Chapitre 2

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Les jours se sont écoulés sans se ressembler. Après l’annonce de l’incendie aux informations, il ne s’est presque rien passé. Comme si chacun, à San Vegas, réalisait l’ampleur de la chose, d’un nouvel “accident” visant des Ashes. Ce que ça impliquait. Dès le lendemain, leur groupe avait été rejoint à Asgard par des Porteurs de Cendre en quête de sécurité et dès le lendemain encore, des manifestations arpentaient les rues. Les adeptes, ceux qui depuis le début vouaient presque un culte à la Cendre, marchaient dans la ville dans un silence mortuaire respectueux. Sans surprise, les anti-Ashes s'opposent farouchement à eux et n'hésitent pas à rompre cette marque de respect envers les victimes innocentes, qui ont seulement voulu garder leur liberté sans apparaître sur ces foutues listes. Loki refusait toujours d’envisager de mettre son nom et sa Cendre sur un papier ; pourtant, il y eut une nouvelle vague de recensements de Cendres, comme à chaque fois. Les gens craignaient d’être les prochaines cibles.

— Votre ronde n’aurait pas dû se rapprocher davantage d’Auditore ? demande Odin, penché sur la carte manuscrite de la ville étendue sur son bureau, ses mains posées sur le bois, la tête baissée.

Loki, adossée au mur à l’autre bout de la pièce, garde les yeux rivés au sol, bras croisés. Bien sûr qu’elle a pensé qu’ils auraient pu entendre l’incendie, ou même sa préparation. Elle était là pour ça, à vrai dire ; pour entendre, grâce à sa Cendre. Mais avouer qu’ils sont allés jouer auprès de soldats gouvernementaux - certes, tous pourris jusqu’à l’os et inutiles d’après elle - c’est s’assurer qu’Odin et Freya, assise de l’autre côté du bureau par rapport à l’homme, lui fassent la morale. Encore.

— Loki ?

Bras croisés se resserrent autour de son corps, la brune fait claquer sa langue, relevant les yeux vers Freya. Croiser l’iris ambré bienveillant lui tord le ventre, alors elle préfère s’attarder sur Odin, qui s’obstine à ne pas la regarder. C’est à lui qu’elle lance sa bravade :

— Non. On était au sud.

Freya hausse les sourcils, quittant Loki des yeux pour regarder le géant de longues secondes. Le bras tatoué du meneur se défait de la table, sa main venant pincer l’arrête de son nez ; il sait qu’il n’aimera pas la suite de ce que lui annonce la plus jeune.

— Pourquoi donc ? il demande, d’une voix calme.

Il fulmine, Loki le sait. Elle s’humecte les lèvres, tandis que Freya croise ses jambes, mal à l’aise de toute évidence.

— J’ai eu vent d’une soirée de jeu. On est allés glaner des infos là-bas.

Un son rauque s’échappe de la poitrine d’Odin, Loki l’associant à un grognement. Sa mâchoire, sous sa barbe, se crispe alors que les muscles de son cou se tendent. Les doigts du brun se serrent sur l’arrête de son nez, ses yeux se froncent et la jeune femme se retient de bouger, pour ne pas s’enfuir. Il va la tuer, c’est sûr bordel.

— Tu n’es pas allée utiliser ta Cendre pour jouer au poker, quand même ? tente Freya, d’une voix qu’elle veut douce, et Loki sait qu’elle essaie de ne pas utiliser sa Cendre contre elle.

Freya est capable de ressentir les émotions mais également de les manipuler, pouvant ainsi manipuler ses cibles.

— Si. Et on s’est fait un paquet de thunes, tente la jeune femme en sachant très bien que ça ne change rien à la situation.

— Parce que c’est censé t’excuser ?! tonne Odin, relevant les yeux vers les siens. T’es complètement inconsciente ou tu le fais exprès ?!

— On a pas donné nos noms, si tu crains qu’on soit si stupides !

— Utiliser votre Cendre hors du ghetto c’est super dangereux, Loki, tu le sais en plus, glisse Freya en bonne médiatrice.

— Je sais.

Elle crache ses mots, défiant Odin du regard en excluant Freya. Elle est presque surprise qu’il maintienne ainsi le contact visuel, ce qui est loin d’être dans son habitude. Il soupire, finalement, essayant sans doute de contenir la colère qui l’assaille ; elle remarque encore la pulsation qui persiste à son cou. Elle déglutit et reprend, plus calme :

— On a rien fait d’imprudent.

