Une épreuve difficile
Syreene avait été appelée en urgence par le Ranger Drey. Ce dernier l’avait contacté comme le lui avait demandé le commandeur Rayzen et lui avait expliqué la situation. Après lui avoir ordonné d’aller déposer Kinay au centre de secours le plus proche, la jeune femme était partie en toute hâte avec deux autres Rangers et un secouriste pour retrouver son supérieur.
Suivant les indications que leur avait donné Drey, l’équipe s’avançait dans le dédale souterrain jusqu’à trouver le passage secret.
— C’est ici, dit-elle en examinant les lieux.
— Qui a donc créé ce tunnel ? demanda l’un des agents.
— C’est ce que voulait découvrir le commandeur, répondit Syreene. Allons-y !
Ils s’engouffrèrent à l’intérieur, usant de leur pouvoir luminique pour s’éclairer. Syreene ouvrait la marche et avançait rapidement. Elle était inquiète au sujet de Rayzen. Lui qui venait de sortir de l’hôpital, elle craignait qu’il ne soit obligé d’y retourner.
Il n’y avait aucun bruit si ce n’était leur pas résonnant dans ce tunnel sombre et humide. L’équipe avait l’impression d’entrer dans un tombeau. Une émotion étrange les envahissait comme si la mort et le désespoir étaient maîtres des lieux.
— Capitaine, souffla l’un d’eux. Est-ce que…
— Oui, répondit-elle en devinant sa question. Des sans-lumières de niveau supérieur !
— C’est impossible ! On est à Energy City !
— Je sais… Mais je crois que le commandeur Rayzen était sur une piste brûlante. Et que des sans-lumières se terrent dans les sous-sols de la ville.
Le secouriste s’arrêta net. Il n’était pas un Ranger avec un pouvoir de lumière, ce n’était qu’un infirmier formé pour sauver des gens, pas combattre des démons.
— Restez en arrière, lui dit Syreene. Rangers, en armure !
Ils ouvrirent leurs combinaisons métalliques et se tinrent prêt au combat. Le capitaine fit de même et continua d’avancer. Des grognements sinistres se firent entendre de l’autre côté du tas de gravats. Les monstres étaient là, tout près et aucun renfort n’était disponible dans la cité des Space Rangers.
Puis plus rien. Comme s’il avaient disparu. Syreene resta prudente et s’avança jusqu’au sommet des gravats. Elle risqua un coup d’œil… rien. Aucun monstre n’était présent.
— Mais qu’est-ce que ça veut dire ? marmonna-t-elle.
Elle fit signe au reste de l’équipe de la suivre et passa de l’autre côté.
— Restons sur nos gardes. Ils sont peut-être partis mais ils ne sont pas forcément loin.
Elle se tourna vers le secouriste :
— Restez entre les deux Rangers, c’est plus prudent.
Il ne se fit pas prier deux fois. L’équipe continua d’avancer dans le long couloir sombre, la tension montant progressivement. Le silence était pesant, comme dans des catacombes.
Ils arrivèrent devant l’ouverture qui menait à la grande salle. Les grandes cuves étaient détruites pour la plupart et le sol était inondé du liquide qu’elles contenaient. Ce dernier était terriblement visqueux et répandait une odeur chimique dans l’air.
— Est-ce que c’est dangereux ? demanda l’infirmier.
— Non, répondit l’un des deux Rangers après une analyse sur la visière de son casque. Mais c’est une matière très collante et nutritive. Etrange dans un endroit comme ça…
— Je ne vois pas le commandeur Rayzen, s’inquiéta Syreene. Ni de sans-lumière.
— Allons fouiller cette pièce, proposa le second Ranger. On peut avancer en brûlant cette mélasse avec nos rayons de lumière.
Le capitaine approuva et ils se frayèrent ainsi un chemin. Ils examinèrent chaque recoin de la salle mais ne trouvèrent aucune trace du commandeur, ni même du moindre être démoniaque.
Rayzen… où es-tu ?
Glen et Galata s’étaient arrêtés, à bout de souffle, après quelques kilomètres de course intensive à travers l’épaisse végétation. À priori, le prédateur ne les avait pas suivis, trop occupé avec sa proie qu’elle était probablement en train de dévorer.
