"Ola Kala"

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Prologue - “Ola Kala”

“Tous les éléments composant l’univers,

les galaxies, les amas de poussières, les astres,

s’éloignent les uns des autres inexorablement…”

Ce soir-là, j’ai pleuré dans les bras de mon père.

Je m’en souviens comme si c’était hier. Ce soir-là, j’ai pleuré dans les bras de celui qui m’a vu naître et bercée. Il m’aura élevée et vu devenir celle que j’ai su être. Peut-être que cette scène me marquera jusqu’à la fin. Peut-être même que la fin aurait pu être juste là. Peut-être que si la fameuse fin se résumait à cela, je n’en n'aurais même pas voulu. Toujours ces “peut-être”. J’aurais tout fait pour me débattre. Pour combattre. Me battre contre une fin que je ne voulais plus. Ne pas partir à cet instant, pas maintenant, pas ce soir. Pas dans les bras de mon père. Pourtant, une heure avant, un an avant, une vie avant, j’en aurais voulu de cette fin. Avant ce soir, rien ne m'aurait davantage dérangé que de rester, là, à leurs côtés.

Eux.

Tout autour, je vois et ressens la foule. Cette foule aux sourires éparses et que je n’ai jamais pu me résoudre, avant cela, à comprendre. Leurs regards, avant celui que mon père pose sur moi ce soir, je ne les ai que trop de fois évités. Ils hurlent de joie, ils crient leur peine qui n’existe pas. Le temps, en une respiration commune, s’est figé. Tous sont tournés vers l’univers ouvert là-haut. Le ciel peint de couleurs vives, béant aux yeux de tous, illumine tous ces inconnus, cette populace innombrables que je ne prenais pas la peine de regarder une heure avant. Un an avant, une vie avant. La plupart sont beaux. La plupart profite du moment en cet instant arrêté par le temps. Un moment immobile de la peinture que je dessine, en moi, tandis que les secondes s’écoulent au ralenti à chaque coup de pinceau. Moi, je réalise peu à peu tout ce que j’aurais pu perdre. Ma dérive a accompagné la souffrance de ceux qui m’ont entourés. Briller ce n’est pas inné. S’effacer l’est. Et je me suis effacé, souvent, au profit d’une souffrance autre. Mais peut-être qu’être simplement là est suffisant aux yeux de ceux qui comptent. Peut-être qu’oublier ces souffrances, qu’elles soient miennes ou à autrui…

Non. Beaucoup trop tôt pour de quelconques conclusions. Pour la première fois, mon esprit souhaite se taire, me laissant enfin un peu de répit. Je veux tout entendre, tout voir ce soir.

La musique fait vibrer le sol. L’herbe sous nos pieds vibre sous les sauts de la foule, en rythme. Les confettis inondent la foule, les mains levés tentent d’en attraper le moindre morceau. Nos sourires, nos cris, nos exploits, nos gloires, voilà ce qu’on exorcise dans ce genre de foule : le bonheur à l’unisson. Certains dansent, d’autres s’embrassent. Les lumières des stands tout autour, mêlés aux milles couleurs des confettis, inondent nos cheveux dans cette ambiance estivale ; un peu de chaleur hivernale. Mon voisin tient cet enfant sur les épaules ; leur sourire à tous les deux me signifie qu’ils se trouvent exactement là où ils doivent être. Il assure la prise de son frère sur les chevilles de celui-ci pour ne pas le faire vaciller en arrière. Il semble qu’il se soit assuré de tout pour que rien ne gâche cet instant, lui jetant des regards emplis de bonheur de temps à autre. Le petit ne cesse de danser, se tortiller, hurler, les deux mains en l’air. Est-ce que le temps s’arrête pour eux ? Mon esprit se tait. Mon regard saute sur ce couple, en face, bras dessus bras dessous. Deux femmes jointes, enlacée et dansant dans le peu d’espace qui leur est disponible au milieu d’une foule dense. J’ignore pourquoi mais elles me rappellent la Ferrari...quelques jours auparavant...Je me demande où peut bien se trouver Elias... A droite, un autre couple, deux personnes âgées cette fois, valsent sous la lumière vive et multicolore du ciel. Depuis combien de temps s'enlacent-ils ainsi ? le lien inestimable qui les unit va bien plus loin que cette simple soirée ; c’est bien le lien d’une vie devant mes yeux. Cheveux déjà blancs, figés dans un temps qui leur est propre, ils partagent avec la foule autour, leur lien unique. Peut-être sont-ils entourés de leur famille, dansant eux aussi sur le rythme de la musique faisant vibrer Paris ce soir.

