" Qu'allez-vous faire de nous ?

• Ça c'est pas ton problème la grosse. "

" BANG "

Le coup de feu retentit tel un affreux coup de tonner, et acheva de me sortir de mon état semi-comateux. J'étais toujours à bord du bus qui devait nous conduire en voyage scolaire. À côté, Samy m'enfonçait ses ongles manucurés à travers mon sweat, à demie recroquevillée contre moi. Ses doigts squelettiques m'enserraient dans leur étau. On eut dit qu'elle voulait traverser mes habits et ma graisse pour se terrer au fond de ma chaire.

Ne comprenant rien de cette situation, je regardais autour de moi. Tous étaient terrifiés face à des inconnus tout de noir vêtus jusqu'au port d'une cagoule qui pointaient des armes à feu sur nous. Le pare-brise était brisé et j'aperçus plus loin sur le macadam détrempé une main blessée de bris de verres. L'anneau d'argent étincelant doucement me laissa penser qu'il s'agissait peut-être de celle de notre professeur d'histoire. Enfin, pas celui des vilains-pas-beaux qui avaient envahi le bus, ils me semblaient avoir dépassé l'âge ingrat du lycée. Le chauffeur était compte à lui absent.

Un type debout au milieu de l'allée oú se tenait le professeur avant ouvrait et refermait la bouche plusieurs fois sans s'arrêter, mais je n'entendais rien d'autre que ce sifflement strident résonnant à mes oreilles. Une pensée me vint alors dans ce brouillard opaque d'incompréhension dans lequel se prélassait béhâtement mon cerveau : il avait arrêté de pleuvoir pendant que j'étais inconsciente.

Je portais ma main à mon front, là où une cuisante douleur ne cessait de vibrer au rythme d'un marteau de forgeron, et lorsque je l'abaissais Samy me secoua vivement pour attirer mon attention avant que je ne puisse y voir mon sang.

" Alex ! cria-t-elle, me ramenant par la même occasion dans le monde sonore.

• Hein ?
• Arrête de rêver le mioche. ordonna un de ces types d'une voix caverneuse. Toi et ta copine sortez avec les autres.
• Quoi ? lâchais-je toujours hébétée.
• T'es sourd ?! "

Il pointa le canon de son arme sur la tête de Samy, l'arme s'enfonça dans ses boucles blondes et celle-ci lâcha un croissement de peur. Ses larmes redoublèrent alors et ses lèvres tremblèrent dans une suppliquation muette visiblement incontrôlée.

" Magne-toi de sortir de là où j'éclate la cervelle de ta p'tite copine ! "

Les magnifiques perles grises de Samy se noyaient dans ses larmes alors que son maquillage -un smoky ?- se transformait en oeil de panda degoulinant affreusement sur ses joues rebondies.

" J't'en pris Alex " me supplia-t-elle.

Je ne comprenais toujours rien mais obtempérais sagement. Lorsque je me levais, un paquet de chips entamé tomba de mon sweat où on l'avait caché avant ce cauchemar et répondit son contenu par terre.

" Monsieur North va pas être content" pensais-je vaguement tout haut. Samy me tira à me décrocher le bras et nous guida à la suite de nos camarades.

En passant à côté de la deuxième rangée je vis le corps d'Éléna, alias "la grosse" à cause de ses rondeurs, allongé sur son siège. Une traîné rouge sur le cuir traçant un arc jusqu'à disparaître derrière sa tête.

" Attendez. Éléna n'vient pas avec nous ?"

Pour seule réponse on me jeta hors du bus d'un coup de crosse entre les omoplates. J'allais m'écraser face contre terre, attirant Samy dans ma chute et m'égratignant le mentont, les mains et les genoux là où mon jean était soigneusement déchiré dans une volonté de style. Un goût métallique emplit ma bouche et je sus, comme si je sortais enfin la tête de l'eau, que nous avions de sérieux problèmes.