Narcis Parker (44)

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Lundi 11 avril, 22h10.

J'aime travailler de nuit avec Julien. J'aime travailler avec lui tout court, en fait. On est en train de finir de s'habiller pour le travail, on va bientôt en salle de transitions pour les agents, voir les nouvelles de ceux qui viennent de finir de bosser.

Je trouve Guillaume en train de se marrer avec un nouvel agent que je connais pas. Une femme. Je vais saluer mon collègue, puis je me tourne vers elle en tendant la main.

  • Narcis, enchanté, je lui dis avec un sourire poli.
  • Amélia.

Elle sourit aussi. Elle a l'air fragile mais sa poigne est forte.

  • J'ai commencé vendredi mais on s'est pas croisés je crois.
  • Non. Je suis pas du week-end. Bienvenue.

Je m'assois à côté d'eux sur un petit bout de table.

  • Tout s'est bien passé ?
  • Ouais ouais, grogne Guillaume. Euh non. On a un mort.

Je me glace.

  • Randall ?
  • Ouais. Comment tu sais ?

Je crois que mon coeur s'est arrêté de battre. Je vais vomir. Les larmes me montent aux yeux.

  • J'ai, y avait des regards sur lui la semaine dernière, je mens. Je pensais pas que c'était à ce point. C'était comme d'habitude.

Je prie pour que Twist y soit pas lié, mais quoi, je me leurre pas. Bien sûr qu'il y est lié, de près ou de loin. Je sens le regard sympathique d'Amélia sur moi, bras croisés à ma gauche.

  • Des regards ? C'est un suicide.

Je hoche la tête. Ça m'étonne. J'ai déjà connu pas mal de meurtres maquillés quand j'étais à la police. En tout cas, il est mort maintenant. Et après ?

  • Un suicide de quel genre ? demande Julien pour moi.
  • Il s'est pété les veines. C'était après l'extinction des feux alors, on sait que personne est intervenu, si c'est ta question, se marre Guillaume avant d'arrêter de rire en voyant ma tête.

Je souffle. Ce mec est vraiment con, en fait. Je me détourne pour aller voir un autre collègue qui s'occupe beaucoup de ce genre de problèmes, il m'apprend rien de plus et finalement c'est l'heure de changer de poste. On prend les services avec Julien et on décide d'aller faire des tours de cellule.

  • Tu penses que ça peut être Twist ? il me souffle.

Je hausse les épaules. J'ai pas envie de penser, même si je sais bien que je vais y être confronté. Ça me répugne presque d'y penser. Si ça vient de lui, si ça pouvait être lui... Je pensais pas qu'il continuerait, qu'il en serait capable maintenant, en sachant à quel point tout avait avancé. Lui, nous. Ça me fout un sacré coup au moral.

  • Tu veux aller le voir ? il hésite devant mon silence.
  • Je sais pas. Vas-y, toi. J'irai plus tard.
  • Ouais, ok... (Je tourne le regard vers Julien ; on y arrive presque). T'es sûr ? Ce serait ptet bien que ce soit toi qui lui parles mais si t'es pas en état...
  • Je sais même pas s'il voudra me parler, alors... Enfin... Ouais. Si tu veux. J'irai.
  • Okay, il hoche la tête. Je fais l'autre couloir...

Je le retiens lorsqu'il s'apprête à partir.

  • Tu crois que, t'as peur qu'il soit violent ?
  • Ouais.

Je hausse un sourcil. Ami en carton.

  • Mais tu m'y laisses en partant de l'autre côté ?
  • Parce que vu ce que tu fais avec lui, t'as plus peur de grand chose. T'as peur qu'il soit violent toi ? Je sais qu'avec moi il hésiterait pas.

Je pince les lèvres et hoche la tête.

  • Tu crois que je devrais le voir en premier ou en dernier ?
  • Je sais pas. Mais si tu veux je reste derrière la porte. Dis-moi juste avant d'aller le voir…
  • C'est bon. Merci Julien, j'me débrouille. Va travailler.

Je lui fais un sourire puis lui tourne le dos pour frapper à la cellule de Walter en demandant si tout va bien.

Il répond que c'est bon, ça va. Je me méfie depuis que je sais qu'il disait ça aussi avant d'essayer de mourir. Du coup, je lui demande si je peux entrer vérifier. Il m'ouvre la porte de son côté. Et je déverrouille aussi pour le voir sur pied devant moi, l'air fatigué.

  • Comment tu vas, Walter ? je demande en refermant pour aller m'asseoir sur l'une de ses chaises.
  • Ça va. Mon roman avance chef.

Il a l'air plus éteint que d'habitude.

  • Tes mémoires ? Tu me montreras.