Mon regard sautant ainsi de groupe en groupe, les confettis noyant cette masse informe, unis et unique, mes yeux finissent par se poser sur celui de mon père. Il me surplombe de toute sa taille et je me demande : “suis-je réellement si minuscule ?” Ou bien est-ce simplement sa paternité qui le grandit ? Il ne me regarde pas, les yeux encore fixés sur ce ciel étincelant alors que la nuit est tombée depuis bien longtemps. Il pleut toujours des étoiles ce soir. Des fils de lumières filant dans un ciel qui nous aura montré tout au long de la semaine, à quel point nous ne sommes rien. Cet événement tant attendu touche à sa fin et la musique aussi. Cette chanson qui fait vibrer mes tympans me fait glisser les larmes le long de mes joues. Ola Kala. Les paroles résonnent dans ma tête : elles me parlent. Nekfeu : il me parle. A la vue de ce spectacle d’une vie, je réalise combien je ne peux qu’être heureuse. Être là est suffisant n’est-ce pas ? Les étoiles filent au-dessus de nos têtes, à une vitesse effarante. Ces couleurs vives déployant leur lumière chromatique illuminent le ciel dans toutes ses directions. Les astres n’ont pas de cap ce soir. De haut en bas, de gauche à droite, il en vient de tous les côtés. C’est un mur d’étoiles que nous avons au-dessus de nous. Un mur d’étoiles vagabondes.

Mes larmes ne cessent de couler. Tel l’enfant que je suis réellement, au creux de la poitrine de mon père. Je me sens bien ici. Protégée, aimée. Peut-être n’a-t-il même pas remarqué mes larmes. Un sourire sur ses lèvres. Un sourire sur les miennes car, ce soir-là, j’ai pleuré dans les bras de mon père...

“Comment on a pu en arriver là ?

Malgré une infinité de trajectoires possibles,

Le destin a choisi de nous mener à cet instant précis dans l’univers.

Qui aurait pu prévoir ce que le passé nous réservait ?...”

*

La pluie avait cessé. Seule persistait l’humidité à l’intérieur de la voiture. Les gouttes de condensation dessinant parfois une ligne informe glissant jusqu’aux parois de la portière, témoignaient de sa présence. La lumière blafarde des réverbères haut perchés produisaient une lumière orangée sur la Clio. Garée au milieu de ce quartier propre et rincée par la pluie passée, la voiture se différenciait des autres.

La lumière blême de la rue filtrait à travers la condensation de la voiture.

Ses sanglots à l’intérieur ne brisaient pas le silence tranquille de l’extérieur.

La musique venant de l’intérieur parvenait à l’extérieur, mais de manière très faible.

Seigfried. Frank Ocean.

La chaleur des pleurs avait recouvert de condensation chacune des vitres et pare-brise. Personne ne pouvait deviner ce qui se passait dedans. Personne à part elle.

Le visage contre le volant, les pleurs semblaient cesser peu à peu. Laissant place à de simples sanglots, son dos sursautant à chaque respiration profonde, par à-coups, les mains serraient le volant avec force. Une telle force qu’elle coupait toute circulation sanguine correcte, les mains blanchâtres. Le grincement du volant se faisait entendre. De légers tremblements entre deux sanglots. Ses cheveux châtains, lisses mais légèrement ondulés par l’humidité recouvraient totalement son visage, regard vers le bas, contre le volant.

