Chapitre 4

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Elle se réveille en sursaut le lendemain, le soleil déjà levé. Pestant, elle saute de son lit et se rue à la douche. Odin ne lui a donné aucun horaire, mais elle sait Maggie particulièrement occupée. Il s’agit de l’une des plus puissantes femmes d’affaires de la République de l’Ouest et - rien que ça - de la marraine d’Odin. Une femme fortunée au regard acéré qui fait frémir plus d’un, mais également l’un des grands soutiens à la cause des Ashes. Quand son filleul s’est vu déshérité par son paternel, elle n’a pas hésité un instant avant de venir en aide sur le plan financier à toute la bande.

Loki a suffisamment eut affaire à cette femme, elle sait que Maggie l’apprécie… ou du moins l’appréciait. Très protectrice d’Odin, elle devait aujourd’hui l’accuser de leur relation laborieuse. Fait chier… Elle sait qu’elle va négocier des informations mais se contente tout de même de son habituelle tenue : un débardeur militaire où elle peut glisser une partie de ses munitions dans de petites poches au niveau des côtes, un pantalon noir près du corps qu’elle supplante d’une ceinture qu’elle ne prend pas la peine de glisser dans les passants et qui remonte sur sa hanche, où elle accroche son masque à gaz. Son pistolet, particulièrement massif et aux apparences artisanales, pend contre sa cuisse et elle enfile également deux garde-bras, des mitaines longues remontant jusqu’au coude. A son biceps droit, elle ajoute un holster, tenu par deux sangles, qui permet de porter un tout petit pistolet de poing particulièrement discret. Son attirail renvoyait un avertissement : cette fille n’était pas faite que pour la précision, mais pour le chaos.

Tandis qu’elle finit de se préparer, Hel entre dans sa chambre, talonné par Thor qui, Loki s’en doute, l’attendait depuis un bon moment dans le couloir.

— Alors ? Avec le beau gosse ? demande ce dernier avec un sourire moqueur en se vautrant sur le lit de la belle.

— Rien, répond Loki en accrochant la dernière de ses trois boucles d’oreille au niveau de l’hélix.

— Comment ça, rien ?

— Même moi je suis déçu là, glisse Hel en s’adossant au bureau.

Loki marque un temps, passe une main derrière son oreille pour rabattre des mèches lisses qui venaient dans sa vision périphérique ; seule cette éternelle mèche rebelle revient danser devant son regard.

— Odin m’a appelé. Enfin non, il m’a envoyé un message mais… bref, il s’est rien passé, conclut-elle. Elle marque un temps avant d’ajouter : mais je pense qu’on va se revoir. En vrai j’en sais rien !

Thor se redresse sur le lit, visiblement partagé entre son côté commère et son sentiment désinvolte quant au fait que Loki ait lâché l’affaire pour les beaux yeux d’Odin. Pourtant, la brune n’ajoute rien, ce qui fait relever un sourcil à Hel.

— Attends, t’as planté un plan cul ultra canon, et je te cite, vieux, glisse-t-il vers Thor, pour Odin ?

Loki hausse les épaules, les laissant dans le doute tous les deux, un léger sourire flottant sur ses lippes. Hel régit avec nonchalance, témoignant de sa lassitude face aux potins qu’il n’aura pas.

— Et ça valait le coup, avec Odin ?

Loki tourne son regard en coin vers lui. Ce n’est que lorsqu’un sourire moqueur se dessine sur les lippes du médecin de la bande qu’elle comprend qu’il bluffe pour la provoquer. Lèvres pincées, elle finit de se préparer avant de lâcher, en passant devant les garçons pour sortir de la pièce :

— On va voir Maggie.

Hel se décale et l’accompagne tandis que Thor les suit précipitamment, décidé à avoir des explications. Il est cependant interrompu dans son élan par Odin, venant justement dans leur direction. Le regard du meneur ne se pose que sur Loki, la mine aussi sombre que ses yeux de jais.

— Tu es prête ? On peut y aller ?

En se félicitant d’avoir eu un bon sens du timing, la brune gratifie Hel et Thor d’un geste, où, un à un, ses doigts s’animent en un salut moqueur. Emboîtant le pas à Odin qui se contente de leur adresser un vague signe, ils descendent pour rejoindre la rue, où la belle qui le suit jusqu’à sa moto. Un modèle rétro pourtant amélioré avec le meilleur de la technologie moderne par Thor.