Je lui fais un sourire, je pense qu'il en a besoin.

  • Ouais. Vous me direz ce que vous en pensez. Ça me ferait plaisir.
  • Tu veux me dire ce qu'il s'est passé, la semaine dernière ?

Je croise les bras et me plaque au dossier. Il hausse les épaules, triturant sa bouche.

  • Les aléas de la vie. J'en ai eu marre.
  • Combien de temps il te reste, Steve ?

Ça fait bizarre de l'appeler par son prénom, lui aussi.

  • Deux ans.

Je hoche la tête. C'est pas mal, quand même.

  • Tu vas mieux, maintenant ? T'as pas envie de recommencer, dis-moi ? T'as parlé au psy, quand tu l'as vu ?
  • Ouais j'ai parlé. Je vais mieux là.

J'acquiesce.

  • Je serai à la prison, jeudi prochain. Enfin, pas lui, celui d'après. Si jamais tu veux me voir, je l'informe en me relevant. Tu sais, pour parler un peu. À l'heure de la pause de midi. Si tu veux me montrer tes avancées dans ton bouquin à ce moment-là.
  • D'accord chef. Je vais aller dormir maintenant.
  • Bonne nuit, Steve, je lui dis une dernière fois avant de ressortir et de fermer.

J'entends qu'il ferme aussi de son côté. J'hésite à me diriger maintenant à la prochaine porte, celle de Daniel. Puis je décide de les faire dans l'ordre alors je répète l'opération, je frappe à sa porte en lui parlant comme à Walter. Il répond pas.

  • Twist ? j'essaye un peu plus fort.

S'il continue une prochaine fois, je vais devoir entrer. Ce que je me vois dans l'obligation de faire ; toujours aucune réponse. Alors je force l'ouverture.

D'abord je m'habitue à l'obscurité, et je devine plus que je vois qu'il est prostré dans son petit coin, derrière le lit.

  • Daniel ?

Je referme le battant en n'hésitant à allumer sa lampe de chevet, puis je prends le parti d'avancer seulement vers lui. Il respire assez fort, il pleure ?

  • Réponds-moi, s'il te plaît.

Je m'accroupis à quelques pas de lui, puis finalement je m'assois en tailleurs là.

  • Qu'est-ce, qu'est-ce que tu veux ? il renifle.
  • Savoir ce qu'il se passe.
  • Tu sais ce qui se passe, il souffle. Ça tombe bien que ça arrive maintenant, comme ça tu me détestais déjà, hein Narcis ?

Je penche la tête de côté. J'espère qu'il va reprendre ses esprits.

  • Est-ce que t'es plus amoureux de moi ? je l'interroge calmement.
  • Pourquoi tu dis ça ? il respire encore plus vite. Si, si je t'aimais plus j'aurais plus de raison de vivre !
  • Alors pourquoi pour moi ce serait différent ? Je te détestais pas. Je te déteste pas, puisque je suis amoureux de toi.
  • Tu sais que Randall est mort à cause de moi.

Je peux qu'acquiescer.

  • Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
  • J'ai demandé à Boï de le harceler jusqu'à ce qu'il soit à bout. C'est sa spécialité à Boï...

J'accuse le coup.

  • Et qu'est ce que tu lui dois, en échange ?
  • J'en sais rien. Il attend sûrement d'avoir besoin de moi, il murmure contre ses bras.
  • Il a rien demandé du tout encore ? T'as pas une petite idée ?
  • Je sais pas. Ce sera sûrement entre le sexe et la drogue...

Ma mâchoire s'immobilise, je serre les dents.

  • J'espère que ça en valait la peine.
  • Randall a payé. Il s'est suicidé en plus. Beckett me propose rien en échange. Il profite et c'est tout, il dit d'une voix monotone.

J'acquiesce. Qu'est-ce que je peux faire d'autre ? C'est ses choix. Il les a faits en connaissance de cause.

  • Tu me détestes pas ?
  • Non. J'adore le fait que mon mec se fasse prendre par tout le monde ici, je lâche.

C'est un coup va mais c'était plus fort que moi. J'avais réussi à me contrôler pourtant. Je ferme les yeux fort, puis je me relève.

  • Désolé. Faut que j'aille continuer ma ronde. Je peux te laisser ? je lui fais en montrant sa position.

Il laisse échapper un sanglot et hoche la tête. Ça me fait de la peine et ça m'énerve à la fois.

  • Je te comprends plus Daniel.
  • Je me suis perdu, il souffle.
  • T'as voulu te perdre. Tu- (Je respire lentement pour me calmer). Je vais y aller. Tu m'appelles si y a un problème.

Je peux que me détourner, je vais pleurer à nouveau autrement.

