en voyant tout ce monde ouvrir les portes à tout volée.
- Non, répondit Cyll, d’après ce que j’en sais, on a la même chambre jusqu’à la fin de notre scolarité.
- Heu... Et comment on fait pour avoir la même chambre alors qu’on change d’étage ? demanda Yenn, perplexe.
Je me demandais moi-même si cela était encore lié à l’énergie reçue par le bâtiment.
- Je crois que les chambres changent de place. répondit Cyll sans avoir l’air d’y croire vraiment.
Notre petit groupe s’éloigna vers l’escalier et nous montâmes jusqu’à notre étage. Quelques élèves étaient assis dans l’espace de détente, sur des fauteuils moelleux. Ils nous saluèrent, surtout pour dire bonjour à Lyrus : l’incident du jour précédent l’avait rendu « célèbre ». Je laissai les trois garçons parler avec les autres et je rejoignis ma chambre, pressée de prendre une douche après le cours de sport exténuant. Je fermai la porte à clef et ne pus m’empêcher de rester bouche bée devant le spectacle qui s’ouvrait au-dessus de moi : les nuages défilaient lentement dans le ciel, et je pouvais voir des colonies entières d’oiseaux virevolter dans l’air à travers le dôme en verre. La voix étouffée d’une secrétaire venant du couloir me parvint :
- Dans dix minutes ! Le repas est dans dix minutes !
Je me dépêchai de me déshabiller et d’enlever le bandeau de tissu autour de ma poitrine. Je ressentis un grand soulagement : je pouvais enfin respirer ! Sur ma peau, une trace rouge marquait l’emplacement de la bande. J’avais tellement peur, malgré moi, de me faire découvrir que je la serrais le plus fort possible. J’ouvris la porte de la petite salle de bain, ouvris le robinet de la douche et me précipitai avec plaisir sous le jet d’eau chaude.
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Lorsque je descendis, la plupart des élèves étaient déjà partis au réfectoire, et je me dépêchai de traverser la cour puis la petite allée pour les rejoindre. Devant la grande porte, Mademoiselle Vin Asse fixait d’un œil scrutateur tous ceux qui passaient, tentant sûrement de repérer ceux qui étaient susceptibles de mal se tenir. Je déglutis et m’avançai pour entrer. Je sentais sur ma nuque son regard qui semblait me brûler. Je me dépêchai de passer et d’entrer dans la salle sans jeter un seul regard à Mademoiselle Vin Asse. Contrairement à hier, le réfectoire était bondé. Les autres élèves étaient tous arrivés. Le volume sonore n’était pourtant pas très élevé, et je pensai avec amusement que la présence de la responsable des première année y était sûrement pour quelque chose. J’aperçus Lyrus qui tentait de chiper quelques fruits et Yenn qui cherchait une table libre parmi les élèves plus grands. Je pris à mon tour un plateau, me servis rapidement quelques crudités et évitai de passer devant Cassa, qui, débordée, ne remarqua pas que je n’avais pas pris de plat de résistance. Je n’avais pas l’habitude de beaucoup manger.
- Ah, te voilà Wil, me cria Cyll, viens, il ne reste qu’une place !
Effectivement, mes trois amis avaient réussi à s’asseoir au bout d’une table occupée par des deuxième année. Un peu abasourdie par tant de monde, je les rejoignis et m’assis à côté de Lyrus.
- J’aurais dû apporter un parapluie, déclarai-je avec amusement.
- Pourquoi ? demanda mon voisin sans comprendre.
- Parce que tu attires l’eau, il me semble !
Yenn éclata de rire, et nous mangeâmes tous quatre avec bonne humeur.
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J’étais sur le point d’appuyer sur la clanche de la porte, après avoir pris une grande inspiration. Mon cours de Don d’énergie allait bientôt commencer. Je m’apprêtais, comme j’en avais maintenant l’habitude, à devoir faire de gros efforts et à en revenir crevée. J’ouvris la porte. Monsieur Vin Liy, mon professeur, ne leva même pas la tête. Assis derrière son large bureau où s’empilaient des liasses de papiers, il était occupé à corriger une copie. Derrière son écritoire, très haut, il paraissait gigantesque, et devait d’ailleurs regarder ses élèves de haut lorsqu’ils se présentaient devant lui. Il s’arrêta de lire, me dévisagea, rajusta ses petites lunettes rondes et prononça d’une voix à peine audible :
- Ah, Wil, c’est toi. Prends le livre sur les transferts et lis le troisième chapitre. Tu devras ensuite appliquer ce qu’il y est écrit.
- Oui, Monsieur.
