Noah emménage - 3
Lun-Ven: 9h-18h
Sam: 10h-14h
Fermé le dimanche et jours fériés.
Il était 14h 27. C’était bien ma veine tient. Ça m’apprendra à faire la grasse matinée. Pas de bouquiniste, ni de librairie à Berking’s Hill – je sais, j’en étais choqué aussi. Seulement une bibliothèque dont les horaires me laissaient dubitatif. Je n’aurais qu’à y passer lundi après les cours, si jamais je survivais à ma première journée. Histoire de voir ce que ce petit bâtiment tout en hauteur et en fenêtres avait à offrir.
Après cinq bonnes minutes à contempler la pancarte affichant les horaires d’ouverture d’un air hébété, je me décidai enfin à me retourner pour descendre la ribambelle de marches qui menaient à la double porte. La pluie s’était arrêtée ce matin, laissant cependant le sol et les pierres complètement détrempées. J’eus beau m’y prendre prudemment, arrivé à la dernière marche, donc celle la plus proche du sol, mon pied glissa et c’est à grands battements de bras que je parvins à garder mon équilibre. Un coup d’œil à gauche et à droite rapides pour m’assurer que personne n’avait remarqué mon manège et je retournais sur mes pas le plus naturellement possible.
Il y avait peu d’animation dans l’avenue principale. Les températures de la mi-octobre en décourageaient plus d’un à sortir le bout du nez. J’observais les boutiques, les rares passants. L’air sentait l’automne ; cette odeur glacée, si fraîche qu’on sent l’air inspiré descendre dans nos poumons, mêlée au parfum des feuilles couleur rouilles détrempées par la pluie. Il y avait quelques citrouilles évidées et garnies d’une bougie dans les vitrines et au coin des rues. Quelques décorations ornaient les lampadaires : sorcières, fantômes, toiles d’araignées. Jack Skellington en rougirait de plaisir.
Une pancarte arborant fièrement une citrouille grimaçante retint mon attention. L’enseigne au-dessus de la porte annonçait : Salon de thé de Rosyn. Ça rattraperait largement l’absence d’un libraire s’ils avaient du café. Du bon café. La sonnette tinta lorsque j’entrai. Deux clients levèrent brièvement la tête vers moi et je lançai un bonjour un peu enroué d’être resté longtemps sans parler.
- Bonjour, jeune homme !
Une petite dame surgit derrière le comptoir, un grand sourire collé aux lèvres roses. La fameuse Rosyn ? Le premier mot qui me vint à l’esprit en la regardant fut « poudré ». C’était une femme d’une cinquantaine d’année, soignée sur elle, et qui dégageait une aura poudrée, douce. Impossible de ne pas lui rendre son sourire.
- Alors, qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
Je jetai un œil rapide à la carte affichée derrière elle.
- Un Latte Noisette, s’il-vous-plaît.
- Grand ou petit ?
- Grand.
- Ça arrive tout de suite, lança-t-elle sans se départir de son sourire. C’est la première fois que je te vois ici.
Elle s’affairait derrière son comptoir tout en maintenant la conversation. Typique des petites villes je suppose. Là où on vivait avant, il fallait payer en plus pour avoir un bonjour et le café chaud. Je lui répondai, même si sa phrase sonnait davantage comme une affirmation et non une question.
- On vient d’emménager avec ma mère. On est arrivés hier.
- Ah ? Dans la rue des Genévriers n’est-ce-pas ? Pas trop compliqué avec la pluie ?
- Ça a été, souris-je.
- Bien. C’est un quartier tranquille. Si on oublie le manoir.
- Il y a un problème avec le manoir ?
- Oh non, mon chéri, contra-t-elle en gardant son sourire. Les gens qui y vivent sont un peu étranges, c’est tout. J’espère que vous vous plairez ici, ta maman et toi. Nous avons une belle ville, si on passe outre la pluie. Et voilà, 3.99 s’il-te-plaît.