  • J'ai besoin de toi, il dit d'une voix suppliante.

Je reste dos à lui.

  • Pourquoi t'as pas répondu quand j'ai frappé ?
  • J'avais peur que t'entres pas.

Je secoue la tête. À chaque jour suffit sa peine, et j'ai l'impression que c'est déjà trop.

  • Comment allait Beckett, samedi ?
  • En pleine forme, il chuchote ; et je me retourne.
  • Qu'est-ce que tu fais, par terre ?
  • J'ai pas mal aux fesses si c'est ce que tu te demandes.

Il renifle et essuie ses pleurs.

  • Nico a pris bien plus cher que moi.
  • Qu'est-ce que tu fais par terre ?
  • Je me sens moins en danger ici. J'avais peur que tu lâches ta colère sur moi. Je peux pleurer tranquillement depuis là.

Je l'observe sans rien dire. J'ai l'impression que tout se bouscule dans ma tête, je peux même plus penser, je sais même plus quoi faire. Je sais qu'il relève les yeux sur moi ; je me suis habitué à l'obscurité maintenant.

  • J'ai besoin de toi, il répète.
  • J'avais besoin que tu arrêtes les tueries.
  • C'était la dernière. Je tuerai plus jamais, il souffle en serrant ses jambes fort. Et je l'ai pas tué de mes mains.
  • Je m'en fous, Daniel. Tu l'as tué. Tu as demandé à ce qu'il finisse mort. Il serait en vie si t'avais pas demandé ça.
  • Et libéré ! Et il aurait recommencé c'est sûr ! Pourquoi tu peux pas voir que ça a aussi sauvé des gamins innocents !

Il éclate en sanglot.

  • Tu te souviens autant que moi de ce que l'avocat a dit. Tu viens de faire tuer un homme. J'en conclus que tu veux pas tant sortir.
  • Ils remonteront jamais jusqu'à moi ! C'est un suicide, une affaire classée !
  • Le meurtre parfait, je souffle bas.

Il sanglote encore.

  • Il le fallait Narcis, il secoue la tête. Il le fallait.
  • Tu m'as dit que t'allais mieux. Que tu faisais tout pour arrêter. Mais en fait tu le savais. C'était prévu depuis le début. Tu me mens depuis le début. Depuis le vingt-quatre.
  • Non, je l'ai pensé après, je pouvais pas t'en parler Narcis, je pouvais pas... Je t'en prie essaie de comprendre…
  • Tu pouvais pas m'impliquer. Pour pas que ça me retombe dessus, si ça tournait mal. C'est ça ? Donc t'as préféré le tuer dans ton coin, prendre le risque d'être envoyé ailleu- d'être séparé de moi. Définitivement ou non. Pour tuer ce mec. Ce mec était plus important.

Je parle presque seul, comme si je pensais tout haut.

  • C'est faux, j'ai tout fait pour que ça puisse pas être relié à moi, j'ai tout fait pour que ça vienne de lui, pour pas le faire moi-même...

Je secoue la tête, la mâchoire serrée.

  • Alors quoi ? Si tu sors, tu demanderas à des tueurs à gage de faire le sale boulot pour toi ?
  • Tu peux pas dire ça, je t'ai dit que c'était fini, je recommencerai plus jamais, compare pas Randall à d'autres, tu sais pourquoi ça devait être lui !

Il rampe jusqu'à mes jambes.

  • Je comprends pas pourquoi il serait le dernier.
  • Parce que c'est lui qui a tué mon frère, c'était lui le but de tout ça, c'était…
  • Alors pourquoi tu t'es pas contenté de lui, putain ?! Pourquoi il a fallu que t'en tues des dizaines d'autres ?!
  • Six, il souffle. Parce que je devais venir en prison. Ici. Que j'avais pas prévu d'y survivre. Je voulais débarrasser la Terre avant de mourir, quitte à venir en taule...

Je souffle et rejette la tête en arrière. Trop à accepter. Encore une fois. Il entoure mes jambes de ses bras.

  • C'était le dernier... Je te promets... C'était seulement lui… il répète encore, comme pour s'apaiser.

Je soupire un ok. Je vois pas quoi dire d'autre. Tout est encore brouillon là-haut, dans mon cerveau. Il gémit et me serre plus fort, enlaçant le haut de mes cuisses. Il a l'air désespéré.

  • Lâche-moi Daniel. Va t'allonger.
  • Non.
  • Fais-le, je hausse juste un peu la voix.
  • Je peux pas. Dis-moi que tu m'aimes, dis-moi que t'es là pour moi.
  • Daniel. Je te demande d'aller t'allonger, je répète.

