Prologue
Lorch était un vieil homme. Sous son épais manteau de laine, on pouvait deviner un corps mince et vouté, érodé par une vie de travail aux champs. Assis sur un tabouret, il réchauffait ses mains calleuses près d’un foyer tremblotant, fixant les flammes d’un regard éteint. Lorch vivait dans ce bout de vallée, seul, depuis des années si nombreuses qu’il avait cessé de les compter. Cultivant légumes et céréales, il élevait du bétail pour le lait, et plus rarement pour la viande, quand les rigueurs de l’hiver le laissaient affamé.
Tout semblait calme en ce soir d’automne, quand une vibration profonde et continue se fit ressentir dans toute la maison, tirant Lorch de sa torpeur. À demi endormi, il entendit les forions ruer et geindre dans l’étable, contiguë à la maison. Il songea tout d’abord à une attaque de vorace, sorte de monstruosité poilue et recouverte de piquants, mais se ravisa rapidement : « Il faudrait une bestiole de plusieurs tonnes pour faire trembler la maison ainsi » se dit-il inquiet. Il se leva péniblement et attrapa une longue fourche, avant de pousser la porte d’entrée.
Une violente bourrasque accueillit Lorch à l’extérieur, fouettant son visage qu’il protégeait tant bien que mal sous une capuche. Il se tourna vers l’étable, simple bâtisse arrondie en terre crue, et intima aux animaux de se calmer. Les forions, créatures massives recouvertes d’un pelage épais et bleuté, étaient dotées de deux paires de pattes puissantes. Leur lourde tête arborait un court museau noir et deux yeux intelligents, que couronnaient deux cornes arrondies, dont les extrémités étaient jointes. L’œil fou, les bêtes tentaient de forcer les portes de l’étable pour s’enfuir. Alors qu’il essayait en vain de les calmer, Lorch s’arrêta net, réalisant ce qu’il se passait autour de lui : l’atmosphère rougeoyait, le vent était anormalement chaud, et plus étonnant encore… une étrange lueur éclairait toute la vallée.
Il se tourna vers l’est d’où provenaient le vent et la lumière, et découvrit un ciel couleur de feu, zébré de nuages torturés comme d’immenses flammes. Sur l’horizon, une intense lumière embrasait la nuit comme un soleil irréel. Hébété devant un tel spectacle, Lorch n’eut même pas le temps de se protéger, lorsque l’onde de choc arriva.
Balayés par un torrent de feu, de roche et de vent, Lorch, sa maison et ses forions disparurent à jamais. Ce fut le jour où le monde bascula, où la terre s’envola. Le jour à partir duquel l’homme dut vivre dans les cieux…
Annotations
Versions