Comme d’habitude, j’allais devoir expérimenter une nouvelle technique de transfert. Depuis que j’avais commencé les cours, je ne faisais que ça. D’après ce que me rapportaient mes amis au sujet de leurs cours, c’était le programme de première année. Réussir et connaître toutes les techniques de transfert différentes. Mon professeur, silencieux, ne parlait que pour m’indiquer ce qu’il fallait faire et corriger mes erreurs. J’étais maintenant habituée à l’indifférence de cet homme imperturbable, et cela ne me dérangeait absolument pas. Au moins, je pouvais me concentrer. Je me dirigeai vers la bibliothèque et saisis le livre qu’il m’avait indiqué. Il était en meilleur état que la plupart de ceux que possédait Wahcka. Néanmoins, les coins de pages noircis montraient qu’il avait été feuilleté des centaines de fois. Je l’ouvris à la bonne page et me mis à lire. Cette fois, je ne devais pas faire d’erreurs et réussir du premier coup.
Lorsque j’eus terminé et compris le chapitre, après l’avoir relu une bonne dizaine de fois, j’estimai que j’étais prête pour la pratique. Monsieur Vin Liy était toujours plongé dans ses copies et ne remarqua même pas que j’avais terminé. Je rangeai le livre à sa place et me concentrai : « Visualiser l’énergie. Lever les bras, ne pas me laisser distraire. Entrer en contact avec la plante, lui demander si elle veut de mon énergie puis la lui transférer. » Personnellement, je ne comprenais pas vraiment comment une plante pouvait répondre à une question. L’auteur du livre expliquait dans le chapitre trois que chaque plante, chaque pierre possédait une âme et que pour réussir parfaitement un transfert, il était nécessaire d’être en harmonie avec elle. Oui, mais répondre à la question : « Veux-tu de l’énergie ? » me paraissait impossible. Je n’avais plus qu’à essayer. Mais Monsieur Vin Liy m’interrompit :
- C’est la fin du cours.
Je sursautai. Comment ça, la fin du cours ? mais je n’avais même pas commencé la pratique !
- Tu as lu trop longtemps, Wil. La prochaine fois, gère ton temps autrement.
- Oui, Monsieur. répondis-je, un peu étonnée que le temps soit passé si vite.
Mon professeur descendit de sa chaise et s’approcha de moi pour me raccompagner. Comme d’habitude, je constatai avec amusement qu’il faisait ma taille. Son bureau était beaucoup trop haut pour lui, et il avait dû prendre une chaise plus haute elle aussi, mais en réalité, Monsieur Liy était petit. Je passai le pas de la porte sur cette pensée amusante et me dirigeai vers le cours de Mathématiques après l’avoir salué.
Le cours de Mathématiques était un cours collectif. Le Mage qui enseignait cette matière était un homme à l’air ennuyeux du nom de Vin Yle. J’avais une fâcheuse tendance à m’endormir durant son cours, et les autres ne faisaient guère mieux : sa voix monotone et sans attrait n’intéressait personne dans la classe. Tandis qu’il parlait du phénomène de fisphions, je ne pus m’empêcher de dessiner sur mon cahier. Je vis avec surprise apparaître tour à tour le visage de ma mère, puis celui de Wahcka. Je me repris. Non, je ne devais pas y penser. Quand le son du gong qui faisait office de sonnerie résonna, la plupart des élèves de la classe avaient déjà rangé leurs affaires. Monsieur Vin Yle nous autorisa à sortir et tout le monde se retrouva dehors en un temps record.
- Alors Wil, ton cours d’énergie ? me demanda Yenn.
- Comme d’habitude, ça s’est bien passé, répondis-je en marchant d’un pas rapide vers le bâtiment principal où avaient lieu tous les cours de sciences.
- Dernier cours de la journée ! Vive le dernier cours ! Entre autres, vive les sciences !!! s’écria Lyrus en nous rejoignant.
- Attends Lyrus, tu as oublié ta trousse ! appela au loin la voix de Cyll.
Je levai les yeux au ciel : Lyrus était vraiment un éternel distrait. Nous arrivâmes au bâtiment principal. Il nous fallait comme d’habitude monter les escaliers recouverts de moquette qui menaient au deuxième étage. Le rez de chaussée et le premier étage étaient réservés aux bureaux et aux salles de réunion.
- Le dernier arrivé a un gage ! s’écria Yenn en s’élançant dans la cage d’escaliers vitrée.
- Prépare-toi à perdre ! hurla Lyrus à toute volée en courant à sa suite.