Il gémit et finit par me lâcher après encore quelques instants. Il rampe jusqu'à son lit et y monte avant de se coucher dessus, prostré, face à moi. Je m'approche jusqu'au bord.

  • Sur le dos.

Il obéit. Je me penche et tire sur son pantalon pour le baisser. Il relève difficilement les hanches pour m'aider, toujours secoué par ses pleurs, qu'il essaie de calmer en respirant fort. Une fois ôté, je m'occupe de son tee-shirt. Il se redresse et lève les bras. Je jette son habit par terre et regarde son corps en soupirant.

  • Je suis désolé… il murmure encore en fermant les yeux.
  • Est-ce que tu parles au psy, quand tu dois y aller ?
  • Non. J'essaie... Un peu plus parce que ça peut m'aider à sortir plus vite, il souffle. Mais je peux pas lui dire ma vie sans lui parler de mon identité et je peux pas lui dire ça.
  • Tu lui parles de Beckett ?

Il secoue la tête.

  • Je veux pas m'attirer de problèmes.
  • Il est soumis au secret professionnel.
  • Pas pour tout, il pourrait vouloir le dénoncer.

Je soupire. J'en peux plus de ces injustices et de ces cas de conscience.

  • Comment va Casta ?
  • Mal. Il a été transféré à l'infirmerie.
  • Tu sais pourquoi ?
  • Je le devine... Il est revenu depuis. Mais il reste en cellule. Il veut voir personne pour le moment.
  • Tu sais son numéro ? Il est pas dans ma section.
  • Il est dans l'autre couloir, cinquième cellule à gauche.

Je hoche la tête. Pauvre gamin. Pauvres gamins.

  • Qu'est-ce que t'as fait, aujourd'hui ?
  • J'ai travaillé. Je suis obligé pour espérer sortir un jour...

Je me suis assis sur le bord du lit.

  • Beckett était là quand ? Samedi ? T'avais de la crème ?
  • J'en ai pas eu besoin. Il m'a forcé à le sucer. C'est une des premières fois. Il le fait pas souvent.

Mon doigt vient toucher ses lèvres, je les effleure en longueur. Voilà comment réduire des efforts à néant. Et effectivement, il les pince aussitôt. Par réflexe sûrement. Alors j'y laisse mon pouce en lui souriant, les yeux dans le vague. C'est incroyable comme ce petit a été détruit par un seul homme à chaque stade de sa vie.

Il pleure encore. Il tremble encore. Il ferme les yeux.

  • C'est insupportable de te voir comme ça, 'Dan, je souffle.

Mes pensées m'échappent, pendant que j'escalade le matelas pour me coucher à ses côtés.

  • Tant que t'es là tout sera supportable.

Il se tourne pour me faire face et attrape mon bras qu'il serre contre lui. J'entoure son corps avec, et mon second vient se poser sur son crâne pour le faire poser sa tête dans mon cou.

  • J'ai de plus en plus peur. En vérité... Si je dois être honnête Narcis… il murmure. Je sais pas combien de temps encore je pourrai vivre ça.

Je ferme fort les yeux puisqu'aussitôt mes larmes reviennent.

  • Me dis pas ça, je le supplie en le serrant encore, tant pis si je lui fais mal. Je suis ta raison de vivre. Je suis là. Je suis toujours là.
  • T'es toujours là… il murmure aussi. Je suis tellement chanceux...

Je crois que je vais l'étouffer tant je le serre. Il pose ses lèvres contre mon cou et respire toujours fort. Je sais qu'il essaie de se calmer. Je crois qu'il s'est passé trop de choses pour nous deux en trop peu de temps.

  • Il faut que tu essayes de dormir maintenant. Tu dois être fatigué. Ça se voit sur ton visage. Je vais aller te chercher des glaçons pour tes yeux, tu vas t'endormir et je repasserai plus tard. Tu peux faire ça pour moi, 'Dan ?
  • Tu me quittes pas ?

J'embrasse son front en secouant négativement la tête.

  • D'accord. Tu reviendras me voir aujourd'hui ?
  • Oui. Tout à l'heure, avec les glaçons. Et pendant la nuit.
  • Oui. D'accord.

Il me serre encore. J'embrasse une nouvelle fois son front, puis je me détache lentement. Je mets sa couette sur lui et lui dis encore de dormir avant de m'en aller.

Une fois dehors, je continue rapidement de vérifier que tout va bien pour les autres. Julien arrive vers moi rapidement et me demande comment ça va. Il voit mes yeux rougis, je sais qu'il est inquiet.

Je lui dis rapidement que ça va, je vais pas jusqu'à dire que tout va bien parce que non, c'est pas vrai. On se dirige vers l'infirmerie tous les deux, pour prendre une poche de glace.