— Tu …crois qu’elle… va nous… retrouver ? demanda Glen en reprenant sa respiration.
— J’espère… que non… Pfiou ! J’ai bien cru… devenir une… saucisse forestière !
— On ne devrait… peut-être pas rester immobile.
— Tu as raison… mais on devrait trouver de l’eau avant… J’ai cru apercevoir un ruisseau en arrière.
— Mauvaise idée ! Tu n’as pas lu le bestiaire qu’on nous a fourni ?
— Beeeeeen… non.
— Et tu crois réussir l’épreuve comme ça sans lire les informations que l’on te donne ? Pitoyable…
Le sang commença à monter à la tête de la jeune fille.
— Non mais… hé ! T’en veux une ?
— Les prédateurs comme le jaggopard vont souvent vers le point d’eau le plus proche après leur repas ! On va devoir aller ailleurs ou patienter avec nos gourdes !
Il fit volteface et continua la route en marchant, laissant Galata sur place.
— Mais… ? Tu vas où ?
— À ton avis ? On a une mission à accomplir ! Et ne me suit pas, je n’ai pas envie d’avoir une trainarde dans les pattes !
Ouuuuuuh… Je vais lui montrer moi, qui est la trainarde !
Mais que faire ? Le suivre ? Elle ne voulait pas passer pour une incompétente qui ne savait que suivre les autres. Partir de son côté ? Pour aller où ?
Elle regarda Glen s’éloigner et sentit une certaine lassitude l’envahir. Elle voulait que ce stage soit déjà fini, elle qui avait attendu tout l’été pour y participer…
Au moment où elle se posa pour réfléchir, elle entendit une voix familière l’appeler :
— Galata ! Par ici !
— Jane !!!!!
Son cœur bondit de joie en voyant son amie à quelques mètres d’elle. Jane la rejoignit, le visage cramoisit par le soleil.
— Ouf ! souffla-t-elle. Je suis contente de te retrouver…
— Et moi donc ! dit Galata, les larmes aux yeux.
— J’étais derrière toi avec mon drone quand le tiens a explosé en vol. Je t’ai vu piquer droit sur la forêt alors que ce n’était même pas la zone d’exercice. J’ai tellement eu peur ! Qu’est-ce qui s’est passé ?
Galata lui relata les faits depuis son réveil jusqu’à sa course avec Glen.
— Mais quel goujat, celui-là ! s’exclama Jane. Un vrai rustre !
— Du coup je me retrouve sans rien pour l’instant…
— On vient à peine de commencer, rassura-t-elle. Moi j’ai eu de la chance, celle que j’ai trouvé était à côté de l’endroit où j’ai atterri. Mais les autres…
— Il ne faut pas rester au même endroit… on n’est qu’au premier jour mais il faut se dépêcher de trouver un endroit pour la nuit.
— Tu as raison.
Elle sortit son GPS et analysa l’écran.
— On va se rapprocher de ces deux points, dit-elle. En espérant que personne ne les prenne avant nous.
— Ne perdons pas de temps alors !
Deux jours passèrent. Galata et Jane avaient traversé en long la zone de l’exercice à la recherche de leur objectif au gré des obstacles qui se posaient sur leur route. Galata avait trouvé une balise tandis que Jane en était à deux. Arrivé au quatrième jour du stage, elles étaient épuisées et démoralisées. Elles avaient fini leurs rations de survie et cherchaient à remplir leurs gourdes mais aucun point d’eau n’était à proximité.
La chaleur humide devenait insupportable et cela leur créait des ampoules aux pieds. Leur gorge était desséchée et la peau recouverte de poussière et de pollen.
Marchant dans ses derniers efforts, Galata, la tête baissée et les bras pendants, s’avançait distraitement et se cogna la tête contre une surface dure. Elle n’eut même pas la force de crier et retomba mollement en arrière.
— Galy…, murmura Jane, est-ce que ça va ?
— Je sais pas… j’ai mal… mais je suis trop fatiguée pour pleurer et j’n’ai plus d’eau en moi pour des larmes… qu’est-ce qui m’est arrivé ?