— C’est sûr que c’est pas ton genre, de te foutre en danger, hm ? argue Odin, cynique en relevant ses yeux noirs vers elle. Ça ne t’arrive jamais.

Ses mots heurtent Loki comme une dague en plein cœur. Un goût amer lui envahit la bouche, son poing se serre et elle voit sur le visage de l’homme face à elle qu’il regrette déjà ses mots. Il a voulu seulement lui faire mal, pour qu’elle comprenne que les risques qu’elle prend l’enrage ; il a cependant peur d’avoir braqué la jeune femme. La gorge sèche, elle ravale la bile dans sa bouche, détournant le regard.

— On a pas donné nos noms, et je suis discrète. On a rien fait d’imprudent, pour une fois.

Sauf être trop loin de cet incendie. C’est ce qu’ils pensent tous, et elle est bien contente que personne ne soit télépathe ici - même si aucune Cendre ne semble pouvoir donner ce pouvoir. Mais elle sent qu’il lui reproche plus que cette sortie, c’est ainsi depuis cinq ans après tout.

— Tu sais très bien que je parlais pas de… commence Odin avant qu’elle ne le coupe.

— Non bien sûr. Toi tu veilles à ma sécurité, c’est ça ?

L’air contrit, le brun se tait. Il n’en démord pas, elle non plus et ils savent tous deux qu’ils parlent de Baldr quand elle rétorque. Elle n’arrive pas à ne pas le penser responsable, même si elle sait qu’au fond, il n’y est pour rien. Ce fossé restera entre eux. Un de plus. Freya se racle la gorge, en bonne lieutenante, désireuse de mettre fin à cette tension.

— Tu sais bien que notre sécurité passe en partie par notre anonymat, même avec ces surnoms. Surtout nous. Ils sont en pleine chasse, là dehors, on a des disparitions tous les jours.

— Tu penses que je l’ignore ? Ce bâtiment n’est pas encore assez insonorisé pour moi, je te signale, rétorque Loki, amère.

Freya soupire, se rendant bien compte qu’il ne sert à rien d‘argumenter. Quand Loki est braquée, lui faire changer d’avis est loin d’être simple. Et Odin n’a pas rendu les choses plus douces. Ce dernier tente d’ajouter :

— On veut juste assurer la sécurité des nôtres, Loki. La tienne et celle de Hel en priorité. On sait tous très bien que s’ils nous mettent la main dessus, ils ne se contenteront pas de nous inscrire sur leurs listes à la con.

— Parce que tu crois que je ne le sais pas ?! Tu crois que j’ai oublié ?! crache Loki, se détachant du mur qui supporte son poids depuis tout à l’heure.

— C’est pas ce que je dis.

— Tu aurais peut-être dû y penser quand ils ont eu mon père, non ?! Mais j’oubliais, le grand Odin veille à ma sécurité avant tout, c’est ça ?!

La mâchoire de l’homme se crispe sous sa barbe tandis qu’il l’observe se diriger vers la porte du bureau d’un pas vif. Il a beau se redresser de toute sa hauteur et se défaire de son bureau pour la rattraper, il n’a d’autres choix que de la laisser sortir. Rageux, il vient taper du poing sur son bureau quand Loki claque la porte.

Dans un besoin d’évacuer sa frustration, la brune descend à la salle d'entraînement qu’ils ont aménagée à Asgard. Le bâtiment étant une ancienne caserne de pompiers, il était déjà bien équipé et ils n’ont eu qu’à restaurer les pièces déjà présentes ; salle de sport, cuisine, salle commune, dortoirs, bureaux… aujourd’hui ce bâtiment était à leur image. Se rendant immédiatement dans la cage d'entraînement virtuel, à l’autre bout de la salle Loki paramètre une situation de combat et se voit équipée d’une particule corporelle qui gardera la trace des attaques qu’elle a encaissées, agissant également en un fin bouclier. Même si cela fait bien longtemps qu’elle ne s’est pas entraînée, elle doute d'avoir perdu ses compétences, presque ancrées en elle. Elle se place au centre de la structure, en appui sur ses pieds. Elle attrape à sa ceinture un petit tube sur lequel elle presse un bouton et immédiatement se déploie un bâton de combat noir, de toute évidence équilibré à sa main. Conçue par Thor il y a des années, elle ne s’est jamais débarrassée de son arme de corps-à-corps.