  • Il s'est blessé ? hésite Julien. Ou... toi ?
  • Beckett est revenu samedi, j'explique seulement.
  • Ah ouais. C'est vrai.

Il dit plus rien en continuant de marcher. Je prends sur moi. Je comprends pas comment on peut pratiquer la politique du pas vu pas pris ici. Lorsqu'on arrive, Jim est là pour nous accueillir et il va me chercher une poche dans le congel. Il me demande si j'ai besoin d'autre chose et je secoue la tête avec un faible sourire en prenant la glace bleutée.

Julien se tait toujours ; j'imagine qu'il ose plus rien me dire.

  • Toi qui est là depuis un moment... je recommence quand on marche dans le couloir. Tu te souviens sûrement de l'arrivée de Twist. Il prenait des médocs. Comment ça se passait ?
  • Bah... Honnêtement, il était plus tranquille... C'était des somnifères, des calmants et des antidépresseurs. On devait lui donner les calmants le matin et le reste le soir. On l'entendait pas de la nuit. La journée il était un peu dans la lune mais il était tranquille... Je suis pas sûr que ce soit ce que tu veux entendre. Désolé.

Je fais signe de passer sur ce point de ma main.

  • Qui s'occupait de lui ?
  • Ça dépendait du gardien présent. On aimait bien le prendre parce qu'à ce moment là il était facile à vivre…
  • Ok. C'est tout ce que tu sais ?
  • Ouais.
  • C'est vrai ? Absolument rien d'autre ?

J'ai un doute.

  • Tu penses à quoi Narcis ?
  • Tu m'as dit qu'il s'était battu avec Martin. C'était dans cette période, non ?

On est presque devant sa cellule, je ralentis.

  • Mh... Ouais, peut-être. Ou juste après.
  • Tu sais pourquoi ? Ça peut être un effet secondaire des cachets ?

Je joue un peu au con, voir ce qu'il peut me dire.

  • Non, je pense pas. Il avait l'air énervé contre lui particulièrement. Il m'en a collé une aussi, mais il est revenu sur Martin dès que je l'ai lâché. J'ai vraiment cru qu'il allait y passer…
  • Personne a jamais su pourquoi ?
  • Je sais pas. Je me suis dit qu'il avait pété un plomb parce que c'est Martin et qu'il a toujours cette façon d'être mauvais avec tout le monde. T'as une autre raison ?

Je hausse les épaules et me remets à avancer.

  • Viens le voir avec moi.
  • T'es sûr ?
  • Ouais. J'en ai marre que ce soit la guerre entre vous.

Et je veux qu'il voit ce que c'est, l'envers du décor.

  • Okay… il soupire.

Je frappe à sa porte et je m'aperçois qu'elle est déjà débloquée, alors j'entre.

  • Dan. Julien est avec moi, je chuchote dès que j'ai posé le pied à l'intérieur.

J'entends les draps du lit bouger. J'allume la lampe de chevet, et je vois mon prisonnier contre le mur de son lit, entouré de sa couette.

  • C'est ok ? je demande bas.

Julien vient de rabattre la porte derrière lui.

  • Ouais.

Il triture sa couverture. J'approche et m'assois sur le lit en lui donnant la poche de glace.

  • Merci.

Il a la voix cassée. Il la met sur ses yeux et soupire.

  • Tu peux approcher, je dis à Julien tout en souriant à mon Daniel.

Il fait un pas de plus jusqu'à presque toucher le lit.

  • Bonsoir, il dit un peu nerveusement.

Dan lève la glace une seconde pour le regarder et murmurer "chef" avec un signe de tête.

Ma main caresse son bras, juste sous son épaule. Je lui souris pour le rassurer, lui dire que tout va bien maintenant. Que je vais arranger les choses. Il bouge jusqu'à s'appuyer contre moi, soufflant doucement.

Julien me fait signe pour me dire qu'il sait pas quoi faire maintenant.

  • Tu as pu parler à Casta ? je lui demande en câlinant le dos de mon prisonnier maintenant, le regard en l'air pour voir mon collègue.
  • Euh, oui. Il- ça va.
  • Ça va pas du tout ! s'énerve Dan dans mes bras et Julien recule d'un pas.
  • Pourquoi tu me mens ? je demande calmement à ce dernier.
  • C'est pas que je mens, juste, vu son état, il a dit que ça allait…
  • Il a dit quoi, exactement ?

Les yeux de Daniel sont fixés sur Julien eux aussi.

