Narcis Parker (3)
Vendredi 14 février, 6h.
Premier jour : Tout va bien.
Deuxième jour : Vol d'arme d'un agent de sécurité, panique, isolement d'un détenu.
Troisième jour : Un détenu tabassé alors qu'aucun gardien n'était là.
Quatrième jour : Trafic de médocs.
Heureusement qu'il me reste que le vendredi pour clore cette semaine. Ça fait beaucoup pour mes premiers jours.
En plus, je suis assez déstabilisé par les mecs d'ici. Apparemment, personne n'est ce qu'il prétend être. Quoique pour Dan et Randall, tout se confirme. Le premier est une brute, le deuxième un souffre-douleur. Y a pas de preuve que ce soit lui qui l'ait tabassé, mais pas besoin de venir de la police pour voir qu'un mec a des contusions et que l'autre a des égratignures aux jointures. À continuer de surveiller.
Pour le coup, Martin m'a foutu la paix ces derniers temps, et je lui en suis reconnaissant. Même si c'était pas volontaire, il était juste occupé avec les problèmes de la prison. Et finalement, les chefs ont décidé de faire de ma première semaine une semaine complète. Guillaume m'a dit qu'ils faisaient ça pour personne, normalement. Au moins j'ai le week-end entier.
Je viens d'arriver et j'avoue que j'ai un peu la trouille de savoir ce qui va se passer aujourd'hui. En prison les journées sont aussi imprévisibles que les détenus. Autant dire que je ne sais pas à quelle sauce on va être mangés...
Je commence à réveiller les détenus en frappant aux cellules puis en entrant - pour vérifier qu'ils sont bien vivants. J'ai pas envie de vérifier celle de Dan, j'aime vraiment pas ce type, il me dit rien qui vaille.
Pourtant, je suis bien obligé de finir ma ronde. Ça a l'air d'être mon unité, ou plutôt ça a l'air d'être là où les autres veulent pas aller. Alors je toque, posté devant la cage de ce petit merdeux.
Je crois qu'il s'est réveillé, je suis pas sûr, j'ai cru entendre un grognement. J'entre. Il est là dans son lit, couché sur le ventre, le visage dans ma direction. Il a l'air de dormir finalement ; il fait carrément plus jeune avec les traits détendus.
- Twist, debout.
Il ouvre les yeux d'un coup et son expression change ; je serais presque impressionné. Il me regarde comme s'il était pas en train de dormir la seconde d'avant et se lève directement. Il lève ses yeux gris sans vie sur moi, je saurais pas dire si c'est comme s'il s'en foutait ou comme s'il avait juste arrêté de vivre.
Moi, je repars seulement. J'ai d'autres cellules a vérifier, deux, pour finir. Je me dirige vers les suivantes et refais le même manège. Ensuite je les dirige tous vers les douches et je les surveille. Certains d'entre eux sont salement amochés sur le corps. D'autres sont couverts de tatouages.
Y a pas vraiment de canons, ici. Non pas que je m'y attendais vraiment, en prison. Y en a qui me regardent comme s'ils voulaient me bouffer, je le remarque aussi. Avec eux j'essaie d'avoir un regard plus dur, histoire d'être clair quant au fait qu'ils ont pas intérêt à m'emmerder.
C'est pas parce que j'ai l'air de me laisser faire que c'est le cas. Peut-être qu'ils pensent que j'ai l'air naïf, mais je vois bien certains regards appuyés, parfois. Quels cons.
Je reporte mon regard de l'autre côté, je suis seul à surveiller les douches aujourd'hui, comme ils sont pas si nombreux.
Je sens un regard sur moi, et quand je cherche je constate que c'est toujours Dan. Depuis les premiers jours il me regarde souvent comme s'il me jaugeait. Il a déjà l'air de me haïr. Et il me connait pas encore...
Je le fixe aussi, puis je lui envoie un signe de menton, sourcils en l'air, pour savoir ce qu'il a. Et étonnamment, il baisse les yeux et semble aussitôt se désintéresser de moi. Il se détourne et termine sa douche avant de trouver une serviette pour sortir.
Alors quoi, le mec est seulement en quête d'attention ? Je secoue la tête en attendant que tout le monde en soit au niveau de se sécher. Je referme les douches et les fais partir prendre leur petit-déjeuner. Personne rechigne, et c'est plutôt calme maintenant que Boï et Beckett sont plus dans le coin. Manque plus que Dan et on aura que des détenus tranquilles. Il est surveillé de près par tout le monde depuis le truc avec Randall.
Le pauvre mec est encore à l'infirmerie, d'ailleurs. Il a encore du mal à se mobiliser avec une jambe pétée et un bras aussi dans le plâtre, sans compter le nombre de dents perdues. Cette violence me défrise. Pauvres cons, la taule c'est déjà pas terrible, autant pas se défoncer l'un l'autre.
