Histoire locale - 4

4 minutes de lecture

- Alors, ça fait longtemps que… enfin, que tu…

- Que je suis mort ? devina Samuel.

Gêné, je baissai la tête sur les bouquins étalés devant moi. Isobel se trouvait quelques étagères plus loin, le nez dans les rayonnages également mais l’inclinaison de sa tête laissait penser qu’elle ne perdait pas une miette de mon échange avec Sam le fantôme.

- Tire pas cette tête, me rassura-t-il. Il n’y a pas de mal. Ça fait tellement longtemps maintenant que je n’y pense presque plus. J’habite ici depuis 1975.

- Ça fait… plus ou moins 50 ans que tu es là ?

- Plus ou moins, acquiesça-t-il d’un demi-sourire.

Je méditais sur ce que je venais d’entendre tout en trifouillant dans des livres que je voyais à peine. Discrètement, je me pinçai l’avant-bras, très fort. À part me faire mal, rien d’autre ne se produisit. Ce qui voulait dire soit que j’étais bel et bien éveillé, soit que cette technique ne fonctionnait absolument pas, comme je l’avais toujours soupçonné.

Je n’avais pas entièrement tort en ce qui concernait le côté Shining du manoir finalement. Je coulai un regard vers Samuel, plongé dans un Traité de Généalogie du hameau de Ravenhill. Outre le fait qu’il flottait littéralement en tailleur au-dessus du sol, il n’avait en rien l’allure d’un fantôme. Ses vêtements n’avaient pas l’air défraîchi d’un look démodé, il n’était pas transparent, pas monstrueux. Il avait somme toute l’air d’un type complétement ordinaire. Si je ne lui avais pas serré la main, je n’aurais jamais compris à qui j’avais véritablement affaire. Une main plaquée soudainement sur mon épaule me tira de mes pensées.

- Hé, vous trouvez quelque chose par ici ?

Je sursautai brusquement en poussant un bref cri mi-paniqué, mi-surpris, rougissant en entendant Isobel pouffer derrière moi. Samuel tentait tant bien que mal de garder son sérieux en m’adressant un regard compatissant. Quelle poule mouillée je faisais…

- Désolée, parvint-elle à articuler entre deux gloussements.

- Tu n’es pas vraiment désolée, on le sait tous les trois, ma vieille. T’as même l’air plutôt fière de toi.

- Il est perspicace, commenta Sam.

- Mettons que je suis désolée de t’avoir effrayé, mais pas d’avoir vu ta réaction…

- Mouais, répondis-je. Ma vengeance sera terrible, tiens-le-toi pour dis.

Elle eut la sagesse d’observer un petit silence, comme si elle prenait au sérieux mon manque de crédibilité. Avant de rééclater de rire.

- C’est pas drôle, protestai-je faiblement. N’importe qui aurait les nerfs en pelote après avoir vu sa main… passer au travers de quelqu’un.

- Impossible à dire, t’es le premier que je vois essayer.

Je dévisageai Isobel. Le menton dans la paume, elle était redevenue sérieuse et me fixai droit dans les yeux, miroir de mon propre regard. Samuel était redescendu sur le tapis avec nous et avait posé son livre sans même en marquer la page.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire que tu es le premier à vouloir serrer la main de Samy. Dans le peu de visites que l’on reçoit, évidemment, mais quand même.

- Ben et toi ?

- C’est pas pareil. Je suis une sorcière, c’est un don inné du clan de voir les êtres éthérés : spectres, fantômes, esprits, m’expliqua-t-elle.

Elle lança un coup d’œil vers Samuel, plutôt satisfaite.

- Tu vois que ça m’arrive d’écouter ce que Ruth raconte.

- Mais tu ne lui as jamais serré la main ?

- Non…

Elle me regardait patiemment, attendant que je comprenne enfin que non, elle n’avait jamais serré la main de son colocataire fantôme. Et puis, le sens de ce qu’elle venait de m’expliquer fit écho à la question déconcertante que Samuel m’avait posé plus tôt.

Tu me vois ?

- Attendez… je ne suis pas censé te voir ? C’est pour ça que tu m’as demandé si je te voyais tout à l’heure ?

- Dans le mille, Bill, confirma Sam. Les mortels ordinaires ne sont normalement pas capables de distinguer les choses au-delà de leur mur de perception.

Les sourcils froncés de concentration, je me tournai vers Isobel.

- Rose – une amie de Ruth – ne voit pas Samy. Elle se doute que le manoir est « hanté » grâce à ce qu’on lui a déjà confié, mais elle ne distingue rien. Aucun des amis que j’avais étant petite n’ont jamais pu le voir non plus.

- Mais alors… Pourquoi moi je peux te voir ? J’ai rien de spécial.

- Visiblement si, jeune homme.

Pour la seconde fois en dix minutes, je sursautai. J’eus cependant la satisfaction de voir que je n’étais pas le seul cette fois-ci. Nous nous retournâmes d’un même mouvement vers la mère d’Isobel, debout dans l’encadrement de la porte. Elle s’approcha de moi et je me remis debout aussi vite que je le pouvais.

- Il me semble que l’onguent à fait son effet.

- Merci, madame Holloway, parvins-je à articuler.

- Bien. Je vous laisse à votre devoir d’histoire.

Ton glacial et regard appuyé sur Isobel. Pas besoin d’être un sorcier pour comprendre le message. Nous restâmes silencieux quelques minutes, le temps de nous assurer que nous étions de nouveau seuls dans la relative tranquillité de la bibliothèque.

- Intimidante ta mère, chuchotai-je.

- Seulement quand on ne la connaît pas, rétorqua Isobel, maussade.

- Vous allez avoir des ennuis ?

- Parce qu’on a prononcé les sorcières et fantômes devant un mortel qui voit ces derniers ? Et comment !

- Désolé.

- Te fais pas de mouron va, intervint Samuel, Isobel aura juste droit à un sermon plus ou moins long qu’elle connaît par cœur. Et puis, tu n’y es pour rien. C’est rafraîchissant d’avoir un nouvel interlocuteur.

- Sympa, râla Iso pour la forme.

Mais ses yeux brillaient d’amusement.

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