Chapitre 0
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J'ai tellement hâte de partir de ce putain d'endroit. Je commence à avoir la dalle et j'ai envie de pisser.
Je jette un coup d'œil autour de moi. La faible lumière qui émane de la lampe de chevet éclaire suffisamment les murs recouverts d'un papier peint dégueulasse. On dirait celui des chiottes de ma grand-mère. Je ne l'ai jamais connu cette garce, mais elle devait avoir mauvais goût.
Les coins du plafond sont parsemés de moisissures, l'air est humide au possible et, dans le silence total, je peux entendre le robinet de la salle de bains qui fuit. Mais le pire dans tout ça, je crois bien que c'est l'odeur. Il y règne un effluve de parfum bon marché, typique de ceux que les mecs veulent porter pour assurer leur virilité, et de relents de sueur qui émane de ce gros porc.
Je me tourne dans sa direction et un murmure étouffé s'échappe de ses lèvres.
— Ferme-là ! rugis-je. Putain, même avec ça dans la gueule, t'arrive encore à faire du bruit.
Je tire sur le bâillon qui couvre sa bouche et sa tête vient avec. Je m'affale sur le lit et me passe une main lasse sur mon visage. Il me fait perdre mon temps, pourquoi il m'a chargé de régler ce problème ?
— On en serait pas là si t'avais respecté le marché, Eric.
Il s'agite sur sa chaise, tire sur les liens qui l'entrave et gémit à nouveau. Aussitôt, un choc sourd se fait entendre et cette fois-ci, ce vieux con hurle de douleur.
— Markus, putain ! Il va finir par alerter tout le quartier.
— Désolé mais ça me démangeait, me répond le colosse planté à côté de mon prisonnier en se massant le poing.
De l'autre côté, son jumeau, Vladimir, sourit, dévoilant ses dents jaunes. Des crétins, ces deux-là. Il faut dire qu'on ne peut pas trop leur en vouloir, les deux frères ont arrêté l'école à dix ans. Heureusement, ils compensent leur peu de matière grise par une montagne de muscles noueux.
J'adresse une moue d'excuse à notre ami, un filet de sang s'échappe de son arcade et dégouline sur son visage déjà bien abîmé.
— Bon, Eric, si on arrêtait toute cette mascarade, hein ? Tu peux te douter que j'ai clairement mieux à faire que d'être ici, ce soir, dans ce taudis pourri à m'occuper de toi. Si je te laisse parler, tu promets de tout me dire et de pas te mettre à crier comme une pédale ?
Je croise ses yeux larmoyants. Donnons-lui le bénéfice du doute.
— Je te promets que j'étais au courant de rien, Alex, on m'a juste dit de livrer la coke au port et....
— Arrête de me prendre pour un con ! Tu sais très bien qu'on t'aurait jamais dit d'aller là-bas, c'est pas notre territoire.
Je me lève et le toise avant de poser mes mains sur les accoudoirs. Mon silencieux frôle son avant-bras et je prends plaisir à le voir trembler.
— Je te jure que...
— N'essaye pas de jurer quoi que ce soit, même sur la tête de Dieu, ricané-je. Dis-moi juste qui t'a payé pour le faire.
— Personne, personne m'a payé, je te le promets ! réplique-t-il, et sa voix monte dans les octaves.
Mon poing s'abat sur sa tempe et la tête d'Eric part en arrière. Il crie à nouveau, s’agite, la chaise racle le sol. Je saisis sa mâchoire entre mes doigts.
— Ferme ta putain de gueule Eric, ou je m'assure que tu la fermes pour toujours, murmuré-je d'une voix glacée.
Il s'exécute difficilement, les larmes aux yeux.
— S'il te plaît Alex, j'ai rien fait, je savais pas, tu dois me croire.
Je soupire et me redresse. Je me mets à faire les cent pas, lève les yeux au ciel, aperçois les champignons qui rongent le plafond.
— T'as merdé, Eric. T'as vraiment merdé, sur ce coup. Je sais bien que ta vie laisse à désirer et que tu pouvais rêver à mieux. Tu méritais mieux, je peux le reconnaître, mec. Mais t'as pas su retenir ta patience.
Un éclat rouge attire mon attention au sol. Je souris et me baisse pour ramasser la culotte en dentelle à moitié cachée sous le lit. La tenant au bout du doigt, je me tourne pour qu'Eric la voit. Comme je l'espérais, son regard se voile un peu plus.
— Eh ben dis donc, on se refuse rien, mon gros.
Je glousse et jette le bout de tissu sur le lit.
— Je vais te dire ce que je pense, Eric : je pense que tu as voulu nous doubler, ce soir-là. Tu t'es dit que, depuis le temps que tu étais à notre service, tu avais bien le droit à un petit supplément. Et ce n'est pas quelques kilos de cocaïne qui vont nous impacter. Alors tu t'es dit que tu pourrais la revendre au plus offrant. Et qui serait prêt à racheter notre marchandise, en plus de se mettre un mouchard dans la poche, hein, Eric ?
Je fais le tour de la chaise et me penche par dessus son épaule. L'odeur de transpiration me prend à la gorge. Bon sang, mais comment ce porc peut suer autant ?
— Parce que c'est ce que t'es, Eric. Un sale petit mouchard de merde, une raclure des bas étages qui a cru pouvoir se jouer de nous.
— Je... je te jure que c'est pas ce que tu crois, je savais vraiment pas.
