Histoire locale - 2

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En entrant, je me rendis compte qu’inconsciemment, je m’attendais à trouver une atmosphère d’un gris sombre, enfumée et hantée, digne de Shining. Il fallait admettre que de l’extérieur, la bâtisse avait l’air de tout sauf d’un endroit accueillant. Ce fut tout le contraire.

Le hall était aéré et inondé par une chaude lumière de bougie, la lumière de ce matin d’automne n’était pas assez forte pour éclairer toute la pièce. Le couloir s’ouvrait sur un escalier, recouvert d’un tapis épais, et plusieurs pièces partaient à gauche et à droite. Il y faisait bon, et je pouvais sentir l’odeur de feu de bois mêlée à celle de la cannelle.

Isobel m’entraîna sur la droite, dans une grande cuisine rustique. Une table toute en longueur y trônait, recouverte de plusieurs pots, d’un panier rempli de muffins, d’une miche de pain frais. Plusieurs plantes séjournaient également dans la pièce, disposées dans des pots suspendus, sur la table, les appuis de fenêtre, les plans de travail ou sur le manteau de la cheminée à l’opposé de là où nous nous trouvions. Une atmosphère chaleureuse se dégageait de l’endroit.

- Je vais chercher Ruth. Installe-toi, ça pourrait prendre un moment, précisa-t-elle en haussant les épaules avant de tourner les talons.

Je tirai donc un tabouret prudemment et m’assis, aussi à l’aise que l’on peut l’être la première fois que l’on débarque chez un ami. Autrement dit, je n’étais pas à l’aise du tout. J’avais envie de me lever, de rester en mouvement le temps de patienter mais j’ignorai comment la mère d’Isobel prendrait la chose. Je restai donc en place, observant les objets autour de moi en ressassant les derniers évènements. Un coup d’œil à l’extérieur m’apprit que la météo était aussi calme que lorsque nous étions sortis ce matin. Plus la moindre rafale en vue ; les feuilles des arbres à l’arrière de la maison bruissaient doucement, frissonnantes.

Si la cuisine et le hall – les seules parties de la maison que j’avais vue pour l’instant – étaient avenants et respiraient la banalité, je pouvais pourtant sentir une aura inquiétante qui venait de la porte dans mon dos, émanant des profondeurs du manoir. Saisi d’un frisson, je me retournai pour coller mon dos au bord de la table et garder la porte à l’œil. Oui, c’était peut-être exagéré, je vous l’accorde. Mais l’impression que j’avais d’être observé par le manoir lui-même ne m’aidait pas à me détendre. Sans Isobel et son sourire lumineux, c’était difficile de penser de façon rationnelle dans cet endroit inconnu.

Ma joue me tiraillait. Je portais les doigts sur mon visage et me grattait le plus délicatement possible sans grimacer. Mes doigts redescendirent légèrement tâchés de sang, laissant ma joue encore plus irritée qu’avant. Génial. Je me demandais ce que maman dirait en voyant mon éraflure – « tu devrais faire plus attention, Noah » – lorsque des voix me parvinrent du hall. Je reconnus celle d’Isobel, animée, en train d’échanger avec une autre voix, plus grave. J’avais la bougeotte sur le tabouret. N’y tenant plus, je me levai et retournai sur mes pas. Tout plutôt que de rester assis ici à laisser mon esprit divaguer sur un scénario de films d’horreur bas de gamme.

J’avançai à petits pas, me sentant tel un fantôme errant. Je revins au pied de l’escalier. Au milieu des marches se tenaient Isobel, qui me tournait le dos, en train de parler avec animation à un garçon de notre âge. Son frère ? Je ne me souvenais pas l’avoir entendue le mentionner. Le ton de la conversation était trop bas pour que je puisse comprendre quoique ce soit. Je regrettai subitement d’avoir quitté la cuisine ; je me donnais l’impression d’un intrus pris sur le fait. Juste au moment où j’amorçai une marche arrière, les yeux du garçon quittèrent le visage d’Iso pour se poser sur moi. Je me figeai sur place. Nos regards se croisèrent.

- Salut, dis-je bêtement. Heu, je… je vous ai entendu parler alors je…

Le son de ma voix fit sursauter Isobel qui se retourna brusquement.

- Désolé, m’excusai-je, je ne voulais pas vous interrompre…

Isobel me détaillait des pieds à la tête, à l’instar d’un enfant qui découvre son oncle sous le costume de Père Noël : avec stupéfaction et une pointe d’incompréhension. Le garçon à ses côtés avait les yeux écarquillés d’ébahissement en me contemplant.

- Vous ? répéta Isobel. Mais…

J’avançai de quelques pas vers l’escalier, préparant ma main pour la tendre à celui que je supposais être son frère.

- Désolé, dis-je encore. Je suis Noah, au fait.

- Tu me vois ? me demanda-t-il de but en blanc.

Sa question me déstabilisa et je m’arrêtai, le bras toujours à moitié levé. Si je le voyais ? C’était quoi cette question ? Je lançai un coup d’œil à Isobel, mais sa tête me laissa plus perplexe encore : elle me regardait, bouche-bée, avec l’expression de quelqu’un qui n’en croit pas ses yeux.

- Euh… Oui ?

Je me sentais bête ; ils me faisaient une blague tous les deux, non ? Mais alors, ils étaient de sacrément bons acteurs – et vu ce que j’avais pu observer en venant jusqu’ici, Isobel ne possédait pas ce talent. L’adolescent descendit quelques marches pour venir à ma rencontre. J’avançai afin d’arriver à sa hauteur. Nous avions plus ou moins la même taille. Je lui retendis ma main, qu’il saisit doucement. C’est alors que mes jambes devinrent de plomb, mon estomac remonta vers ma gorge. Je regardai ma main traverser la sienne, comme si je venais de la plonger dans de l’eau glacée. Je le regardai, incapable de prononcer le moindre mot, les yeux si écarquillés que je crus qu’ils allaient me sortir de la tête.

- Salut, Noah. Moi, c’est Samuel. Mais tu peux m’appeler Sam.

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