  • J'ai ouvert la porte parce que je sais qu'il faut contrôler dans des cas comme le sien, il était allongé sur son lit. Je lui ai demandé si ça allait, il a dit que oui et m'a demandé de partir…
  • Donc t'es parti, je conclus. J'irai le voir, je dis pour Daniel en lui souriant, le pouce qui caresse son front.

Il hoche la tête rapidement.

  • S'il te plait. Il va mal. Vraiment mal. (Il regarde Julien avec un air mauvais). Il se confierait pas à n'importe qui, c'est évident.
  • Allez, chut. J'irai, je le réprimande gentiment.

Il hoche encore la tête et s'appuie de nouveau contre moi.

  • Pourquoi tu l'as fait venir ? il demande, et le malaise de Julien grandit encore.
  • Il faut bien que vous vous voyiez un peu.

Je pose un baiser sur l'arrière de son crâne.

  • Je suis très bien à l'idée de voir que toi, hésite mon prisonnier.
  • On pourrait faire connaissance, non ? Autrement que... ce qu'on sait déjà ? demande Julien qui fait enfin un premier pas.
  • C'est vous qui m'avez catalogué tout de suite.
  • Oui mais maintenant il veut te connaître, je le gronde en lui envoyant un regard pour lui demander de faire un effort.
  • D'accord, soupire Dan. Vous voulez savoir quoi ?

Julien me regarde, l'air un peu perdu.

  • Tu pourrais peut-être juste parler un peu, j'encourage l'homme sur le lit en lui donnant un baiser sur la joue.
  • Je sais pas quoi dire, il avale sa salive. Et je... J'ai pas très envie de, de parler... C'est… (Il referme la bouche et pince les lèvres). Je voudrais plus... l'utiliser, il finit en murmurant.

Ça me fait de la peine. Tout ce que j'aimerais à cet instant, c'est de me faire attraper à nouveau par Beckett, juste pour le renvoyer en isolement pour violence sur agent.

  • Il faudra bien. J'espère avoir un bisou de bonne nuit, je lui murmure à l'oreille. Rien que sur ma joue.

Je relève ensuite les yeux vers Julien qui attend.

  • Pas ce soir. Une prochaine fois.

Il hausse les sourcils.

  • Mais c'est toi qui voulais… il soupire.
  • Oui et ben pas ce soir. C'est pas possible, je m'énerve.
  • Ok, ok ! il met les mains devant lui. Je savais que c'était une mauvaise idée… il souffle. Je te retrouve après.
  • C'est pas une mauvaise idée, Julien. Seulement tu peux comprendre que ça se fera pas ce soir, non ? je grogne.

Je me tourne ensuite vers Daniel et je lui murmure de dormir, que je reviendrai plus tard. Il s'accroche à moi, il me regarde presque avec terreur. Je sens Julien qui capte ce regard en face de nous.

  • La porte sera fermée. Personne viendra ici. Je vais voir Casta, je reviens après, j'explique calmement.
  • D'accord. Dis-lui que s'il a besoin de moi, j'irai pas travailler... Je sais pas s'ils accepteront que je reste avec lui la journée mais au moins je le verrai à toutes les pauses…
  • Bien sûr. Je ferai ça.

J'embrasse son front.

  • Tu crois qu'il lui reste la crème que tu lui as donné ?
  • J'espère. Sinon, donne-lui celle-là.

Il ouvre son tiroir et me tend la sienne. Julien fronce les sourcils.

  • Ok. Dors, Danny, je murmure tout bas contre son oreille avant d'embrasser sa joue. On se voit bientôt.

Je me relève. Il hoche la tête et nous tourne le dos, emmitouflé dans sa couverture. Je fais signe à Julien de sortir en rangeant le tube au fond de ma poche. Mon collègue quitte la pièce, moi sur ses talons.

  • Il a eu la crème à l'infirmerie, je dis sous son regard.
  • Ouais, ok. C'est pas mon business.

Je hausse les épaules et me dirige déjà dans la direction que m'a indiquée Daniel. Vaut mieux pas perdre de temps, on sait jamais. C'est Julien qui m'indique finalement la bonne porte.

  • Je te laisse.

Moi je toque à la porte.

  • Nicolas, c'est Narcis. Dan m'envoie, je dis contre la paroi. Je vais entrer, ok ?

Pas de réponse. C'est une habitude chez eux ? Sauf que là, je commence à avoir peur. Alors je me pose pas de question, j'entre seulement et je referme derrière moi, comme avec Daniel. Il est dans son lit. Il a l'air de dormir.

  • Nicolas, je dis, voix assez forte, à côté de sa couchette.