Un premier hologramme offensif surgit à sa droite, ayant la silhouette d’un homme, et la charge. Réactive, la brune s’écarte et retourne un violent coup de son arme dans la gorge de l’adversaire qui tombe et s’effondre en un amas de cube avant de disparaître. Un autre l’attaque du ciel et la jeune femme vient parer avec agilité avant de profiter de la force opposée pour retourner un coup de pied dans le flanc de l’hologramme qui disparait pour laisser place au suivant, qui s’en prend à elle par derrière. Son armure clignote rouge et Loki prend appui sur son bâton pour pivoter et faucher l’hologramme de son jeu de jambe. Un nouvel adversaire vient par la gauche et cette fois elle s’écarte avec vivacité pour venir le frapper par derrière. Sa vision capte un nouveau mouvement et, rapidement encore, la brune s’écarte pour contrer sans aucun problème. Son cœur bat la chamade mais son instinct se fait plus fort quand elle esquive une nouvelle vague offensive, de plus en plus rapide. Et c’est quand elle remarque sa propre vélocité qu’elle se fige, une seconde, avant de se prendre un violent coup qui l’envoie rouler plus loin. Portant une main à sa poitrine, la jeune femme reprend sa respiration, réalisant alors que la simulation est en pause ; à la porte se tient Hel.

— C’est plutôt pas mal pour une reprise, argue le médecin.

Loki souffle, rangeant son arme pour la raccrocher à sa ceinture. Elle avise les hologrammes figés ; deux sont dans une posture où ils auraient sa peau en un instant. Elle peste, mais rejoint la porte de la cellule holographique quand Hel arrête la simulation.

— Tu parles, c’est lamentable.

— Pourquoi tu t’es arrêtée ? demande le métis en la regardant alors qu’elle range le module de particule corporelle.

Elle pose son regard argent sur lui, hésitante. Comment lui dire que, cinq ans plus tard, elle n’est toujours pas à l’aise avec cette chose ? Que ce regard, qu’elle croise dans le miroir, n’est pas la seule chose qui a définitivement changé chez elle ? Pourtant, le regard noisette de Hel est bienveillant quand il l’invite à s’asseoir sur le grand tatami au centre de l’espace.

— Tu permets ?

Elle acquiesce, le laissant sortir un petit appareil de diagnostic qu’il utilise pour prendre son rythme cardiaque et d’autres constantes.

— Qu’est-ce que tu fais ici ?

— La mère de Jayson s’inquiète. Elle craint que son fils ne soit un Hagalaz. Alors j’ai fait une analyse ADN.

La Cendre étant un marqueur génétique héréditaire, les parents anticipent souvent l’apparition chez leurs enfants et s’inquiètent de sa catégorie, vérifiable d’un simple test ADN. Les six catégories indiquant la nature des pouvoirs - les Hagalaz contrôlant l'énergie électrique- il est alors bien plus aisé d'orienter son enfant dans la bonne direction. Hel, avec l'aide de Thor, avait conçu du matériel pour rapidement identifier la Cendre d'un individu avec une simple prise de sang. Les Ashes ayant un parent comme eux développaient souvent plus vite et facilement leurs pouvoirs et on pouvait anticiper le stade de développement de leur Cendre. Hel regarde Loki, balayant sa tentative de diversion en reprenant la parole :

— Tu sais que tu ne pourras pas toujours lutter contre ton instinct ?

— Je sais que je peux faire sans, bougonne la jeune femme.

— Ce serait complètement con.

Loki relève le regard vers Hel qui ne la regarde pas. Il se contente de relever des informations auxquelles elle ne comprend rien, sans doute pour déterminer à quel point sa Cendre est vive. Il est le seul médecin qu’elle laisse approcher, pourtant ; elle les a toujours eu en horreur. Hel finit par s’assoir en tailleur auprès d’elle :

— Je suis sérieux Loki, tu vas plus t’épuiser à lutter contre qu’à accepter que c’est là. Que tu peux t’en servir. Tu as ce droit, c'est à toi.

— Arrête, Hel. C’était la Cendre de Baldr.

— Sa Cendre c’était la force… Ce n’est pas à toi que je vais apprendre qu'une Cendre n’ont pas le même effet sur des sujets différents. Deux Uruz n'ont pas les mêmes capacités. Et puis, ce n’est pas exactement sa Cendre à lui.

La jeune femme pince les lèvres, détournant le regard de Hel. Les genoux relevés et les jambes légèrement écartées, elle repose nonchalamment son bras droit sur sa cuisse, grattant le tatami de la main gauche. Son regard, empreint d'une certaine mélancolie, se perd dans le vide, comme si elle se trouvait ailleurs, en plein questionnement ou en proie à des pensées profondes. Hel n’interrompt pas son flot de réflexion, même en ayant rangé son appareil. Néanmoins, il finit par souffler :

— Tu sais… Tu le vivras mieux si tu acceptes que c’est là. Puisque ça l’est. Tu peux pas lutter contre ça. C'est littéralement ton ADN.