Je n’avais pas envie de courir, ni d’ailleurs de m’attirer les foudres de Mademoiselle Vin Asse. Je m’engageai donc dans les escaliers sans me précipiter. Cyll, qui venait seulement d’arriver à ma hauteur, me lança :
- Allez, Wil, c’est juste une petite course !
Je niai de la tête. Je n’avais vraiment, vraiment pas envie de me faire punir...
- Et puis, si on se fait prendre on pourra toujours dire qu’un monstre affamé nous poursuivait ! me jeta-t-il avec un clin d’œil.
- Pff... Non, désolé je n’y vais pas.
- T’es pas drôle ! me lança Cyll avant de s’élancer dans les escaliers avec une vitesse impressionnante.
Lorsque j’arrivai enfin au deuxième étage, les trois garçons guettaient mon arrivée. Lyrus, l’air triomphant, me fixait avec amusement.
- Alors, tu t’es dégonflé ? T’as droit au gage, maintenant !
- Mais je ne peux pas perdre la course puisque je n’ai pas participé ! argumentai-je en pensant déjà à la torture que j’allais vivre si c’était Lyrus qui choisissait mon gage.
- Non, non, monsieur, j’ai dit le dernier arrivé, et tu es le dernier arrivé !
L’arrivée d’une secrétaire nous interrompit. Tout le monde se tut. Je ne l’avais jamais vue auparavant ; ses cheveux étaient tellement blonds qu’on aurait pu dire qu’ils étaient blancs.
- Votre professeur est absent, veuillez redescendre et vous rendre dans vos chambres, annonça-t-elle d’un ton neutre.
Les garçons et moi échangeâmes un regard. J’étais bien contente de ne pas avoir couru alors qu’il nous fallait maintenant redescendre.
- Tu ne perds rien pour attendre ! Tu l’auras, ton gage ! me lança Lyrus avant de commencer à redescendre les marches.
Yenn, Cyll et moi le suivîmes. Dans la cour, des élèves plus âgés se promenaient, ou traversaient à toute vitesse pour ne pas arriver en retard en cours. Nous traversâmes tous les quatre pour nous rendre à l’internat. Nous étions presque arrivés quand une sonnerie stridente retentit soudain, me vrillant les tympans. Les autres élèves se pressèrent immédiatement vers les bâtiments, dans une cohue assourdissante.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? demandai-je, abasourdie.
- Pluies acides, hurla un élève, tous à l’intérieur !
- Vite, allons-y ! réagit Cyll en nous entraînant vers l’internat.
En quelques secondes, il n’y avait plus un seul élève à l’extérieur. On aurait dit que tout le monde attendait une catastrophe inévitable. Les garçons me proposèrent de rester avec eux mais je préférais profiter de cette pause pour me reposer. Seule dans ma chambre, j’observai le ciel avec une crainte mêlée de curiosité. A travers le dôme transparent, je pouvais voir les nuages noircir et le ciel s’assombrir comme si la nuit allait tomber. La pluie n’allait sûrement pas tarder. Une goutte tomba. D’autres s’écrasèrent bientôt sur le dôme, produisant un bruit qui retentit dans toute ma chambre. Bientôt, il pleuvait à torrents. Dans la pièce résonnait un bruit tellement puissant qu’on aurait dit que des cabals passaient au galop juste au-dessus de moi. Le grondement était assourdissant. Je compris alors que s’il continuait à pleuvoir, il me serait sûrement impossible de m’endormir avec ce bruit qui résonnait dans ma chambre et se répercutait contre les murs... On toqua à la porte. D’abord, je n’entendis pas. Puis, des coups répétés se firent entendre.
- Entrez ! hurlai-je pour que ma voix passe au-dessus du martèlement ininterrompu de la pluie.
Cyll, Yenn et Lyrus entrouvrirent la porte. Ils furent tellement surpris que Lyrus me lança :
- Mais qu’est-ce que c’est que ça ?! On ne peut même plus parler, ici !!! C’est tellement bruyant qu’on dirait que le bâtiment s’effondre !
Cyll et Yenn entrèrent à leur tour.
- Mon pauvre ! On entend ce bruit jusque dans le couloir, comment peux-tu supporter un truc pareil ?! s’étonna Yenn.
- Mais je ne le supporte pas, m’écriai-je avec ma faible voix pour me faire entendre, c’est horrible, je vais devoir dormir ici cette nuit en plus !
- T’as pas de chance, ajouta Cyll, ta chambre n’est peut-être pas si parfaite, finalement !
J’acquiesçai d’un air catastrophé. Mais comment allais-je faire ?! Je n’avais qu’à espérer qu’il ne pleuve plus dans quelques minutes.
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