Il ouvre les yeux d'un coup et il a une expression de pure terreur. Il lâche un cri et se colle au mur avant d'éclater en sanglot quand il voit que c'est que moi. Je monte aussitôt sur le matelas, sans rien dire, je m'assois à la place de son oreiller et j'ouvre les bras en lui souriant. Pauvre petite chose. Il s'y blottit en pleurant.

  • Dan m'envoie te voir. Enfin, je serais venu de toute façon, je lui murmure. Calme-toi...

Je caresse ses cheveux. Mieux valait le réveiller. Il soupire bruyamment.

  • Pardon. J'ai fait un cauchemar.
  • C'est rien.

J'embrasse son crâne. Il me fait tant de peine. Il aurait jamais du se retrouver là, comme ça.

  • Tu as voulu voir personne, alors ? Même pas Duncan ou Dan ?
  • Non. J'ai trop honte.
  • Pourquoi tu as dû aller à l'infirmerie ? je demande en caressant sa tête, juste à l'arrière de son oreille. Vraiment pire que d'habitude ? Ils t'ont assez soigné ? Ils soignent pas assez Dan. Tu avais de la crème ?
  • Dan m'en a donné la dernière fois. C'est suffisant. C'était pire que d'habitude oui. Je veux pas que vous allumiez la lumière chef. S'il vous plaît.
  • Ouais. Bien sûr. J'allume rien.

Je ferme même les yeux. Comment on peut faire ça à un gars si sympa que Casta. Beckett est de toute façon capable de tout.

  • Où est-ce qu'il faut pas que je regarde ?
  • Partout.
  • Tu veux que je remette un peu de crème ? J'en ai de la nouvelle, dans ma poche. Je peux le faire sans regarder, si tu veux.
  • Non. Je me débrouillerai, merci chef.

Sa respiration s'est déjà bien calmée depuis.

  • Je veux pas qu'ils sachent dans quel état je suis. Je veux pas les voir tant que ça se voit.
  • D'accord. T'es excusé pour tout le reste, de toute manière. Casta ?

Je relève son menton pour qu'il me regarde.

  • Tu sais que tu peux tout me demander. Même si c'est embrassant. Je dirai rien. Pas même à Dan.
  • J'ai rien à demander chef... Mais je... Je dois vous dire un truc... Je suis désolé.
  • Pour quoi ?

Je caresse sa joue.

  • C'est Beckett. Je veux pas, je voulais pas que vous vous sentiez coupable…
  • Dis-moi.

Je le sens mal, tout à coup.

  • Il a dit que ça sera pire la prochaine fois que vous interviendrez, il souffle.
  • D'accord. T'inquiète pas pour ça. Ce sera pas pire.

J'embrasse encore son crâne en réfléchissant.

  • Il m'a fait jurer de vous le dire.
  • C'est bien que tu me l'aies dit. Il faut que je sache ce genre de choses, ok ?

Je déplace ma main sur ses reins.

  • Ouais, il souffle. Je comprends que Jordan soit amoureux de vous, il rit un peu avant de grimacer. Vous êtes prévenant chef. Vous avez rien à faire dans une prison.
  • Au contraire, je pense que j'ai beaucoup à faire… je murmure pour moi même. Tu as mal quand tu ris ? Un problème de côtes ? Tu te souviens ce qu'ils ont dit, au bilan global de l'infirmerie ?
  • J'veux pas en parler, il souffle.
  • Je crois qu'il faut que tu m'en parles, Nicolas. Tu sais que c'est mieux si tu en parles à quelqu'un. Tu veux que j'écoute seulement ? Je dirai rien, si tu veux. Je peux même fermer les yeux. (Je m'exécute). Il faut que tu m'en parles. Tu vois, je te fais confiance en fermant les yeux. Fais pareil s'il te plaît, je chuchote en bougeant doucement les doigts sur son pyjama.

J'entends que plusieurs fois il essaie de parler avant de refermer la bouche. Finalement, il se décide.

  • Je veux pas vous imposer ça chef, parce qu'à cause de ses mots vous vous direz que c'est votre faute.

Je rouvre les paupières sur lui.

  • Nicolas. Il m'a déjà tabassé parce que je me mettais en travers de son chemin. Je peux l'entendre. Tant pis si je pense que c'est de ma faute.
  • J'ai l'impression de vous blâmer encore plus si je vous en parle.

Je soupire et referme les yeux, la tête appuyée sur le mur, caressant doucement la peau à la limite de son habit.

  • Qu'est-ce qu'ils t'ont dit, pour ton bilan ?

Il souffle.

  • J'ai deux côtes cassées. J'ai eu du mal à parler pendant un moment à cause de l'étranglement. Et mon poignet, j'ai une entorse, il dit timidement. J'ai perdu... Un peu trop de sang. Ils m'ont fait une injection de fer. Ils voulaient me garder mais je voulais pas rester là bas. Je voulais voir les autres. Et ensuite j'ai vu ma tête dans un miroir...