Typiquement le raisonnement d’une petite ville ou j’avais raison avec mon histoire d’Hitchcock hier ? Je lui tendis la monnaie, et j’allais prendre mon café et la remercier mais elle interrompit mon geste d’un mot.
- Et ceci, dit-elle en emballant un cookie dans un petit sachet en papier brun, est un cadeau de bienvenue.
- Oh, mais…
- Tsss, j’insiste.
J’hésitai un instant, pas très à l’aise à l’idée d’accepter un cadeau d’une parfaite inconnue, aussi gentille soit-elle. Je détestais me sentir redevable d’une quelconque manière, et ça n’a pas tellement changé. C’est son expression qui finit par me convaincre, son sourire si engageant et le fait qu’elle fut la première personne à qui je parlais dans cette ville. Je sentais que si je refusais je lui ferais de la peine.
- C’est gentil. Merci. Madame Rosyn ?
- Elle-même !
- Je m’appelle Noah.
- Bienvenue à Berking’s Hill, Noah.
- Merci encore, dis-je en prenant mon café et le cookie, et en tâchant d’ouvrir la porte sans rien laisser tomber. Bonne journée.
L’air frais fit du bien à mes joues, que je sentais rougies par l’atmosphère chaleureuse du salon de thé et par l’échange avec Rosyn. Je goûtai le café et me brûlai la langue par la même occasion. Idiot. En attendant que le café refroidisse, je continuai mon exploration en grignotant mon cookie. Il était incroyablement bon. Croustillant en surface, moelleux à cœur, et bourré de pépites de chocolat et d’éclat de noisettes. Une tuerie. Je sentais que j’allais retourner très souvent voir madame Rosyn. Le budget livres de mon argent de poche était en phase d’être reconverti ; sans librairie digne de ce nom, j’avais désormais un budget café.
L’avenue principale offrait également un bowling-cinéma, un fast-food, la pizzéria à laquelle nous avions commandé la veille, et d’autres restaurants un peu plus chics. Quelques boutiques de vêtements, un supermarché, une épicerie. Tout ce qu’il fallait, et pourtant pas grand-chose quand on en dressait la liste.
J’arrivai bientôt devant l’école, après un énorme carrefour. Ça m’évitera de me perdre lundi. Un petit nœud se forma dans mon ventre en y pensant. Débarquer un mois après la rentrée, dans un nouvel établissement, ça avait de quoi rendre nerveux non ? J’avais beau me targuer d’être insensible au regard des autres, ça ne rendait pas la chose plus agréable. Je me rassurais en me disant que je resterais le nouveau pendant deux à trois semaines maximums, et qu’après ils se lasseraient tous de ma petite personne insignifiante. Et sinon, qu’est-ce qu’un an dans une vie ? Énormément de choses, comme j’allais le découvrir.
Les dernières gouttes de mon café disparues du gobelet, je sentais le froid de la fin d’après-midi plus intensément. Je décidais de rentrer ; je continuerais mon exploration dans la semaine, en faisant un petit arrêt chez Rosyn. J’espérais que le salon de thé serait ouvert le lundi avant les cours.
En arrivant au début de ma rue – merci la plaque en émail marquée « rue des Genévriers » – je jetais un œil au manoir. Pas le moindre signe d’âmes qui vivent aux abords de la maison. Une forêt s’étendait à l’arrière de la bâtisse que je n’avais pas remarquée hier. Les vitres ne laissaient transparaître qu’un reflet sombre, vide de toute lumière à l’intérieur. Alors que j’allais dépasser le manoir, un mouvement retint mon attention : le reflet sombre s’écarta quelque peu, comme un rideau, et laissa apercevoir un visage pâle pendant deux petites secondes. C’est allé tellement vite que je n’ai pas pu saisir les traits. Surpris, je sursautais et failli me prendre le piquet électrique devant moi. Mes jambes ont accéléré indépendamment de ma volonté et je suis rentré à la maison, en pensant que je devrais arrêter de lire autant de livres de Stephen King.
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