La force du ressentiment qu’elle avait envers elle-même, cette nuit, beaucoup plus fort que la veille, mais aussi fort qu’à l’accoutumé. Ce ressentiment qui tournait toujours à la haine de soi, s’exprimait par ce corps tremblotant et vibrant de rage, de tristesse. Le tout sortait et suintait par les pores d’une peau trop fragile pour pouvoir supporter les torts qu’elle avait subi. Le grincement des os, à l’intérieur, sa colonne autrefois si maigre, si fragilisée par la maladie, devenue du papier de verre, mais selon eux, désormais “bien plus solide depuis que tu te mets à manger ma p’tite !”. Une des phrases typiques dans le genre de rendez-vous typique qui la ramenait à sa condition typique. Les froissements de sa doudounes accompagnaient chaque larme qui séchait à mesure que la jeune femme reprenait le contrôle. Car ce soir, le genre de rendez-vous qu’elle détestait et qu’elle avait toujours détesté, pointait le bout de son nez. Évidemment, il fallait y participer. Ce genre de soirée, de dîner, ne serait qu’une formalité pour n’importe qui. Ne suffisait-il pas de se lancer ? se lever, avec le sourire, et se diriger sur le trottoir jusqu’à la porte ? Sonner et entrer ? Pourtant, la jeune femme ne pouvait s’y résoudre. Ce ressentiment demeurait en elle. Un relent putride de cet ensemble de sentiments broyés qui avait tant creusé son bide par le passé. Ce relent lui parvint. Alors elle ne put que ressentir son propre corps.

Ce corps qu’elle détestait, haïssait plus que tout au monde. L’euphémisme ne suffit pas et elle se lança dans l’analyse de ce corps : la machinerie des articulations qui la lançait, les engrenages qui étaient les siens, entrelacs de tendons, de nerfs et d’ossements tous plus endoloris les uns les autres, les grincements à répétition d’un bassin qu’elle aurait voulu plus petit, la fondation solide des épaules qu’elle avait toujours trouvée trop large, la moindre parcelle de peau qu’elle aurait voulu plus tirée et moins grasse, et ces joues qu’elle se tuait à essayer de faire maigrir. Son corps n’était qu’une couche de “je te hais”. Alors, le ressentiment grandissait. Gonflant, contaminant, infectant le reste de la machine : l’esprit. En elle, la jeune femme se notait les détails qu’elle venait d’énumérer ; détails qui définiraient le lendemain cette crise. A cet instant, elle ne considérait pas cela comme une crise mais plutôt comme un processus naturel. Pourtant, la jeune femme se savait encore malade.

Comment on a pu en arriver là ?

Était-elle finalement condamnée à ne ressentir rien d’autre que cela ? Souffrir sans que personne ne puisse voir votre souffrance : n’était-ce pas là l’enfer ? Si ce n’était pas cela, alors elle aurait préféré y être.

Pourquoi avoir traversé tout cela ? Guérit-on jamais de nos propres maux ?

Bon sang.

Jure. Jure jusqu’à ce que tout sorte. Comme le dégueuli qui fait souvent du bien. Jure abruti, jusqu'à ce que tu vomisses ce qui doit sortir. Jure connasse, jusqu’à ce que cette haine sorte. Jure jusqu’à ce que tu sois fatiguée de te détester. Jusqu’à ce que la bile noire....

“ASSEZ !”

Le hurlement aigu et brisé lui avait permis d’évacuer.

Les tremblements semblaient s'être arrêtés.

Pourtant, tout était revenu, le temps d’une petite respiration ; l’odeur de clope froide, la condensation, les sueurs froides. Elle avait levé la tête en hurlant et aperçu les cendres éparpillées sur le tableau de bord, le mégot sur le siège passager, à côté du sachet. Le genre de détail qu’il fallait nettoyer, effacer. Pas de shit ce soir. Ils finiraient inquiets s’ils sentaient l’odeur. Elle pensait déjà à ce qu’elle allait devoir fumer plus tard pour pouvoir faire ce qu’elle ne parvenait pas encore à faire. Assez...Assez. Pourtant, c’était bien sa vie. Un mal de crâne s’installa. Comme si la cigarette, la nicotine, avait endormi la douleur d’une migraine qui cognait déjà ses tempes. Ou peut-être était-ce le monologue infini de plaintes et de haine intérieure.“Bouillir dedans et ne jamais rien sortir dehors n’engendre que les mauvais choix.” : à ranger dans le dossier des nombreux avis judicieux du Centre. Ce foutu Centre… Les yeux rivés sur la cigarette et son paquet, posé contre le panneau indiquant l’heure, la jeune femme se maudit d’être encore en retard. La faim qui faisait partie intégrante de son existence la maudit aussi.

“Tu seras là dis-moi ? Interdit de dire non cette fois ! Combien de fois encore vas-tu…

  • J’aurais adoré mais impossible, un dossier à rendre au plus vite. J'ai déjà pris trop de retard.
  • Et voilà...on avait parié. J’aurais au moins gagné dix balles !
  • Tant mieux. Je te laisse, le boss m’appelle. Bises.”