Je hoche la mienne.

  • Tu te sens fatigué ?
  • J'arrête pas de dormir depuis que je suis rentré. Je déteste ça.
  • C'est normal, quand on a perdu du sang. Tu as quelque chose pour tenir ton poignet ?

Je cherche sa main. J'y trouve une attelle.

  • Tu te souviens des bleus que j'avais, après mon agression ? Leur couleur, leur forme... C'est comme ça, toi ?
  • C'est... Ouais. Peut-être... Ils sont gros et noirs...

Je secoue la tête.

  • Tu veux que je reste un petit moment ? Si tu veux me parler... Ou pas…
  • En fait je commence à avoir vraiment peur. J'ai cru que j'allais mourir hier.

J'acquiesce.

  • Tu es resté combien de temps seul, ensuite ?
  • Je sais pas. Je me suis évanoui.

Je pince les lèvres. Ça a du être vraiment horrible.

  • C'est peut-être aussi à cause de ça que j'ai perdu beaucoup.
  • Sûrement..
  • Je suis désolé chef. Je veux pas vous donner des sales images.
  • T'inquiète pas pour ça.

Je caresse ses cheveux blonds, doux et pourtant sales sous mes doigts.

  • Tu sais que j'étais de la police ? J'ai vu beaucoup de sales trucs. Dan m'a dit que tu voulais aucune visite. Duncan a essayé de passer aussi ?
  • Il a pas arrêté d'essayer. Mais je veux pas montrer mon visage chef. Ni mon corps. Ni rien.
  • Je comprends. Dan a été comme ça aussi, quelques fois.
  • C'est vrai ? Il dit jamais rien…
  • Tu sais qu'il passe par les mêmes épreuves que toi... Je l'ai jamais vu, il a jamais été dans ton état actuel depuis que je le connais. Mais il est jamais sautillant après ça. Vraiment pas. Ça affecte tout le monde. T'es pas seul, Nicolas... Et je me dis que t'as trouvé les bonnes personnes ici, pour prendre soin de toi.
  • Je veux pas qu'on prenne soin de moi. J'aurai l'air encore plus faible et je serai une cible encore plus facile. Je suis déjà ni très grand ni très épais et au moins Twist a une réputation... La mienne, c'est celle du petit gay qu'on peut se faire facilement...

Ça me ferait presque rigoler, si c'était pas si dramatique.

  • Parfois c'est bien, d'être protégé.
  • Et quand ils sont pas là hein ? J'ai plus que moi…
  • Si tu étais seul tu aurais plus que toi tout le temps.
  • Je veux pas qu'ils sachent à quel point c'était fort.

Je dis rien de plus. Je caresse seulement sa peau dénudée. Il frissonne. Je sais pas s'il aime bien ou si ça lui fait peur.

  • C'est ok ? je murmure pour m'en assurer.
  • Ou-ouais…

Il renifle, alors j'enlève ma main pour seulement la poser sur sa hanche.

  • Tu devrais peut-être te recoucher.
  • Oui…

Il obéit et se rallonge.

  • Tu vas réussir à dormir ?
  • Oui. Je dors tout le temps…
  • D'accord. Je te laisse alors.

Je me relève en hésitant à lui donner la crème. Il a déjà un visage ensommeillé. Je distingue des bleus énormes sur son visage et partout sur sa peau dans l'obscurité. Ça me fait un pincement au cœur.

  • Dors bien Nicolas. Tu me fais appeler s'il y a quoi que ce soit, je lui intime avant d'embrasser son front une dernière fois.

Il hoche la tête doucement et je m'en vais, laissant le tube plein sur sa table de nuit.

J'hésite quant au chemin à prendre quand je referme sa porte. Daniel ou la loge ? Je marche en réfléchissant et finalement je fais le choix de le laisser se reposer un peu encore avant d'y retourner. Je trouve Julien et Martin dans le local, j'avance vers eux jusqu'à m'asseoir sur le siège à côté. Je leur fais un signe en m'affalant.

Julien me demande du regard si ça va. Je réponds d'un signe de tête. Après un petit silence, j'ouvre la bouche.

  • Martin ? Je me demandais... On parlait de ton agression avec Julien, tout à l'heure, hein ? (Je lui laisse pas le temps de répondre). Avec Twist. Qu'est-ce qu'il s'était passé ? Il a pas vraiment su me dire.
  • Qu'est-ce que j'en sais ? crache l'agent. Il est taré ce type toute façon. C'est un putain d'assassin, faut déjà pas être normal.

C'est pas gagné.

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