Noah emménage - 4
On n’échappe pas à son destin. Ce furent les premiers mots qui me vinrent à l’esprit, le lundi, quand mon réveil sonna sept heures. Autant dire que j’étais aussi motivé d’aller en cours qu’Harry Potter de retourner chez les Dursleys. Oui, j’ai un côté mélodramatique, et alors ? On pimente son quotidien comme on peut.
Maman était déjà prête quand je descendis dans la cuisine en pyjama, les cheveux en pétards. Elle termina son café avant de poser la tasse vide dans l’évier et de la remplir cette fois-ci d’eau.
- Bonjour, mon chéri, bien dormi ?
J’ai à peine eu le temps de lui répondre qu’elle attrapait son sac, et me collait une bise sur le front.
- On se voit ce soir, je suis déjà en retard. Passe une bonne première journée de cours !
Et pouf ! Plus de maman. Je me rappelais à peine la dernière fois qu’elle m’a embrassé avant de partir au travail. Je jetai un œil rapide à l’horloge ; 7h15. Les cours commençaient dans un peu plus d’une heure. J’avalai un verre de jus d’orange, et fit l’impasse sur les aliments solides. Je ne voulais pas en demander trop à mon estomac qui se débattait déjà avec un nœud bien serré.
Je remontai me préparer. Je fixai mon reflet dans le miroir de la salle de bain une fois habillé. Impossible de faire plus basique : chemise ouverte sur un t-shirt uni, jean. Je me concentrai sur mes yeux, comme si je pouvais les faire changer de couleur par ma simple force d’esprit. Ils allaient détonner un peu dans les premières heures, ou pas. On ne peut jamais savoir comment les gens vont se comporter. Après tout, madame Rosyn n’avait rien montré samedi. Quoiqu’elle dût se ficher de la tête de ses clients tant qu’ils payaient le café.
7h45. Il était temps de partir si je ne voulais pas courir jusque l’école. On n’habitait pas loin mais quand même. J’enfilai mes converses rouges sur le paillasson, attrapai ma veste et je sortis, le sac sur l’épaule. Et fis demi-tour tout de suite pour prendre les clés que j’avais oubliées sur le meuble près de la porte. Je sortis enfin, fermai à clé, et quittai la maison. Je remontais la rue lorsque je vis une silhouette ouvrir la grille devant le manoir et en sortir pour prendre la direction de l’Avenue principale aussi. Je ne distinguais rien de bien distinctif à la distance où j’étais, excepté ce que je devinais être un sac à dos perché sur les épaules de la personne. Un autre élève ? J’étais intrigué. Inconsciemment, j’accélérais le pas mais je ne parvins pas à rattraper celui ou celle qui était sorti du manoir. Arrivé dans la Grand rue, impossible de voir de quel côté il était parti. Il marchait drôlement vite. Ou elle. Ou je venais d’avoir une hallucination.
Je constatais avec une pointe de déception que Le Salon de Thé de Rosyn n’était pas encore ouvert, et accélérais l’allure jusqu’à enfin arriver devant mon nouvel établissement scolaire, dont les grilles étaient ouvertes contrairement à samedi. Je pénétrais dans la cour en ayant envie de prendre mes jambes à mon cou et de retourner chez moi.
« Haut les cœurs, Noah. C’est juste une école. Et d’autres gens de ton âge. Ils ne vont pas te bouffer. » Tu parles. C’était plus facile d’ignorer les gens avec qui j’avais grandi que de s’acclimater dans un nouveau lycée. Je soupirais. Il fallait que je trouve le secrétariat pour avoir mon emploi du temps, et ma classe.
J’avançais en regardant autour de moi. Quelques élèves étaient déjà là, assis sur des bancs ou debout, discutant. Les bâtiments étaient en brique, d’une couleur rouge tirant sur le brun, et parsemés de fenêtres à intervalle régulier, des fenêtres carrées, séparées en quatre par le châssis. Je vis avec soulagement une plaque marquée « secrétariat des étudiants » au-dessus de la porte du bâtiment le plus à gauche.
J’entrais, me retrouvais entouré de vitres et de portes, sans aucunes indications. Super, difficulté numéro 2 : trouver la bonne porte. J’avançais à petits pas incertains quand une voix me fit brusquement sursauter. Je me retournais.
- Noah Graham ?
- Oui ?
- Je suis madame Lopkins, la secrétaire. Tu peux me suivre dans le bureau.
J’obéis, et la suivis. Le bureau n’était pas grand mais étonnamment ordonné ; pas un seul dossier ne dépassait des étagères sur lesquelles ils étaient rangés. Une autre élève se trouvait déjà dans le bureau. De taille moyenne, des cheveux assez sombres coupés courts, c’est tout ce que je parvins à distinguer. Elle se tourna d’un quart pour me saluer avec un léger sourire mais pas assez pour que je puisse distinguer son visage.
- Bien, comme vous êtes dans la même classe, ça ira plus vite si je vous donne les informations en même temps. Voilà vos emplois du temps, et quelques papiers que vos parents doivent compléter et signer pour demain sans faute. Le reste de votre dossier d’inscription est en ordre.
La fille s’avança pour prendre ses papiers.
- Ça ira pour votre premier cours ? demanda madame Lopkins.
- On devrait se débrouiller, j’ai un bon sens de l’orientation, répondit la fille.
Je m’effaçai tandis qu’elle s’extirpait du bureau pour me laisser la place.
- Bien, bonne journée les enfants. Et n’hésitez pas à venir me voir si vous avez besoin de quoique ce soit, compléta la secrétaire.
Je la remerciais et sortais, le nez sur mon horaire. Pas trop moche. Le premier cours du lundi était mathématique ; sans détester, c’était loin d’être le cours que je préférais.
- Ça ne t’embête pas de m’attendre ?
Je baissais les yeux. La fille était occupée à ranger les papiers dans son sac à dos.
- Pas du tout, répondis-je. T’es nouvelle aussi ?
- Si on veut, répondit-elle avec un petit rire.
Son rire sonnait comme un ricochet sur l’eau d’un lac. Plein de joie et de légèreté.
- Je m’appelle Isobel, au fait.
- Noah.
- Noah, c’est un plaisir, s’exclama-t-elle en se relevant et en me tendant la main.
Je lui tendis la mienne par réflexe. Debout, je pouvais enfin voir son visage. Et je m’arrêtais net, la bouche ouverte, et la main à moitié suspendue entre nous. Elle avait des tâches de rousseurs sur un nez en trompette, un visage pâle mais avenant, qui respirait la bonne humeur. Mais ce n’est pas ce qui retint mon attention. Je n’arrivais pas à décrocher mon regard de ses yeux, qui s’étaient écarquillés de surprise en croisant mon regard.
Isobel avait les yeux vairons elle-aussi. Le droit noisette, et le gauche tirant sur le vert, comme une aquarelle qui aurait bavé. Exactement comme les miens.
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