La fille du manoir - 1

4 minutes de lecture

- Ça t’embête si on s’assoit ensemble en cours ?

- Oh, euh, non du tout.

Pas très bavard le Noah. Ou alors je lui ai fait peur. Je n’espère pas, il a l’air sympa, et c’est le premier visage neuf à ne pas détaler en me voyant. Faut dire que ce n’est pas très commun de croiser quelqu’un avec exactement la même couleur d’yeux. La seule différence, c’est l’origine de cette particularité. Chez lui, c’est plus que probablement génétique, tandis que chez moi, c’est plus… compliqué ? Enfin, c’est génétique aussi, mais je doute que sa mère fasse partie elle aussi d’un clan de sorcières et lui aurait par conséquent fait don de pouvoirs à la naissance. De plus, les sorciers sont assez rares. Ça remonte à des années, des siècles, une stupide discrimination faite par des idiotes selon qui la gent féminine serait plus disposée, plus réceptive aux forces magiques et donc à l’utilisation de nos dons. Je trouve ça complètement con. Certains sorciers se sont parfois mieux débrouillés que les sorcières, il y a qu’à regarder Merlin. Bon peut-être pas le meilleur exemple, mais j’ai encore des trucs à apprendre pour ma défense.

Je suis Noah dans la salle de math où nous arrivons les premiers. Le prof nous accueille gentiment.

- Ah, voilà les deux nouveaux ! Noah et Isobel, c’est ça ? demande-t-il en jetant un œil rapide sur son registre. Je suis monsieur Gauss. Pas trop stressés, ça va ?

Noah se contente d’hausser les épaules avec un petit sourire. Il a l’air un peu perdu depuis qu’on est sorti de chez Lopkins.

- Je suis contente d’être là ! dis-je.

Monsieur Gauss nous adresse à tout les deux un grand sourire plein d’entrain.

- Bien. Vous pouvez vous installer. Vous n’aurez pas trop de mal à rattraper la matière, on a surtout revu la théorie de l’an dernier pour se remettre dans le bain jusque maintenant ; Si vous avez une question, n’hésitez pas.

Sur ce, il se tourne vers le tableau pour préparer son cours.

- Tu as une préférence ? me demande Noah en montrant d’un signe de tête les rangées de bancs dans la classe.

- Pas vraiment, je te laisse choisir, lui souris-je.

Je suis sincère, ça ne m’importe pas vraiment. Et puis, si ça lui permet de se sentir à l’aise, ça me va parfaitement. Je le suis vers une place située au milieu de la pièce, à côté des fenêtres.

- On aura qu’à faire une tournante pour la fenêtre, me propose-t-il.

- Mmmmh on baille aux corneilles chacun son tour, pas bête !

Je chuchote en prenant un air de conspiratrice ; étonnamment ça fonctionne, après deux secondes d’une expression perplexe, il sourit de toutes ses dents en pouffant. Il a l’air de se détendre en même temps.

- Je te laisse le premier-quart ?

À mon tour de rire.

- Trop aimable, merci.

- Tu viens d’emménager aussi alors ?

Il sort ses affaires en attendant ma réponse. Il me prend de court. Ce n’est pas vraiment le premier sujet que j’aurai voulu aborder, même si j’aurai dû m’y attendre. J’hésite un peu, pendant que ses yeux me fixent. C’est assez étrange de voir son propre regard en miroir. Mais son expression n’est pas inquisitrice, juste curieuse. Je décide d’être franche. Je n’ai aucune raison de mentir sur ce point, et puis de toute façon, la nouvelle va vite s’ébruiter en ville.

- En fait, ça fait plusieurs années que je vis à Berking’s Hill avec ma mère. On me faisait l’école à domicile, je précise en voyant son expression interloquée.

- Ah bon ?

- Je sais, c’est bizarre.

- Non, juste… inhabituel. Qu’est-ce qui a changé ?

- J’en ai eu marre de restée enfermée tout le temps, sans jamais voir personne pour râler sur les dernières interros ou pour sortir après les cours en oubliant les devoirs. Alors, j’ai décidé de m’inscrire à l’école. Je m’y suis prise un peu tard mais me voilà ! Et toi alors ? je lui demande pour changer de sujet.

Je l’aime bien mais c’est un peu tôt pour lui dire que je n’ai normalement pas le droit de sortir de chez moi. D’où l’école à domicile.

- Quoi, moi ? demande-t-il surpris.

Je pouffe.

- Qu’est-ce qui t’amènes à Berking’s Hill ?

- Oh, ça. Ma mère a trouvé un nouveau job dans la ville voisine, on a dû déménager. On est arrivé vendredi.

- Tu habites loin ?

- Non, pas trop. C’est la rue des Genévriers, celle avec le manoir au coin de rue.

Alors, si je m’attendais à celle-là.

- C’est drôle, on est presque voisin.

- Tu es proche du manoir ?

- Je vis au manoir.

- Dans le manoir ?

- Ça pose un problème ? je demande directement en me renfrognant.

- Pourquoi ça poserait problèmes ?

- Disons qu’en ville, le manoir et ma famille n’ont pas vraiment de fanclub.

Ce dont je me contrefiche en général. Les rumeurs, je les subis depuis que j’ai appris à sortir en douce grâce à l’aide de Samuel. J’ai l’habitude, on peut difficilement en attendre plus de cette petite ville très « correcte ». Mais l’idée que les rumeurs puissent convaincre quelqu’un de fraîchement débarqué, sans apprendre à nous connaître avant, me tape sur le système.

- Oui, j’ai cru comprendre. Madame Rosyn a laissé entendre que des gens étranges vivaient au manoir, s’empresse-t-il d’expliquer en voyant mon expression.

- Quelle dame charmante.

- Elle a de bons cookies.

- Ah, les fameux cookies de bienvenue. Jusqu’au jour où vous n’êtes plus assez correct pour en avoir.

Il me regarde sans comprendre. Il n’a pas le temps de répondre, les autres élèves viennent d’entrer en classe, et ils ne tardent pas à remarquer ma présence. L’un d’eux en particulier me hérisse le poil. Elias Endcombe. Evidemment, il fallait que je sois dans la même classe que ce crétin monumental.

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