Elle sent bien qu’il se retient de lui redire que c’est totalement idiot ; aucun Ash ne rejèterait la possibilité d’étendre ses capacités. Loki fige sa main sur la surface rugueuse du matelas, puis se lève :

— C’est toi qui le dis, ça. J’ai pas besoin d’être plus rapide.

Elle se détourne, reprenant la direction de la sortie de la salle. Hel soupire :

— Besoin non, mais tu peux l’être. Arrête de lutter, accepte toi comme tu es, Loki, on s’en portera tous mieux.

Elle lui jette un coup d'œil avant de franchir la porte pour se diriger vers la sortie de la caserne, attrapant sa veste au passage.

— Tu l’as pas ménagé, hein, Odin, tout à l'heure ?

Le regard argenté se pose sur le ricanement, adossé à côté de la porte dans le couloir. Thor esquisse un sourire en coin, les bras croisés, avant de suivre Loki, marchant à ses côtés tout en fourrant les mains dans les poches de son pantalon. La jeune femme ne répond pas. Elle n’aime pas se disputer avec Odin - et elle n’a pas décoléré - pourtant ils n’arrivent pas à s'empêcher de se lancer continuellement des reproches. Le blond à ses côtés garde le nez en l’air alors qu’ils rejoignent le couloir du dortoir, où chacun a sa chambre individuelle :

— Il a fait quoi pour que tu l’enrages, cette fois ?

— Il a osé dire qu’il agissait pour mon bien.

Thor ricane une nouvelle fois. Lui qui est constamment en conflit avec Odin, même s’il le respecte, est sans doute le seul à comprendre que Loki ait toujours de la rancœur envers leur meneur.

— Nikola ?

Elle acquiesce et se fige, le laissant la dépasser. Seulement alors, elle souffle et relève les yeux vers son camarade :

— Je sais qu’il veut me protéger. Mais il ne me fait jamais confiance.

— Vous auriez pas dû aller à cette table de jeux, t’as conscience que c’est toi qui a merdé, hein ?

— Ouais, mais pour autant il a pas à me rappeler ce qu’on risque à se faire prendre à chaque putain de fois. Je m’en souviens très bien.

Son poing se serre, les ongles dans la paume de sa main, à en laisser une trace. Thor pince les lèvres, venant gratter son menton d’un air faussement pensif. Loki sent pointer la culpabilité au fond de son ventre, sentiment désagréable des suites de sa dispute avec leur leader. Il ne comprend pas qu’elle refuse d’être surprotégée, ou pire, jugée pour ses actions passées bien indépendantes de sa volonté, comme avec Baldr.

— Ok bon on va aller te changer les idées ! argue le blond avant de la prendre par les épaules, se mettant face à face, baissant les yeux vers elle. On va aller boire un verre, et demain ce sera oublié, ok princesse ?

Loki pince les lèvres mais acquiesce. Ce n’est rien qui pourrait lui faire de mal. Ils n’iront pas dans un bar hors du ghetto, et ça lui permettrait d’oublier un peu ses problèmes avec Odin. Même s’il veut son bien.

Thor esquisse un sourire. Depuis qu’ils se connaissent, ils ont toujours été proches, toujours fourrés ensemble. Même quand Loki a commencé à fréquenter Odin et celui que plus tard, ils ont désigné comme Baldr. Toujours présent dans son sillage, à rattraper ses bêtises et ses frasques ; ce n’est pas pour rien qu’il a hérité de son surnom. Thor, dieu du tonnerre dans les mythes nordiques. Majoritairement connus pour ses exploits en rattrapant les malfaisances du rusé Loki. Un surnom autrement plus flatteur que celui dont elle-même a hérité, et pourtant dans lequel la jeune femme se retrouve pleinement.

— Allons-y alors, tranche le jeune homme, l’entraînant à sa suite.

L’esprit allégé mais toujours tourné vers Odin et ses reproches, la culpabilité de la sortie poker pèse un peu moins dans sa poitrine. A y repenser, Hel aurait pu risquer gros en jouant et en suivant ses idées ; elle aussi, si leurs hôtes avaient remarqué la supercherie. Hel avait triché mais Loki avait utilisé sa Cendre, de quoi signaler son statut et la mettre réellement en danger. Odin et Freya n’avaient pas tord en affirmant que les Lanciers s’en prenaient aux parias comme eux. Et qu’il y avait rarement des survivants à leurs interventions.