Sa voix n'est plus qu'un filet de son mais il semble ne plus pouvoir s'arrêter.
— C'est vrai que je pensais me faire un peu de blé, histoire de mettre un peu de côté. J'aurais pas dû, je sais, et je regrette vraiment. Mais je savais pas que ça allait se passer comme ça, que ça serait eux qui viendraient. J'ai pris peur en les voyant et j'ai abandonné la livraison. J'ai jamais voulu vous doubler. J'aurais pas dû faire ça mais je suis pas un mouchard, j'aurais jamais fait ça au boss, ni à toi !
Je pose mes mains sur ses épaules et commence un massage.
— Mon pauvre Eric, tu es tendu, ma parole ! Respire un bon coup, souffle un peu, délie-moi tous ses muscles. Je sais bien que tu voulais pas tout ça et que tu nous es fidèle, hein ?
Il hoche frénétiquement la tête.
— Oui, je te jure ! Je le ferai plus.
Ça fait deux fois que cette taupe jure devant moi.
— Mais vois-tu, tu as trahi notre confiance. Qu'est-ce qui me prouve que tu ne recommenceras pas ?
Soudain, je le sens se crisper sous mes doigts. Il vient de comprendre ce qu'il l'attend. Il tente de s'extraire de ses liens, se débat comme un beau diable, crie de frustration. S'il avait pu se douter de ce qu'il se passerait il y a une heure, quand il est rentré chez lui, peut-être aurait-il pu s'en sortir.
— Alex je recommencerai plus, promis. Tu peux pas faire ça, je ferai tout ce que vous voudrez !
Je le lâche pour me placer devant lui. Je croise son regard et ce que j'y lis m'écœure. Cette lope est prête à se pisser dessus et à perdre toute dignité comme si ça pouvait changer quelque chose. Il ramperait à mes pieds et me lécherait les chaussures pour se faire pardonner.
— S'il te plaît ! Tu peux pas faire ça, tu peux me comprendre, non ? S'il te plaît, pardonne-moi. J'ai une meuf et je dois veiller sur ma mère, pitié...
Je déteste qu'on me supplie. Et il a promis trois fois.
Je braque mon flingue sur lui et tire.
Aucun son ne retentit et j'en suis presque surpris alors même que je sais qu'il y a le silencieux ; je l'ai moi-même installé juste avant d'entrer. En fait non, ce n'est pas de la surprise que je ressens. Je suis déçu.
Je regarde sa tête s’abaisser sur sa poitrine, comme au ralenti, un trou entre les yeux. Je fronce les sourcils : une traînée rouge dégouline sur son visage et tâche ses lèvres. Des gouttes atterrissent sur sa bedaine que son t-shirt blanc laisse imaginer. Ses yeux sont encore ouverts, figés dans une terreur muette.
J'ai envie de tendre le bras, de toucher sa peau transpirante, de sentir la sensation de son sang chaud sous la pulpe de mon pouce, de voir le liquide s'écouler entre mes doigts alors qu'il emporte avec lui la dernière respiration de son propriétaire.
Je range mon arme à ma ceinture et m'adresse aux deux molosses :
— Débarrassez-vous du corps de ce porc et nettoyez l'appart.
Je les surprends à s'échanger un regard.
— Qu'est-ce que vous avez ?
— On penserait pas que t'allais le faire, lâche Vladimir après un silence.
— Soyez heureux qu'on vous paye pas à penser, alors, lâché-je froidement. Bougez-vous, maintenant !
Ils baissèrent la tête et commencèrent à défaire les liens.
Putain, je peux pas me les blairer ces deux-là. Je ne comprends toujours pas pourquoi le vieux m'a dit de les emmener avec moi, ce soir. Je ne suis même pas sûr qu'ils seront capables d'effacer toutes les traces correctement. Y'a intérêt.
Lorsque je rejoins la porte d'entrée, mon regard croise celui de mon reflet dans le miroir. Je passe une main dans mes cheveux pour dégager une mèche qui me gêne. J'aperçois alors une tache rouge sur ma joue. J'y crois pas, il m'a giclé dessus ! Je m'empare d'un mouchoir de la boîte posée sur le meuble et m'essuie avec un air de dégoût. Je le lance en direction du corps.
— Vous jetterez ça, aussi ! m'écrié-je pour les deux bras cassés avant de claquer la porte derrière moi.
Arrivés dans la rue, je m'allume une clope. L'air frais d'une nuit d'été et la nicotine me font un bien fou. Soudain, je sens l'adrénaline quitter mon corps et avec elle, le sentiment d'avoir bien fait. Aurais-je dû le garder en vie, le torturer jusqu'à ce qu'il me dise tout ce que je voulais savoir ?
Je hausse les épaules malgré moi. Bah, peu importe, on a déjà toutes les infos qu'on voulait, il ne servait plus à rien.
Je jette ma cigarette à moitié finie sur le trottoir et me redresse. Je dois aller rendre compte au vieux et ensuite, j'en aurai terminé. Putain que j'ai hâte de rejoindre mon lit.
Pourtant, un sourire me mange le visage. La sensation de la gâchette sur mon doigt vibre encore et je peux revoir le regard apeuré de ce type avant que sa cervelle ne saute. Putain, c'était jouissif.
Ce soir, j'ai tué un homme pour la première fois. Et je suis persuadé que ça ne sera pas le dernier.
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