Je vois qu'il y en a un autre, un petit nouveau arrivé hier qui commence à faire son caïd. J'ai pas retenu son nom mais je l'ai à l'œil. D'ailleurs, il faudra que je pense à bien récupérer les dossiers de ceux dont je m'occupe. Même si j'ai été directement plongé dans le bain cette semaine, je vais passer un bout du week-end à lire la paperasse que les chefs ont accepté que j'emmène chez moi.
J'essaie des fois d'imaginer pourquoi ils sont là. On reconnait assez bien les dealers ou les types qui ont rien à faire là mais j'ai parfois du mal à savoir ce qu'ont fait certains de ces gars.
Et faut dire qu'il y en a qui m'intéressent plus que d'autres. Ce dont je suis sûr, c'est que si ils sont là et pas de l'autre côté, c'est qu'ils sont pas tous blancs. Alors pas d'apitoiement.
- Fin du repas ! beugle un garde à mes côtés.
J'ai pas encore retenu son nom. Il était super stressé pendant la crise du deuxième jour.
Certains détenus râlent un peu ; il leur restait trois minutes. La plupart retournent en cellule se préparer au job sans rien dire. Ceux que je préfère.
Aujourd'hui, j'accompagne pas au travail. J'ai un genre de pause pendant ce temps là, que je compte bien utiliser pour me reposer un peu dans la salle des gardes.
Je les vois tous partir dans leur début de journée bien huilée, et je file au bureau. Là-bas, c'est tranquille. Je me fais un café en observant les mecs sur leur ordi, chacun absorbé par son écran. J'en vois qui regardent déjà leurs prochaines vacances et d'autres plus sérieux qui sont sur leur caméra de vidéosurveillance. Gérard, un des gardiens, est en train de discuter d'un détenu difficile avec Julien.
Je m'approche avec une chaise et m'assois vers eux.
- Le problème tu vois c'est que c'est pas un mauvais bougre quand il prend ses médocs, mais alors quand il a décidé de pas les prendre... continue Gérard.
- De qui vous parlez ? je m'imisce.
On s'est un peu rapproché, avec Julien. En général, il fait les gardes de nuit, mais il était là hier et on a pas mal discuté.
- Oh, Kent. Tu connais pas, il est pas de ta division, intervient Julien. T'as bien de la chance parce qu'aujourd'hui il a pas voulu prendre ses médicaments et il m'a retourné sa cellule, ça a résonné dans tout l'étage…
- Ah. Merde. C'est quoi ? Une maladie ou des calmants ?
Je me penche en avant pour l'approcher encore un peu.
- Il est bipolaire, soupire Gérard. Un pauvre type qui a juste pas eu de bol.
- Merde. Quelle division ?
- Deuxième. Ça s'arrange pas, il veut plus les prendre depuis quelques jours.
- Ouais ? Pourquoi ? Même à la carotte ?
Je détaille un peu Julien tout en continuant la conversation. Il me plait bien, ce type. Il se prend pas la tête et il est sympa. Finalement, ils me parlent de Kent un bon moment, si bien que quand on a fini -après deux cafés pour moi-, c'est déjà l'heure d'amener mes détenus de leur boulot jusqu'à la salle à manger. Aujourd'hui, je mangerai peut-être en même temps qu'eux avec Guillaume, on en a parlé en arrivant à la prison ce matin.
Du coup on y arrive vite, ils sont installés et à part le petit nouveau qui essaie de se faire une place - je sais maintenant qu'il s'appelle Dumas - les autres sont tranquilles. Les autres agents m'ont dit que les nouveaux détenus sont souvent comme ça ; ils comprennent pas comment ça marche en prison et se croient toujours dehors alors ils font les grands mais ils se calment vite.
On n'en a pas vraiment parlé, mais vu la façon dont ils me l'ont dit, je ne sais pas s'ils se calment d'eux même ou si c'est après un bon passage à l'infirmerie. Et il n'a pas fallu attendre la fin d'entraînement de l'après-midi pour constater que le côté infirmerie y fait pour pas mal. Un détenu l'a remis à sa place et il a pas apprécié ; ça a tourné à la bagarre en moins de deux et on a dû jouer des coudes et des menaces pour les séparer. Étonnamment, Dan, le plus vicieux jusqu'ici, n'en faisait pas partie, il observait la scène comme si c'était un truc marrant.
Je ne sais pas vraiment comment le cerner. Je me dis bien que tout le monde est pas tout noir ou tout blanc. Et franchement, quand je vois ce type, je me le répète souvent pour pas trop m'énerver. Je me demande s'il est vraiment respecté par les autres ici, ou si on lui fout juste la paix parce que c'est pas le plus faible. Il est jeune pourtant, ça se voit. Et il a une belle gueule de gamin. J'ouvrirai son dossier en premier.
Quand c'est le moment pour eux de retourner au boulot, je boucle ceux qui y vont pas et laisse mes collègues gérer leur trajet.
