Histoire locale - 3

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On sous-estime souvent ce que l’esprit humain est capable d’endurer ; ce que notre raison peut comprendre, assimiler et accepter contre ce qu’elle rejette instantanément selon la situation. Si j’avais lu ce qui venait de m’arriver dans un livre, j’aurais pensé qu’à la place du personnage, j’aurais perdu les pédales à défaut d’avoir son sang-froid. Que j’aurais hurlé ou me serais effondré sous l’émotion. Or, il semblerait que j’étais devenu ce personnage imperturbable qui réagit, sinon avec un courage à tout épreuve, avec flegme et une décontraction que j’étais loin de ressentir. Des frissons parcouraient encore mes bras sous l’émotion, mon cœur battant la chamade, tandis que la mère d’Isobel m’appliquait un onguent odorant sur la joue.

- Laissez poser pendant une demi-heure. Sans y toucher. Vous ne garderez aucune trace de votre chute.

Ça, c’était bon à prendre : je n’aurais pas à mentir à maman sur la cause de ma chute, vu que toute preuve serait effacée. Je remerciai Ruth d’une voix blanche. Elle me détailla un moment, rivant longuement son regard au mien, avant d’hocher la tête et de nous laisser dans la cuisine sans plus de cérémonie. Une bonne odeur de chocolat et de cannelle nous enrobait, et Isobel poussa une tasse devant moi.

- Tiens, ça te fera du bien. Tu es blanc comme un linge.

Je la pris avec gratitude et savourai la chaleur qui irradiait dans mes mains, atténuant quelque peu les frissons qui me hérissaient toujours.

- Bois, me dit-elle avec sollicitude.

Je levai la tasse à mes lèvres et marquai une hésitation. Je la regardai, essayant de cacher ma pointe de méfiance sous un air désinvolte.

- T’as… T’as rien mis dedans, hein ?

Ses yeux s’arrondirent.

- De la bave de crapaud, j’espère que tu aimes. Je l’ai préparé devant toi !

- Je sais je sais, excuse-moi. C’est juste que…

Je jetai un œil à Samuel, plongé nonchalamment dans un livre sans titre visible. Je déglutis avant de reprendre :

- Alors, c’est vrai ? Je veux dire, tu es… tu as… enfin…

En guise de réponse devant mes bégaiements, elle remua les doigts vers les cuillères posées sur le plan de travail. L’une d’elle lévita vers moi et plongea dans la tasse fumante, éclaboussant quelques gouttes qui s’écrasèrent sur le bois de la table. Je reposai mon chocolat et inspirai un grand coup. Je devais tirer une drôle de tête car Isobel s’empressa de s’excuser :

- Désolée ! C’était trop tôt ?

- Disons qu’un oui aurait suffi, tentai-je de sourire faiblement.

Elle me détaillait toujours, attentive à la moindre contraction des muscles de mon visage ; son expression à elle passa par plusieurs émotions : crainte, inquiétude, une pointe d’agacement, une étincelle amusée dans le regard. Pour lui prouver que je ne comptais pas prendre mes jambes à mon coup – je me serais casser la figure si j’avais essayé de courir de toute façon – j’avalai une gorgée de chocolat chaud. Le liquide épais et savoureux me réchauffa instantanément et apaisa les tensions de mon corps par la même occasion. La pointe de cannelle qui explosa sur ma langue rendait l’ensemble vraiment délicieux.

- Tu as menti, déclarai-je, tu as forcément fait quelque chose à ce chocolat pour qu’il soit aussi bon !

- Andouille ! rit-elle en me passant la langue. Sérieusement, ça va ?

- Je crois.

Je repris une gorgée de ma tasse et coulai un regard en direction de Samuel, qui avait cessé de lire pour nous observer calmement tous les deux.

- Même si je ne suis pas sûr d’avoir toute ma tête…

Je m’étais peut-être cogné la tête plus fort que ce que j’avais d’abord cru, qui sait. Mais la réponse de notre compagnon fantôme finit par me convaincre que la chute n’avait rien à voir dans tout ça.

- C’est souvent l’effet qu’elle fait, oui, commenta Samuel. Mais t’inquiète pas, on finit par s’habituer.

- Hé ! protesta celle-ci.

- Minute, articulai-je après les rires qui nous avaient saisi tous les trois, ça veut dire que le lundi, sous la pluie … ?

- Oui. Un petit sort de protection simple comme bonjour.

- Les mots croisés de monsieur Spektor ?

- Je plaide coupable, avoua-t-elle pas le moins du monde l’air désolée. Et tout à l’heure, avant que tu ne demandes, le vent c’était moi aussi, même si ce n’était pas trop prévu…

- Comment ça ?

- Je ne sais pas comment j’ai fait. C’est venu tout seul.

Elle haussa les épaules et jeta un coup d’œil à la porte dans mon dos. Elle répondit à mi-voix à mon regard interrogateur.

- Je ne suis pas censée faire de magie en dehors du manoir, pour des raisons qui paraissent évidentes à Ruth.

- Ce sont des raisons évidentes, Iso, tu n’as juste aucune envie de l’admettre, rétorqua Samuel. Tes pouvoirs se renforcent un peu, il va bien falloir que tu lui en parles.

- Pas maintenant. On a un exposé d’histoire à préparer. Tu veux nous aider ?

Il leva légèrement les yeux au ciel.

- Evidemment, quelle question.

- Super ! Viens, Noah. Tu vas adorer la bibliothèque ! s’exclama-t-elle en m’entraînant à sa suite dans l’escalier.

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