La belle Indian est bien loin du modèle plus sport et militaire que conduit habituellement Loki mais elle se plaisait toujours de la sensation grisante de cette bécane vintage. Elle monte derrière Odin, son corps collé au sien tandis qu’il met le contact. Filant jusqu’aux quartiers à l’ouest de San Vegas, Loki observe les rues qui se transforment peu à peu au fur et à mesure qu’ils avancent.

Des rues étroites, sales et délaissées du ghetto devenu leur territoire, ils foncent vers les rues agréables et spacieuses de l’ouest. A l’opposé de l’air dense et pollué du nord, ici les filtres permettaient de respirer sans attraper une infection quelconque et sans masque. Odin réduit l’allure quand ils gagnent enfin les quartiers riches - ici les gens roulent calmement. Tout était sécurisé, les gens marchaient paisiblement dans de grands boulevards verdoyants aux arbres majestueux. Les rues étaient propres, les routes entretenues ; impossible ici de se faire secouer par un nid de poule. Au centre du quartier ouest, une imposante statue respirait la force et l’autorité bienveillante, entourée d’un bassin monumental à l’eau claire. Le soleil du désert semble moins agressif ici, où la présence des arbres et d’une humidité bienvenue apaisent la morsure de l’astre.

La richesse du quartier privilégié l’a toujours rebutée, Loki, même si Odin en est originaire. Elle, à l’inverse, a toujours grandi dans le ghetto, à survivre au jour le jour, d’autant plus depuis que les Ashes sont traqués.

Il vient finalement se garer au pied d’un immeuble qu’ils connaissent bien tous les deux. Loki souffle et remet un peu d’ordre dans ses longs cheveux balayés par le vent, levant les yeux le long de la façade vitrée. Son estomac est totalement noué, la nausée au bord de ses lèvres, elle n’est pas certaine d’être prête à recevoir l’information tant attendue. Mais au diable ses doutes ; elle guette sa vengeance depuis trop longtemps. Alors, sur les talons du grand brun, elle entre dans l’immeuble et le suit dans l’ascenseur. Odin est une figure connue par l'accueil quand il se glisse ici, fréquent visiteur de Maggie ; aussi, les armes présentes sur les deux rebelles ne les empêchent pas de passer. Dans l’ascenseur, la brune s’appuie contre la paroi, le regard rivé vers le plafond, tandis que l’homme reste sagement droit, les mains dans les poches de son pantalon.

— Tu sais pour hier… commence-t-il.

— Pas maintenant, Rex.

Elle le soupçonne d’avoir envoyé ce message pour l’empêcher d’aller voir ailleurs, pour l’arrêter en l’appâtant avec une information qu’elle désire plus que tout depuis un an. Son besoin de vengeance occulte la rancœur qu’elle devrait ressentir, bien qu’elle préfère ne pas en parler tout court. Odin tourne le visage vers elle, et la belle baisse les yeux du plafond pour croiser son regard. L’ascenseur finit par arriver, interrompant toute possibilité de discussion, et les portes s’ouvrent sur une belle femme, grande, les cheveux gris remontés en une coiffure élégante.

— Mes petits dieux chéris ! s’exclame Maggie alors qu’ils entrent dans l’appartement, Loki traînant sa nonchalance habituelle.

— J’ai eu des informations à propos de la mort de Nikola par Maître Armori, qui a de nombreux contacts, jusqu’au sein de l’armée.

Installés à la table de la salle à manger devant une tasse fumante de café - une boisson qui ne sera jamais passée de mode - Loki guette la suite du discours de Maggie. Son genou gauche bat la mesure de son anxiété montante tandis que le droit est ramené contre elle, son talon contre le bord du siège. Ses doigts jouent avec sa cuillère comme pour se concentrer et son regard essaye de rester fixé devant elle. Quand la main d’Odin vient se glisser sur sa cuisse, elle se fige. Maggie perçoit ce mouvement de l’autre bout de la table, de toute évidence, puisqu’elle pose son regard perçant sur la jeune femme:

— L’homme que tu cherches est un lieutenant de la LANCE.

— On sait déjà que c’est la LANCE, rétorque Loki, amère et peu encline à attendre après un laïus interminable. C’était dans leurs locaux.

