Medusa Bay
Bref, je regardais l’océan en contrebas, en me disant qu’il fallait que j’oublie les affres de ces derniers mois. Ce n’était pas évident me connaissant, car je suis une sorte de ruminant. Incapable d’être heureux, je passe à côté du bonheur alors même que je m’y baigne, et quand c’est la fin j’encaisse le malheur avec les intérêts, et ça, je le ressens bien.
Je ne sais pas trop ce qui ne va pas chez moi, j’imagine que c’est une sorte de désordre physico-chimique ou quelque chose de cet ordre-là. Houellebecq dit que c’est parce que les conditions du bonheur ne sont aujourd’hui tout simplement plus réunies, c’est rare mais je crois que sur ce point-là je ne suis pas d’accord avec lui. Le bonheur est totalement accessible, je le vois bien autour de moi, simplement moi je n’y touche pas. Et qu’on ne vienne pas me sortir toutes ces conneries comme quoi tout le monde est malheureux, tout le monde a ses blessures secrètes, ses peurs et ses angoisses, oui bien sûr, je sais tout ça, moi aussi j’y suis abonné au cas où vous n’auriez pas compris. Je sais très bien que quand mon meilleur ami nage dans le bonheur après son mariage, lui aussi il doute, lui aussi il en chie, mais enfin il est aussi le premier à me confier qu’il est béat, qu’il a l’impression de vivre dans un tonneau d’ecstasy depuis plusieurs mois. Alors oui, on a tous nos blessures et nos douleurs, mais enfin il me semble que, peut-être pas normalement mais tout au moins souvent, disons, statistiquement, on accède au bonheur au moins par petites touches, disons par moments.
Mais pas moi.
Je parle sérieusement.
C’est un peu comme si mes neurones étaient du type « passe pas » devant la moindre molécule de type endorphine mais qu’en revanche devant une molécule de type « grise mine » c’était open bar.
En fait j’ai l’impression de vivre sous anesthésie les épisodes où la vie me sourit, et que dès que ça ne va plus, l’anesthésie n’agit plus.
C’est une drôle de sensation que d’être tantôt engourdi et tantôt meurtri, mais au fond je crois que c’est ça ma vie, depuis que je n’ai plus dix ans et que je ne sais pas pourquoi mon inconscient, mon subconscient, bref toutes ces conneries de termes que l’on trouve dans les manuels de psychiatrie ont semble-t-il décidé que je devais en chier.
Tout ça pour dire que j’étais descendu à la plage en contrebas, qu’il y avait des méduses partout mais qu’étrangement cela ne me dérangeait pas.
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