La fille du manoir - 2
- Tiens donc, Holloway, lance-t-il en me regardant droit dans les yeux. Je ne savais pas que les monstres étaient autorisés de sortie avant Halloween.
- Les idiots ont bien le droit de sortie tous les jours de l’année, je lui rétorque.
Ce qui me vaut de nombreux regards venimeux de la part de ce qui lui sert d’amis. J’entends quelques gloussements des élèves à l’arrière cependant, vite arrêtés par les regards assassins d’Elias. Un de ses amis dont le nom m’échappe salue Noah par-dessus l’épaule de l’abruti en chef.
- Hé le nouveau, ça roule ?
Je jette un coup d’œil à mon voisin de banc, qui lui adresse un signe de tête assez bref, l’air encore plus mal à l’aise qu’avec moi.
- Ah, c’est toi le nouveau ? demande Elias. Oui, Thomas nous a dit que tu venais d’emménager. Vous vous connaissez ?
Il agite son gros doigt sous notre nez, nous englobant tous les deux dans son geste.
- Je croyais que ta maman t’avait appris à ne pas agiter le doigt sous le nez d’autrui, Endcombe. Ce n’est pas très poli, elle ne serait pas contente.
Nouveau regard noir. Brrr j’en aurais presque des frissons.
- On est voisins, en fait, répond Noah en ramenant l’attention sur lui.
Je suis surprise. Je m’attendais à ce qu’il se rétracte et me dénigre, pour s’intégrer aux autres. Au lieu de quoi, il nous présente presque comme des amis. Elias semble vaguement surpris, avant de croiser les bras.
- Un petit conseil, le nouveau : reste loin des dérangés de cette ville. Les gens normaux font de meilleurs amis.
- Défini normal.
- Quoi ?
- La normalité. Défini ce que c’est, selon toi bien sûr. On a tous des points de vue différents sur la chose.
- T’es aussi bizarre qu’elle ou quoi ?
- À toi de voir, on fait de grandes choses avec le bizarre.
Elias se penche vers Noah, les deux mains sur la table, l’air fripé qu’il prend lorsqu’il est en rogne sur le visage. Je vois bien que Noah n’a qu’une envie, c’est de reculer, mais il ne bouge pas. À la place, il croise les bras, les poings serrés sous les aisselles.
- Tu te moques de moi ?
- Laisse tomber Elias, intervient Thomas. C’est son premier jour. Il n’est pas encore habitué à la ville.
Ça a le mérite de faire reculer Endcombe du banc, mais ils s’affrontent toujours du regard avec Noah.
- Je te laisse le bénéfice du doute, parce que tu viens d’arriver. Réfléchis bien le nouveau.
- Je m’appelle Noah. Pas le nouveau. C’est court, ton cerveau normal devrait retenir l’information.
Là, je ne peux pas m’empêcher de pouffer. Endcombe n’a pas le temps de répliquer car monsieur Gauss vient de revenir en classe, et appelle au silence. Tout le monde part s’assoir, nous laissant respirer Noah et moi. Je me tourne vers lui : il a les joues rouges et il est occupé à prendre de grandes inspirations. Il répond à mon haussement de sourcils en haussant des épaules. Puis il se concentre sur le prof en train de faire l’appel.
Je ne sais pas trop quoi en penser. Je m’en veux un peu, en pensant que je l’ai presque agressé pour cette histoire de cookies de madame Rosyn, alors qu’il vient de prendre ma défense face à des jeunes qu’il ne connaît pas. Et qu’il ne me connaît pas non plus. En entendant le soupir las qu’il pousse discrètement, j’imagine qu’il ne doit pas être habitué au contact avec les autres, encore moins ce genre d’altercations. Alors pourquoi ne s’est-il pas tu ? Mais ça me confirme ce que je pensais en premier lieu, Noah est un type sympa.
Ce n’est qu’au moment où il me file un coup de coude que je prends conscience du silence ambiant.
- Isobel Holloway ?
- Oui, quoi ?
Monsieur Gauss sourit d’un air indulgent, tandis que quelques ricanements secouent la classe.
- Eh bien, Isobel, quand j’appelle ton nom, tu es censée répondre, pour que je puisse te noter présente au cours.
- Oh, désolée.
C’est complètement con, comme démarche. Je lui ai parlé il y a à peine vingt minutes, il sait que je suis présente. Et puis, il nous voit assis devant lui, non ? Je m’abstiens de tout commentaires, mais je n’en pense pas moins.
Les chuchotements vont bon train derrière nous ; je ne suis qu’à moitié surprise lorsque j’entends Endcombe lancer à la cantonade :
- Il ne faut pas lui en vouloir, elle n’a sûrement jamais dû écrire son nom en entier chez elle.
Je ne prends même pas la peine de lui répondre. Son échange avec Noah a dû lui ôter toute inspiration pour ses piques, je l’ai connu plus en forme que ça. Mais Noah, lui, se retourne et le toise un moment, imperturbable. Il ne se retourne que lorsque le prof rappelle une nouvelle fois la classe à l’ordre. Et le cours commence. Premier cours, à peine une heure au sein de l’école, et j’ai déjà Elias sur le dos, en plus de m’être fait passer pour plus bête que je ne le suis. Je m’en tire pas si mal que ça.
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