La tension d’Odin près d’elle sonne comme un avertissement mais elle ne prend même pas la peine de le regarder. Maggie, dont la patience est limitée, est magnanime ; ils le savent tous les deux. La haute dame la jauge du regard mais ne se dérobe pas, même devant les yeux perçant de la Kenaz.

— Les informations que j’ai sont maigres, Loki, poursuit Maggie en insistant sur le surnom de la brune, qui frémit à son écoute. Néanmoins j’ai un nom. Il s’agit du lieutenant Alderson. C’est lui qui a tiré sur ton père adoptif quand vous avez sorti Hel.

Loki ne la lâche pas du regard et contient sa réaction. Elle a un nom. C’est plus qu’elle n’espérait. Elle ne s’attarde même pas sur la pique subtile que glisse Maggie en rappelant que Nikola n’était que son père adoptif. Pour elle, il n’y a avait aucune différence ; il l’avait élevée depuis l’enfance et c’est lui qu’elle avait toujours appelé « papa ». Abandonnée devant une caserne de pompiers à quelques semaines, c’est Nikola qui l’avait recueilli et personne d’autre.

— Pour autant, conclut Maggie, même s’il a tué ton père, ce n’est pas forcément lui le responsable. Tu ne peux pas blâmer un homme quand c’est tout le système qu’il faudrait changer.

— Pourquoi ce s’rait à nous de changer l’système qui vous avantage alors qu’on crève la gueule ouverte dans l’ghetto ? rétorque Loki en se penchant en avant, cynique et peu amène qu’on vienne nuancer son envie de vengeance.

— Ne joue pas à ça Tasha.

Cette fois la voix de Maggie porte, en interpellant la jeune femme par son prénom, et la brune jurerait que son cœur s’est figé un instant. Ce n’est probablement pas son imagination quand elle voit la colère dans le regard du tatoué à ses côtés, lui qui restait posément silencieux. La veine de son cou pulse à nouveau. Ses muscles sont tendus, sous les jets d’encre qui parsèment son bras gauche dont il ferme et rouvre le poing. La cuillère venant claquer sur le bois une dernière fois, elle s’oblige à reporter ses yeux vers Maggie, qui soupire :

— Nikola n’a jamais fait les choses à moitié, et te transmettre ses convictions et ses valeurs est sans doute la tâche dans laquelle il s’est le plus investi. Je sais parfaitement que tu méprises les résidents de ce quartier, tout comme lui. Mais n’oublie pas que j’use bien assez de mes moyens pour vous aider. Ce n’est pas en claquant des mâchoires que tu auras gain de cause ; vous devez transformer la vie des gens du ghetto, pas chercher une vengeance personnelle.

Loki n’insiste pas, détournant son regard gris. Lippes serrées et mâchoire tendue, elle se laisse tomber plus sagement dans le dossier de sa chaise, soufflant sur la mèche qui danse devant ses yeux gris, incapable de faire face à sa propre injustice. Elle a perdu son père, et il y a cinq ans, Maggie a perdu son neveu par sa faute. Il n’est pas dans son droit de blâmer la vieille femme pour une inactivité imaginaire ; depuis le début, la haute dame les soutient, leurs fournit des fonds et protège son filleul et les siens.

Quand ils quittent la bâtisse, plus tard dans la matinée, Loki n’a pas dit un mot de plus, jouant avec une bille métallique entre ses doigts, la faisant danser contre ses phalanges avec son pouce. Elle s’est contentée de remercier Maggie pour ses informations. Au fond, elle était contente qu’avec Odin, ils ne soient pas revenus sur leur relation désastreuse. En rejoignant l’Indian, le grand brun soupire cependant :

— Je sais pas ce que t’as en ce moment, Tash’, mais faut vraiment que tu te calmes. Ça va t’attirer des emmerdes avec Maggie, ajoute-t-il en se grattant la nuque, nerveux.

Elle relève les yeux vers les siens, ces iris d’argent si particuliers, uniques même ; elle a l’impression de revoir ce garçon, il y a cinq ans, qui a assisté à son premier combat illégal dans le ghetto avec son meilleur ami. Celui dont, elle le sait, elle a fini par tomber amoureuse. Rien à voir avec le caïd qu’il était aujourd’hui. Elle détourne le regard et hausse une épaule avec nonchalance :

— Ça va.