Pas plus de vérité là-dedans que dans les autres mensonges inventés pour éviter ce genre de soirée. Suffisait toujours d’une excuse. Tout était valable pour justifier le “non”. En l'occurrence, ce non était causé par l’appel de la thérapie ; celle qu’elle jugeait plus importante que toutes les autres : le sport. Le seul outil utile depuis la fin présumée de la maladie. La thérapie qui effaçait toutes les autres et qui se plaçait dans le top un des priorités de cette existence si fade et étroite. Personne ne pouvait lui prendre cela.

Les yeux sur le paquet de cigarette, la jeune femme alluma la radio et coupa court au chant de Frank Ocean. Volume bas, crachant à peine à travers le poste en mauvais état : “...semaine prochaine pour un événement astronomique pour le moins spectaculaire. En effet, les étoiles…”

La jeune femme n’écoutait même pas. Elle avait simplement besoin d’un fond sonore autre que celui de la tristesse se mêlant à son esprit.

Fumer tue.

Elle se saisit du paquet pour le ranger dans la boîte à gant. Ils fouillaient toujours ses affaires, sacs à mains, sacs à dos et lui faisaient même les poches de blouson, à son insu. Mais elle finissait toujours par le savoir. Stratagèmes divers la rendant toujours plus parano mais qui, finalement, la rassuraient assez pour la laisser poursuivre. Eux ne s’en privaient pas après tout. Elle était seule face à cette armée. Elle le savait. Elle l’avait toujours été. Après tout, la vraie solitude, n’est-ce pas celle qui vous tombe dessus lorsque vous êtes seuls à vous comprendre vous-mêmes ?

La voiture serait certainement inspectée elle aussi. Elle se ravisa et s’empara du paquet de cigarette. Encore plein. Elle y glissa le mégot froid, souffla sur les cendres. Puis, en un élan de renouveau, une respiration, ouvrit la portière. La fraîcheur de la nuit l’enivrait et lui permit de se lever, le torse bombé sous ses couches de vêtements pour enfin sortir du véhicule. Vêtue d’un jeans slim gris, comme d’habitude (peut-être dix comme ça dans la garde robe) et son habituel col roulé moulant noir (peut-être une vingtaine comme ça) mais recouverte d’une doudoune qu’elle détestait porter. Celle-ci cachait ce qu’elle croyait être des grosseurs. Baskets Nike comme toujours.

La jeune femme se dirigea vers une poubelle, à deux pas et y jeta le paquet. Après cela,, toujours debout, elle se tint devant la portière ouverte. Elle se dit qu’elle allait y aller, qu’il fallait y aller, là, sous le réverbère à la lueur orange. Se répéter les actions ne faisaient guère d’elle une femme d’action. Cela était le cas lorsqu’il s’agissait de ce contrôle qu’elle avait sur elle, à chaque instant de sa vie. Le contrôle. Il fallait garder le contrôle. En toutes circonstances. Ne jamais faillir. Ne jamais échouer. D’abord réaliser qu’il s’agissait d’une crise. Elles étaient la preuve qu’elle n’avait pas de prise sur ce qui se déroulait. Et cela ne pouvait arriver. Le déni était la seule option pour refuser la réalité. L’avait-elle vue venir cette crise, ce manque de contrôle ? Oui. En témoignait le paquet de cigarette qu’elle avait pensé à acheter au tabac en bas de chez elle, deux rues plus loin et le sac en carton du Mark & Spencer trois rues plus loin. Sauf que ce sac de nourriture, désormais froid, avait été acheté ce matin.

La restriction que la jeune femme s’était fixé trois jours auparavant de manger le minimum de calories possibles aurait dû prendre fin ce matin. Un matin comme un autre, fait de sport, de torture physique mal placée, dont la seule différence aurait dû être ces calories maintenant vides et froides contenues dans ce sac.

Elle avait échoué.

Ce simple sac marquait en elle un doute infini. La maladie prenait le dessus et avait pris le dessus ce matin en l’empêchant d’ouvrir ce même sac.

