Gros boudin
-Salut ! A vendredi soir ! lança Ayana en ne jetant pas un regard supplémentaire à sa génitrice qui refermait déjà sa vitre après avoir lancé un bref coup de main en signe d’au revoir.
La jeune fille tirait sa grosse valise rouge derrière elle. Elle avait prit le plus grand des soins pour la préparer, choisissant ses plus beaux vêtements, ses romans les plus passionnants, ses meilleurs jeux pour les partager avec ses futures camarades de chambre qu’elle imaginait déjà avoir comme amies. En faisant sa rentrée dans un lycée aussi loin de chez elle, elle s’offrait l’opportunité de commencer une nouvelle vie. Elle en avait besoin, comme un souffle d’espoir.
Ayana était une personne intéressante mais les ados demeuraient froids et cruels. Ils passaient davantage de temps à se critiquer qu’à prendre le temps de connaitre véritablement le trésor qu’est l’autre. Ma jeune maîtresse avait vu la fin de ses années « collège » comme une libération. Non seulement elle se dégageait du joug de ses pairs, mais en plus, elle s’éloignait de sa mère qu’elle voyait comme un être nocif et manipulateur. Ses boucles brunes caressant le vent léger de la fin de l’été, elle avançait la tête haute au milieu des lycéens nouveaux nés, fièrement et bien dans ses baskets. Elle ne voulait pas de nouveau être le souffre douleur, la tête de turc, la boloss du lycée. Alors elle entrait dans un rôle, mentait aux autres comme elle se mentait à elle-même. Mais c’était ainsi qu’elle se sentait fière.
Son lycée ressemblait à un énorme château fait de grosses briques. La façade imposante rebutait les entrées intempestives d’inconnus, comme les portes d’une prison. De jeunes ados entraient comme elle, chargés par de gros sacs. Elle les suivit, espérant qu’ils la mèneraient là où elle devait se rendre. Observant son nouveau monde, elle se sentait un peu rassurée, ses épaules se relâchèrent un peu. En effet, personne ne connaissait personne, à quelques exceptions près. Elle n’aurait pas de mal à se faire une place ici.
La nuit dernière avait été courte et tumultueuse, comme tous les jours de rentrée. Elle avait mis des heures avant de trouver le sommeil. Et une fois fait, elle n’avait pas arrêté de gesticuler, de donner des coups de pieds, de rouler sur elle-même me faisant même tomber sur le sol. Evènement qui arrivait très rarement.
Entrant dans l’internat, la jeune fille s’annonça. La surveillante lui indiqua gentiment qu’elle coucherait dans le dortoir 17 avec deux autres filles dont les noms lui étaient inconnus. Elle remercia poliment l’étudiante qui restait là à accueillir les nouveaux et reprit son chemin. Elle ouvrait grand les yeux, tout était nouveau pour elle. Elle se sentait incroyablement petite tandis que le plafond devait se trouvait à pas moins de trois mètres au-dessus de sa tête. Elle n’eut aucun mal à s’y retrouver, intercepta même la porte qui menait aux douches et aux toilettes.
Sa nouvelle chambre n’était pas large et l’ameublement était pauvre et vieillot. Contre le mur de droite, il y avait un lit superposé. En face, un petit lit unique aux draps rouges criards. Un bureau et une armoire à se partager. Chacun de ses pas faisait craquer le vieux parquet. Elle abandonna ses lourdes valises près de l’entrée, se déchaussa puis grimpa sur le lit le plus haut. Elle estimait qu’elle aurait au moins un peu de temps d’intimité loin du regard de ces inconnues en montant s’installer un peu plus près des étoiles.
En me déposant sur l’oreiller, elle murmura à mon intention :
-J’espère qu’elles seront gentilles avec moi.
Il lui arrivait souvent de me parler comme elle parlerait à un confident qu’elle n’avait jamais eu dans la réalité. Je l’écoutais, ma seule thérapie consistant à recevoir les étreintes face à de trop réguliers manques d’amour de la part de ses proches.
Deux jeunes filles arrivèrent peu de temps après qu’Ayana se soit allongée sur le matelas. Les filles bavardaient gaiement entre elles comme si elles se connaissaient depuis toujours. Elles se racontaient leurs derniers jours de vacances au soleil dans un pays étranger. Timide, ma jolie maitresse attendit qu’elles lui adressèrent la parole avant de la leur couper.
-Salut, lança l’une des deux. Mois c’est Florine et elle, Cindy. C’est ma meilleure amie.
