Noah emménage - 2

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- Noah ?

- J’ai entendu.

- L’argent est sur le comptoir de la cuisine.

J’ai ouvert la porte après un crochet par la cuisine pour prendre la somme que ma mère avait mise de côté. Le livreur s’était collé à la porte pour se protéger le plus possible de la pluie qui tombait toujours aussi dru.

- Une quatre-fromages et la pizza du Chef, annonça l’adolescent petit et costaud qui dégoutait sur le seuil.

- C’est ça.

- 15.99, s’te plaît.

Je lui tendis le billet de vingt.

- Tu peux garder la monnaie, précisais-je en prenant les cartons qui commençaient à prendre l’eau.

- Merci, mec ! Tu viens d’arriver à Berking’s ?

- On dirait bien, oui.

- Cool ! On sera sûrement dans la même classe ?

- Pas sûr, je suis déscolarisé, tentais-je de blaguer.

- Hein ?

J’ai pas dit être une flèche en humour non plus.

- Rien, laisse tomber. On se voit lundi alors. Merci pour les pizzas.

Et je refermais la porte. Je n’avais pas encore commencé les cours et j’avais déjà un pote ! Ô joie. Je déposais les pizzas sur le comptoir de la cuisine et commençais à les couper.

- Un jeune de ton âge ? demanda maman.

- À priori.

- Il a l’air gentil.

- On a échangé trois phrases, mais oui, il a l’air. Si ma tentative d’humour n’a pas tout gâché, dis-je en souriant.

Et si c’est le cas, je m’en fiche, pensais-je immédiatement.

- Je suis sûre que non. Tu es un gentil garçon Noah. Ce serait bien que tu te fasses des amis ici, ça te ferait du bien.

Je levais les yeux et rencontrais le regard vert de ma mère, dans lequel brilla fugitivement une lueur d’inquiétude.

- Laisse une chance aux gens d’ici, continua-t-elle. Ça me rassurerait de savoir que tu traînes avec des jeunes de ton âge, au lieu de rester seul avec tes livres constamment.

- Il y a des gens dans les livres, maman.

- Je suis sérieuse, Noah.

- Je sais, excuse-moi, soupirais-je. Tu sais bien que je ne suis pas très doué pour me faire des amis.

- Ça, c’est ce que tu dis parce que tu refuses d’essayer. La vie n’est pas dans les livres, mon chéri. Cette ville est une chance de tout reprendre à zéro. Promets-moi au moins d’essayer.

Je ne répondis pas tout de suite, perdu dans la contemplation du fromage fondu sur ma pizza. En relevant les yeux, j’eus peur de voir la déception coutumière de maman à mon égard, celle qui me poignardait la poitrine sans pitié à chaque acte manqué. Mais il n’y avait rien de tout ça cette fois-ci.

- J’essaierai, promis.

Les mots ont eu du mal de sortir ; j’avais beau promettre la lune à ma mère, je savais d’avance que le contact ne passerait pas avec les jeunes de l’école. J’échangerai pour les travaux de groupe – inévitables – j’aurais quelques conversations tout au plus, mais je ne me ferais pas d’amis. J’étais devenu socialement disloqué, et j’étais certain que malgré les efforts que je pourrais faire, les autres préfèreront m’éviter à la longue. Tout comme je préférais les éviter également.

Le vendredi soir se termina calmement, la pluie ayant diminué quelque peu. Allongé dans ma nouvelle chambre, je retournais et retournais encore les paroles de maman dans ma tête. Me faire des amis. J’étais peut-être un fragile, mais cette idée me faisait légèrement angoisser pour ma rentrée de lundi. Moi qui n’en avais rien à secouer dans notre ancienne ville, me voilà qui appréhendais de me retrouver au milieu d’inconnus potentiellement susceptibles de devenir des « amis » selon le bon vouloir de ma mère. Mais qu’est-ce que je racontais moi ? Je n’avais plus qu’un an à tirer avant l’université, c’était inutile d’essayer de sympathiser plus que nécessaire.

Ma promesse me revint alors en pleine face. Je décidais donc d’aller faire un tour en ville demain ou dimanche si la météo se calmait un peu ; ça me permettrait d’apprivoiser les habitants de Berking’s Hill avant le grand jour, et de me repérer dans le patelin. Je trouverais peut-être un bouquiniste par la même occasion. Rasséréné, je fixais le plafond, au chaud sous la couette, bercé par la pluie sur le carreau.

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