A mesure que la buée de la voiture s’évaporait dans la nuit noire, la lumière orangée des réverbères ajoutait à la pression que s’infligeait la jeune femme. Incapable de faire un geste, tremblante désormais du froid extérieur (ou bien était-ce la nouvelle charge qu’elle avait sur les épaules en fixant le sac ?), elle devait prendre une décision. Décision déjà prise depuis le matin-même, lors de l’achat du sac de nourriture. Décision qu’elle s’était même posée il y avait de cela quatre heures et trente sept minutes en sortant du sport. En vérité, depuis qu’elle avait acceptée cette soirée, au réveil ce matin, six heures et quinze minutes, la jeune femme en avait acceptée chaque seconde. La décision avait pris la forme d’un paquet de clopes et d’un sac Mark & Spencer.

Il fallait le faire n’est-ce pas ?

D’un pas décidé, elle rentra dans la voiture, claquant la portière.

Il était temps, n’est-ce pas ? L’échec de ce matin précédait cette punition : le doute l’habitait. Fallait-il ouvrir ce sac de nourriture ? Fallait-il rattraper l’échec de ce matin ? ou simplement passer à autre chose et un bon moment autour d’un dîner qu’elle n’aurait pas préparé elle-même ?

Les larmes maintenant sèches avait figé ses joues et son regard encore humide teinté du maquillage dégoulinant.

Elle débuta alors son opération aussi précise qu’une montre Suisse : rétroviseur en place, sac à main, démaquillant, coton, le visage propre, maquillage retiré, tout rangé dans sac à main, tout placer sur les genoux, sac Mark & Spencer par dessus. Avant de jeter un premier regard sur son contenu, elle leva les yeux sur le rétro tourné vers elle. L’opération quadrillée n’avait pas duré plus de deux minutes. Comme prévu. Le visage démaquillé, des cernes épaisses, moins bleutée qu’à l’époque, ses lèvres gercées, ses pommettes sèches, les yeux légèrement rouges, les cheveux en bataille (carré s’arrêtant au cou, jamais plus longs), elle se les attacha alors en un chignon strict à l’arrière du crâne. La doudoune hideuse, le col roulé noir en place en dessous, le jeans slim gris remonté. Elle se tenait droite comme un “i” sur le siège de la voiture imitant le sourire qu’elle devrait donner toute la soirée. Elle avait pris la décision de l’ouvrir ce sac. Oui. Elle était prête. Prête comme avant un entretien d’embauche. Prête pour l’opération suivante. Une opération singulière qu’elle avait tant haï par le passé. Une opération désormais toute autre. La prestance dont elle faisait preuve pour ce qui paraissait une masse de souvenir qu’elle allait bientôt devoir ingérer était palpable. Guère plus de stress. Guère plus d’angoisse. Simplement parce que la décision avait été prise. Prise depuis plus d’une heure, depuis plus d’une journée, depuis sa naissance. Cela était ce qu’elle était, et rien ni personne ne pouvait la changer. Rien ni personne.

Et comme pour répondre à cela, son portable se mit à vibrer. Là, sur l’affichage des compteurs : Jen. Elle s’empressa de répondre, de manière plus que calme, comme si tout était déjà prévu dans son esprit.

“Léa ! Dis donc on t'attendait presque !

  • J’arrive soeurette, je cherche une foutue place !
  • Mouais, on t’attend, tonton a déjà préparé les snacks. Enfin, il essaye, on l’aide mais pas facile avec un si bon cordon bleu !
  • J’imagine bien, ha ! Ah, tiens, le vieux Garrison bouge son tas de ferraille je crois...
  • Un tas de ferraille de chez Ferrari oui. Sinon tu dois avoir de la place vers…
  • T’en fais pas je viens de trouver. A tout de suite !
  • Yes !”

Plus le temps de reculer désormais. Plus le temps de tergiverser. Léa se préparait pour son opération ultime.

Là, face à son reflet et ce sac de nourriture.

Ce sac de nourriture…

Ce sac plein de nourriture…

De la nourriture refroidie qui tournait en boucle au sein de son esprit torturé. Car maintenant, elle devait faire ce qu’elle s’était refusée depuis ce matin. Et même si cette décision n’avait aucun sens, il fallait y passer, afin que l’échec du matin soit effacé. Passer outre ses critiques et la haine de soi pour faire ce qui devait être fait et qui lui tordait le bide depuis bien trop longtemps : manger.

“...et quand deux étoiles sont trop proches,

et que l’une d’entre elles explose,

il arrive qu’elle condamne l’autre étoile à errer,

sans trajectoire dans l’univers.

On les appelle les étoiles vagabondes.”

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