24 Juillet 1940

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Voici maintenant 4 jours que je m'occupe de Martin. Les autres sont plus ou moins bien remis. Ils me demandent juste de passer de la crème cicatrisante là où ils ne peuvent accéder. Tous les matins, j'entre dans la grange et je prends soin de lui. C'est clairement mon travail : je dois m'occuper de lui. Ça m'agace, ça me frustre car je ne peux plus aider maman et papa à la traite et aux champs. Je dois lui changer ses bandages, nettoyer les plaies, refaire les pansements. Une vraie infirmière attitrée. (Ce n'est vraiment pas le métier que j'ai envie de faire plus tard). Mais le pire, c'est que je doive supporter son sarcasme permanent et son humour pince-sans-rire. Et comme toute infirmière, je dois presque me battre avec lui pour qu'il avale ses médicaments.

Aujourd'hui, je n'étais pas de bonne composition. Je me suis levée du pied gauche et je suis dans la période du mois qui tâche les draps. Dès que j'ai vu sa tête, j'ai su que je n'y arriverai pas. J'ai su, que je serai méchante, condescendante. Presque méprisante. Je soupirais, presque toutes les minutes. Il a senti dès que je me suis approchée que quelque chose n'allait pas. Je l'ai senti sur la retenue. Il m'a salué poliment. J'ai du lui faire mal mais il n'a émis aucune plainte : j'ai presque arraché les bandages. Je l'ai lavé un peu trop énergiquement. J'ai fait des gestes brusques. J'ai expédié les soins. En même temps, ses plaies cicatrisent bien. Lorsque je me m’apprêtais à partir, il m'a interpellé par mon prénom. J'en fus si surprise que mes barrières mentales cédèrent. Il m'indiqua qu'il voulait quitter le lit pour se dégourdir les jambes.

  • Vous êtes trop faible.
  • Aidez-moi alors.

Il a toujours réponse à tout ce type, c'est exaspérant! Il se tourna vers le bord du lit en essayant tant bien que mal de ne pas tirer sur ses points. Il posa ses pieds par terre et me présenta ses bras. Je les saisis avec toute la force que mes maigres doigts me permettait. Sa peau était douce et ses muscles saillants. Je sentis sa force. On compta jusqu'à trois et il se leva. Chancelant tout d'abord sur ses jambes endormies par ces jours de convalescence, il se retint à moi. Je l'ai soutenu pour sortir de la grange. Certains de ses collègues le regardaient avec amusement, d'autres avec questionnement. Je l'ai amené jusqu'au saule pleureur dans la cour. Il avait fermé les yeux et appréciait le soleil sur son visage.

  • ça y est, vous êtes calmée ?

Oh non, il avait osé.

  • Et si on allait faire un tour ?

J'ai essayé de l'en dissuader. J'ai donné toutes les excuses possibles et imaginables. Mais non, je me suis retrouvée sur la route du Moulin avec un allemand qui se tenait à mon épaule et qui n'avançait pas plus vite qu'un escargot. Je commençais à fatiguer quand il m'indiqua une souche morte. Je le déposais avec soins, ma conscience semi-professionnelle m'ayant forcée à le faire. Il n'y avait rien autour de nous à part les champs. Je me demandais bien ce qu'on allait faire.

  • Vous êtes toujours impatiente comme ça ?
  • Vous savez, je ne suis pas une infirmière et encore moins une femme de chambre, soldat Müller. Je dois m'occuper de vous parce-que vous avez sûrement du être irresponsable lors de l'attaque. Vous voulez aller vous promener, parfait! En attendant, j'ai mes autres tâches qui m'attendent à la ferme et personne pour me remplacer.
  • Martin.
  • Quoi Martin ?
  • Je m'appelle Martin.
  • Vous savez, Martin, une discussion, c'est un échange entre deux personnes, et vous ne réagissez jamais à ce que je dis. Vous changez toujours de sujet.
  • J'aime bien vous tester.
  • Me tester ?
  • Oui, là, je teste votre patience.

Etant donné mon état, j'ai pris la mouche directement. J'ai serré mes poings au maximum, à en rendre blanches les jointures. J'avais envie de l'étrangler ! J'ai tourné les talons et j'ai commencé à rentrer vers la ferme seule.

  • Joséphine, attendez ! Revenez ! Je ne voulais pas vous vexer ! Pardon !

Lorsque je suis rentrée à la ferme, seule, je suis allée voir un de ses collègues. Je lui ai dit que je l'avais abandonné sur la route du chemin du Pendu, sur une souche au soleil. Ce sont quand même des allemands et notre pays est occupé... Je ne voulais pas me faire tuer... Il ria et partit le chercher, non sans avoir pris son arme.

J'ai vu Müller rentrer aux bras de son collègue. Je me suis accoudée à la fenêtre de ma chambre pour regarder le spectacle. Moi la petite française qui avait abandonné son blessé allemand. Il s'arrêta en face de moi et me fit une sorte de révérence. Pour saluer ma bravoure, sûrement!

  • Qu'est-ce que tu as encore fait ?

Mon père qui passait par là pour ranger ses outils, m'interpella après avoir vu la scène.

  • Je l'ai laissé sur la souche. Il était pénible.

Oui, pénible, c'est bien le mot.

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