Après avoir vadrouillé un peu dans la prison, je me rends compte qu'il y a des sections où j'étais pas vraiment encore allé. Certaines sont pas en si bon état que là où je suis normalement, ou bien les pièces sont plus petites. Là où les mecs m'ont automatiquement désigné, la cellule contient un lit, en face une fenêtre à barreaux solides, du matériel électronique et un placard, alors que dans d'autres, ils peuvent être trois ou quatre par chambre, dans des vieilles cellules. Je suis dans un nouveau bâtiment, apparemment.
Une fois leur travail fini, j'attends de pied ferme dans le réfectoire que les détenus arrivent. Ils mettent un moment à venir mais quand ils sont là, on les entend ! Surtout ceux qui viennent de la mécanique, ils braillent partout et tout le temps.
Je les vois tous s'installer, certains me lancent un regard mauvais, c'est la première fois que j'en reçois et ça fait vraiment bizarre. Et je remarque qu'il y a un type, pas remarqué jusque là, que j'avais moi-même arrêté quand j'étais flic. Les rumeurs ont dû se propager...
C'est un peu ce que je craignais, en venant ici. C'est jamais agréable de se retrouver face à un mec que t'as envoyé au trou la première fois, et que tu surveilles la deuxième. Je vais en référer aux supérieurs, histoire de ne pas avoir d'emmerdes avec lui. Il me regarde déjà comme s'il voulait me tuer. Et je vois qu'il y en a un que ça fait rire. Moi, je lui tourne un regard furieux. Il me renvoie un sourire moqueur en me faisant coucou de la main. Quel petit con.
Je roule des yeux et m'en désintéresse. Autant ne pas donner de crédit aux prisonniers.
Je me demande si j'aurai autant cette impression de routine, quand je travaillerai avec des horaires normaux. La semaine prochaine, je crois que je suis d'après-midi.
Une fois qu'ils ont fini de manger, je les laisse s'occuper pour une heure ; certains sont entassés à cinq ou six dans une cellule pour discuter et dieu sait quoi d'autre - les collègues m'ont recommandé de ne pas intervenir dans ces situations, pas tant qu'ils sont plus nombreux et dans un espace si petit - et ça me rend dingue. Je sens parfois à l'odeur que certains fument et pas des clopes, ils le font sous notre nez et on ne peut rien y faire.
Après la troisième cellule de laquelle émane la même odeur, j'y tiens plus et je me dirige à la loge des gardiens, là où l'air est à peu près pur. J'en profite pour rassembler les dossiers, Jordan Twist, Francis Randall, Duncan Wilson, Adrian Foster. Pas plus de quatre, ils m'ont dit. Alors j'ai choisi ceux-là. Les trouver m'a pris un certain temps, maintenant je me dirige vers les cellules après avoir rangé les précieux papiers dans mon sac. C'est l'heure d'aller coucher les mecs.
Je vois que les latinos sont pas décidés à quitter la cellule dans laquelle ils s'entassent alors je hausse un peu la voix pour leur faire comprendre qu'ils ne sont ni à l'hôtel ni dans une colonie de vacances.
Ils râlent pas mal, ils me jettent des regards mauvais, mais ils finissent par se barrer pour retourner chacun d'où ils viennent. Je continue ma ronde. Je passe dans chaque cellule que je contrôle avant de la boucler, il m'en reste trois, comme d'habitude, celles de Twist, Walter et Abott. Je passe devant la première sans m'y arrêter, puis entre chez le dénommé Walter.
Quand j'arrive, il est en boule dans son lit, contre la paroi.
- Tout va bien ?
Ma voix resonnerait presque.
- Ouais chef, je me sens un peu malade mais ça va, il grogne.
- Besoin d'aller à l'infirmerie ? j'approche.
- Je veux pas vous embêter avec ça chef, je sais que vous devez partir...
Je lève les yeux au ciel et j'hésite. Bonne technique pour me faire culpabiliser.
- Si t'en as besoin, je t'amène. Sinon je sors et je te boucle. Alors ?
- Je sais pas chef, j'ai vraiment mal au ventre... J'ai dû manger un mauvais truc aujourd'hui...
Je réfléchis rapidement puis lui laisse le passage.
- Allez, bouge.
Il se redresse difficilement en se tenant le ventre.
- T'as mal où ? En bas ?
- Partout au ventre… il grogne. Je sais pas trop où chef c'est des crampes.
- Envie de vomir ? Allez suis-moi.
J'ouvre la porte et le fais passer en surveillant ses mouvements. Manquerait plus que je me fasse avoir. Il suit sagement et on arrive au bâtiment infirmier où je le laisse aux soins de l'équipe.
Ils m'ont dit qu'ils allaient s'en occuper, je leur laisse ça, je suis pas médecin.
Moi, je retourne faire mon travail, c'est à dire vérifier que tout va bien chez Abott, puis chez Twist.
Il est en train de dessiner un truc à son bureau.
- Tout va bien ? je demande pour la énième fois ce soir, accoudé au chambranle de la porte.
- Ouais, il dit sans se retourner et moi je m'en vais en fermant la porte de la cellule.
Une fois que j'ai tout bouclé, je peux enfin rentrer chez moi et lire ces dossiers.
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