Ayana lui répondit par un bonjour cordial. Elles n’attendirent pas plus longtemps pour déballer leurs affaires, tout en continuant à discuter entre elles. Ma jeune maîtresse n’était pas un obstacle à leur conversation, c’était comme si elle n’était pas là, invisible une fois encore.
-Regarde-moi cette robe, lança Cindy en la posant face à son corps. Tu crois qu’elle plaira à Robin ?
-Bien sûr, lui répondit son amie. Il faudrait ajouter une pointe de rouge à lèvre et tu seras parfaite !
Elles continuèrent à parler un long moment sur la manière de se rendre plus jolie, plus sexy. Sur le jus de carotte à se frictionner contre la peau pour la rendre plus lumineuse, Ayana poussa un profond soupir, agacée. Autant de mots de sujets qui ne faisaient pas partie de son vocabulaire.
La jeune brune ne se voilait pas la face. Ses camarades de chambre et elle n’avaient rien en commun sinon la pièce dans laquelle elles dormiraient tous les soirs de la semaine. L’une des jeunes filles était blonde, l’autre avait les cheveux de la même couleur que les blés en été. La première était surmaquillée, faisant de son fond de teint un véritable plâtre derrière lequel on n’apercevait même pas un bout de sa vraie peau. L’autre, quant à elle, était prêtre à aguicher n’importe quel garçon en montrant sa deuxième paire d’yeux. Ayana était différente. Ses centres d’intérêts étaient plus profonds et moins superficiels. Nul doute qu’elle s’ennuyait déjà en les écoutant caqueter comme des pies.
Jugeant que les présentations étaient bouclées, cette dernière prépara un petit sac à dos dans lequel elle y glissa un roman et de quoi écrire. Elle ne m’oublia pas. Ayana ne se séparait jamais de moi, j’étais comme son porte bonheur. Elle me comblait plus que je ne le méritais, ravi de voir ma petite violette devenir un grand et beau lys.
Dans la cour de récréation, elle trouva un coin isolé dans lequel elle s’installa. Loin du regard des autres, elle observait son nouveau logis avec minutie. On ne savait trop ce qu’elle regardait. Elle semblait perdue dans ses pensées, plongée dans ses rêves.
Le bâtiment dans lequel avait lieu les cours était tout ce qu’il y avait de plus laid. Autour, le parc était sympathique. De grands arbres offraient leurs ombres à une vaste pelouse encore grillée après tant de temps sous le soleil de l’été. Non loin, il y avait un petit étang où l’eau stagnante était verte. Un coin de nature pour soulager ses peines intellectuelles. Elle soupira un long jet de fumée avant de me dire :
-J’ai un mauvais pressentiment pour cette année.
Le stress d’un jour de rentrée ? Le traumatisme de ses années passées ? Elle ne m’en confia pas plus, sûre d’affronter et d’accepter malgré tout son funeste destin. Car il s’agissait en fait de s’accepter soi-même avant tout.
Il était vrai qu’elle était particulière. Depuis quelques années, elle ne s’habillait plus que de vêtements aux couleurs sombres. Elle s’était même teint les cheveux. Ce n’était pas forcément dû à son mal-être bien qu’elle n’avait pas eu que des jours heureux. Mais ça passait par là, pour se faire naître elle-même. Sa mère ne l’entendait pas de cette oreille, elle.
Plus le temps défilait, plus la foule se fit nombreuse. Personne ne souhaitait arriver en retard. Pas le jour de la rentrée. Elle se mit à les suivre en jetant son mégot loin dans la pelouse.
Le tableau d’affichage indiquait qu’elle se retrouvait en 2nd P. Classe honorable de vingt trois élèves dont les trois prochaines heures se dérouleraient en compagnie d’un professeur de français de type masculin.
Les couloirs du bâtiment étaient aussi roses que la peau d’un cochon non souillée. Les discussions allaient bon train, causant un vacarme assourdissant dans ce tunnel rose. Certains faisaient connaissance avec leurs voisins d’internat. D’autres qui se connaissaient depuis longtemps se racontaient leurs aventures à la mer durant ses deux derniers longs mois où ils n’avaient qu’à peine échangé un mot. Enfin, d’autres, comme Ayana, auraient souhaité ne faire qu’un avec les murs et être invisible.
La jeune fille passa la porte de la salle 103. Son cœur manqua un battement tandis qu’elle jeta son dévolu sur les individus qu’elle côtoierait tout le long de l’année. Au fond de la classe, de sa voix stridente, elle reconnut Lauryne. Son véritable cauchemar. Cette dernière la détestait profondément. Ayana n’évoquait même pas son prénom lorsqu’elle l’insultait de tous les noms d’oiseaux discrètement sous sa couette. Elle l’appelait « gros boudin » et pleurait tous les soirs en repensant à tout ce qu’elle lui avait fait subir durant la journée.