— Arrête de ruminer, grommelle Thor, les mains éternellement dans les poches, tandis qu’ils approchent du bar New Age.

Loki serait prête à parier que dans les poches de sa veste, Thor cachait les étincelles qui lui démangeaient les doigts. Le bâtiment est à l’image des quartiers nords de San Vegas mais pourtant proche de la frontière ouest, menant vers le quartier huppé. La bâtisse mériterait un coup de peinture et quelques clous dans la charpente, le bar fait presque underground avec son style un peu trop vintage, d’après Loki. Ils sont anonymes ici, personne ne fréquente le New Age, si l’on en croit les rumeurs. Et pourtant tout le monde vient ici, elle en est certaine. Ils entrent dans le bar, balayant la salle du regard. Loki vérifie que personne ne les connaît, qu’elle ne connaît personne, sa vue acérée lui offrant cet avantage.

— C’est bon ? demande Thor, posté derrière elle, la porte encore entrouverte au cas où ils ne pourraient s’attarder ici.

Elle acquiesce, ne reconnaissant personne capable de les dénoncer. C’est que ce bar était parfois fréquenté par des soldats, mais ce soir, Loki pouvait se réjouir ; pas d’uniforme en vue ! Et aucune tête de soldat qu'elle connait. Elle entre, se faufilant avec son camarade à la suite pour rejoindre une table. A peine sont-ils installés qu’un serveur - à l’ancienne ! - vient prendre leur commande. La jeune femme se cale sur le choix de Thor avant de s’enfoncer dans le siège de la banquette, les mains posées sur la table. Son ongle vient gratter la surface et son genou bat la mesure de ses ruminations. Le blond pose les yeux sur elle et croise les bras sur la table pour se pencher vers elle, tandis que le bar vit comme s’ils n’existaient pas :

— Pourquoi t’accordes encore autant d’énergie aux reproches qu’il te fait ? qu’il demande sans avoir besoin de préciser qu’ils parlent d’Odin. T’es assez grande pour vivre ta vie.

— Ouais p’t-être, mais il a raison, tu sais ? Ça aurait pu mal finir.

— Mais ça a pas mal fini, justement. Il s’est planté, dans son stress constant là, et son besoin de contrôle.

Loki pince les lèvres, sans argumenter. Odin n'a pas toujours été aussi protecteur, aussi intrusif ; il l'était depuis l'attaque qu'ils ont mené contre la LANCE pour libérer Hel et son père, Nikola. Ses yeux gris se baladent sur la foule dansante ou mouvante dans le bar, sans savoir où s’attarder. Néanmoins, son regard est brusquement figé sur un jeune homme au bar qui l’observe en retour, dans le dos de Thor. Un grand blond, la mâchoire finement tracée, des yeux fins d’un bleu perçant, à la carrure sèche et athlétique. Il esquisse un sourire en croisant le regard de l’Ash, parlant à un type à côté de lui sans le regarder. Son camarade a la même carrure, quoi que plus petit et dont les cheveux auburns bouclent légèrement. Mais ce n’est pas lui qui intéresse Loki ; et de toute évidence, elle distrait un peu trop le blond qui finit tout de même par s’adresser à son binôme, quand les doigts de Thor passent dans le champ de vision de la brune et claquent. Elle cligne des yeux, tournant le regard vers l’Ash assis face à elle, qui esquisse un sourire moqueur :

— Tu m’écoutais plus.

— Pour t’entendre dire que je devrais en avoir rien à foutre de son avis ? T’es en boucle, mec. Je préfère consacrer mes oreilles à autre chose, rétorque Loki, taquine.

— Ah les Kenaz… insupportables.

Kenaz, porteurs de Cendre dont les sens sont surdéveloppés. Chez Loki, ces sens sont au nombre de trois : la vue, l’ouïe et le toucher. Son sourire taquin s’agrandit à la pique de Thor et les lèvres de ce dernier se retroussent. Un coup d’œil de la jeune femme et elle remarque de nouveaux les yeux bleus sur elle quand leur commande arrive. Thor balaie la salle du regard et finit par interroger sa comparse :

— Lequel ?

— Aucun.

— Je te jure, si tu me lâches, t’as intérêt à avoir une bonne raison.

La lueur dans le regard argenté de Loki change quand elle croise une nouvelle fois les azurs de l’inconnu. Malice se joint à ses traits quand elle affirme, à volume mesuré pour ne pas se faire entendre :

— Faire chier Odin, c’est une raison suffisante pour toi ?

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