— Tu sais que tu peux m’en parler ?

— Y a rien à dire, conclut-elle, lui faisant pencher la tête sur le côté.

Elle se mord la lèvre inférieure. Comment lui dire que depuis un an, elle n’a de cesse de le penser responsable de la disparition de son père ? Émotion divisée, ils sont de part et d'autre de ce fossé entre eux, celui qu’ils ont commencé à creuser il y a cinq ans de ça. Ils l’ont alimenté par les conflits, par les disputes, par l’impulsivité de Loki et par l’autorité d’Odin. Ils l’ont nourri par la mort de Baldr, par la mort de Nikola, qui les a probablement achevés. Odin s’appuie contre la moto, faisant face à la jeune femme ; glissant un doigt dans le passant vide de sa ceinture, il la rapproche de lui. Loki se laisse faire, un léger sourire charmeur se dessinant sur ses lèvres. Un instant, elle laisse tomber ses défenses, cette colère qui gronde comme un volcan en elle, véritable orage.

— Je sais que c’est constamment le bordel dans ta tête, mais je suis là, même si c’est compliqué entre nous, glisse le brun, doux, avant de saisir son menton pour relever son regard gris vers lui : Je suis pas ton ennemi princesse, bien au contraire.

Elle acquiesce, ravie de l’entendre ainsi poser ses mots. Elle connaît les deux facettes de l’homme devant elle, elle sait aussi qu’il ne lui fera jamais de mal. Contrairement aux autres riches qui vivent ici.

— Tu sais que Thor m’appelle comme ça aussi ?

— J’étais le premier à le faire, rétorque-t-il d’un sourire amusé. Ça te dit qu’on prenne un peu de temps pour déjeuner ?

Loki hausse un sourcil, surprise. Lui qui d’habitude est à la poursuite de sa rébellion, à redoubler de prudence pour leur sécurité, elle s’étonne qu’il propose une sortie comme si tout allait pour le mieux et que leur peuple ne se faisait pas attaquer de toutes parts.

— Et Asgard ? demande-t-elle, comme une confirmation et, peut-être, dans l’espoir qu’il la ramène dans le ghetto pour qu’elle enquête sur le lieutenant Alderson.

— Freya gère, on a peu de chance qu’il se passe quoi que ce soit à Asgard en quelques petites heures, et puis on a besoin de se retrouver un peu, tous les deux si t’es d’accord.

Les coins de la bouche de Loki se rehaussent et elle acquiesce. Par ce geste, elle accepte de remettre sa vengeance à plus tard. Odin dépose un baiser sur son front, et elle a le sentiment de respirer, de se sentir en sécurité. Elle était toujours sur le qui-vive, mais Odin parvenait parfois à apaiser son instinct anarchique. Comme si leur guerre pour la protection de leur peuple prenait une pause. Le tatoué se détache avant d’enfourcher la moto et la jeune femme monte à sa suite, les bras passés autour de sa stature. Odin démarre, s’élançant vers la frontière.

Ils sont en route depuis moins de dix minutes, à presque trois kilomètres de l’orée du ghetto, quand l’ouïe de Loki capte un son qu’elle reconnaît. Elle vient presser le frein, glissant sa main sur celle d’Odin qui, sentant sans aucun doute le danger qu’elle a flairé, s’immobilise sur le bas-côté. La brune concentre sa Cendre vers les sons, à la recherche de ce qu’elle a entendu. L’homme devant elle lui jette un regard par-dessus son épaule, silencieux, jusqu'à ce qu’elle tourne la tête vers la droite. Aucun doute possible.

— Il faut qu’on y aille, lance-t-elle.

Elle se hisse debout sur la moto et attrape d’un bond le bord de l’échelle de l’évacuation de secours de l’immeuble à côté d’eux, grimpant le plus vite possible jusqu’à arriver sur le toit, d’où elle domine la ville. Odin la suit des yeux et verrouille la bécane pour la suivre en vitesse. Il arrive dans son dos, suivant son regard. Ils sont loin mais Loki discerne la scène de sa position ; des soldats armés sont en train de forcer l’évacuation d’une spacieuse maison, à coup de bombes incendiaires. Et l’uniforme ne les trompe pas : la LANCE est en pleine intervention de nettoyage d’un camp clandestin de Ashes.

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