Le dernier jour comme collégienne, Ayana avait été blessée au plus haut point dans son corps mais aussi dans sa tête. Les blessures de la jeune fille ne s’étaient refermées que par la pensée que plus jamais elle ne reverrait ce gros boudin. Elle était rentrée chez elle pleine de pisse et de merde parce que ses congénères, prise d’une folie festive, avaient tout lâché dans la poubelle des vestiaires des filles. Lauryne avait tout orchestré. Elles avaient pris les vêtements de ma maîtresse et les avaient baptisés trois fois, au nom du père, du fils et du saint esprit en plongeant le tout dans cette même poubelle remplie de leur mixture écoeurante. Elles l’avaient ensuite rouées de coups si bien que ses bleus avaient mis trois semaines après les faits à cicatriser. Humiliée, elle n’en avait pas pleurée moins.
Ma maîtresse s’installa sagement au premier rang, comme pour se protéger des méfaits de sa connaissance déjà bien entourée. En attrapant son bloc note, elle me jeta un bref coup d’œil comme si elle hésitait à se faire réconforter, même devant tout le monde.
Au son de la voix grave de son nouveau précepteur, ses muscles se détendirent peu à peu. Elle ne risquait rien dans le champ de vision de l’adulte sinon d’être ennuyée par un discours long et rébarbatif. Rien de bien grave.
Son voisin de derrière lui tapa l’épaule. Sans même lui adresser la parole, il lui tendit un morceau de papier déchiré dans son cahier. Elle l’ouvrit sans se demander qui en était l’auteur. Elle ne le savait que trop bien.
« Hello Tonzor ! J’avais oublié combien tu étais moche et que tu sentais mauvais. Ca me fait plaisir de te revoir. Je suis sûre que nous nous amuserons bien cette année, tous ensemble ».
Ayana se retourna afin de regarder Lauryne. Cette dernière affichait un large sourire en lui faisant le même signe de la main que sa mère en l’abandonnant au bord de la route. Ses nouvelles compères rirent en chœur derrière elle, tandis que ma maîtresse, impuissante, retînt ses larmes en transformait le message en une vulgaire boulette de papier. Il ne restait plus rien de fière à ma maman, avec ses mains tremblantes et ses larmes pleurant dans son cœur.
Dès que la sonnerie retentit, elle se leva sans prendre la peine de ranger correctement ses affaires dans son sac. Soudain claustrophobe elle n’avait qu’une hâte, celle de sortir prendre l’air. Le ciel lui tombait sur la tête. Le poids de tant d’espoir sans retour.
Une fois qu’elle retrouva son coin isolé, elle se mit à pleurer à chaudes larmes et à vomir ce qui lui restait de son repas en songeant à tous les maléfices que cette sorcière pouvait lui infliger, à toutes les personnes innocentes qu’elle rendait coupable à force de manipulation. Et dire qu’Anaya avait cru être assez loin de chez elle pour ne plus avoir à croiser constamment son passé. Elle qui avait dû faire une sacrée impression à ses collègues. Elle qui s’était lancé le défi de se faire au moins une amie aujourd’hui, elle se faisait de nouveau passer pour la solitaire et la bizarre de service. Chassez le naturel, il revient au galop.
Elle se releva longtemps après, une fois qu’elle avait repris ses esprits. Elle lança dans la nature de profondes inspirations pour calmer définitivement son hyperventilation. Elle ravala ses larmes dès qu’elle aperçut qu’il y avait quelqu’un en face de l’étang qui l’observait. Un jeune homme à la chevelure crasseuse, la tête appuyée contre un des nombreux arbres.
Elle était gênée qu’on puisse entrer ainsi aussi facilement dans son intimité. Mais elle n’osa pas pour autant briser leur échange silencieux. Cela dura un long moment comme s’ils se scrutaient intérieurement et faisaient connaissance en profondeur. L’air de rien, elle se retrouvait plus calme, et commençait même à se dire que peut être, gros boudin s’était mise au soleil tout l’été et que ça l’avait peut être fait assez mûrir pour ne plus la faire souffrir.
Son étrange observateur lui souriait. Elle lui mima un merci qu’il comprit en lisant sur ses lèvres. Il lui répondit par un clin d’œil. Ayana voulut le rejoindre ais il s’évapora dans la nature dès le moment où elle se dirigea vers lui.
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