— Tu t’es cogné contre un mur…
— Ah ? Tiens, oui…
C’était le mur haut de plusieurs mètres qui délimitait le périmètre de l’exercice. Elles le regardèrent pendant quelques secondes, puis Galata explosa en frappant le mur de ses poings :
— BON SANG DE BON SANG ! ON A TRAVERSE LA ZONE D’UN BOUT A L’AUTRE SANS VOIR UNE AUTRE DE CES FICHUS BALISES, ON EST MORTE D’EPUISEMENT ! J’AI SOIF ! J’AI FAIM ET JE VEUX UN BAIIIIIIIIIIIIIN !
Par dépit, elle retomba sur les genoux et se mit à sangloter. Jane était dans le même état et ne savait quoi faire pour la consoler.
Au bout de quelques secondes, elles entendirent une sorte de grondement souterrain puis comme une petite explosion. Un puissant jet d’eau dépassa la cime des arbres à quelques mètres des deux filles avant de retomber en une pluie chaude.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Galata.
— On aurait dit un geyser…, répondit Jane.
— Un geyser ? Alors ça veut dire…
Elle se leva d’un bond, comme prise par un regain d’énergie et couru en direction du jet d’eau.
— Hé, attends-moi !
Jane la suivit avec plus de difficulté pour se déplacer, ses muscles réclamant de l’énergie qu’elle n’avait pas.
Galata était en extase devant une plaine sans végétation, où seules des petites mares d’eau fumante étaient plantées dans le sol.
— Des sources chaudes ! s’exclama-t-elle avec enthousiasme. C’est exactement ce qu’il nous faut !
— Whoa… mais est-ce qu’on a le droit ?
— Pourquoi on n’aurait pas le droit ? On a besoin de se détendre !
— Oui mais… et si les garçons nous surprenaient ? Et on n’a pas nos affaires, pas de serviette pour se sécher…
Plouf !
Galata avait déjà plongé après avoir enlevé ses vêtements sans prévenir. Un peu rouge de confusion, Jane se laissa aller et entra à son tour.
L’eau, d’un blanc laiteux, était agréablement chaude, provoquant un frisson sur la peau. La mare était assez profonde pour entrer jusqu’aux épaules et le fond était tapis d’une terre argileuse qui était agréable à la plante des pieds.
— C’est le paradis ! s’écria Galata en s’agitant dans tous les sens. J’y resterais des heures entières !
— Oh, là, là… je ne suis pas tranquille…
Galata s’approcha avec un sourire malsain.
— Qu’est-ce qu’il y a, petite fille ? Tu as peur qu’on te voie toute nue ? Que des monstres viennent te reluquer dans ton bain ?
— Arrête, tu me fais peur !
— Il y a peut-être un serpent dans l’eau, tournant autour de tes petites cuisses et prêt à te serrer de toutes ses forces !
— Noooooooooon…
Un geyser surgit brutalement à deux mètres d’elles dans un grondement, surprenant Jane qui se mit à hurler de terreur. Galata éclata de rire, satisfaite de sa bêtise.
— Ce n’est pas marrant ! s’indigna Jane. J’ai peur des serpents, moi !
— Il n’y a pas de serpent, voyons ! Je te fais marcher ma pauvre !
Elle continua de rigoler, prise d’un fou-rire interminable. Boudeuse, Jane commença à sortir de l’eau lorsqu’elle sentit un souffle chaud dans le dos suivit d’un grognement sourd.
Galata avait cessé de rire. Jane était tétanisée et n’osait plus bouger.
— G… Galata… ?
Pour toute réponse, sa camarade lui tapota frénétiquement la cuisse pour l’inciter à se retourner. Jane risqua un coup d’œil derrière elle.
La créature était monstrueusement laide. On aurait dit un Yak d’une taille démesurée, aux poils blancs qui descendaient par terre et une tête pourvue de deux grosses cornes enroulées comme un bigorneau. Un énorme museau rose recouvert d’une bave mousseuse renâclait avec un horrible bruit de succion.
Les cheveux des filles se dressèrent sur la tête lorsqu’un filet de bave écumeuse large comme le bras tomba dans la mare et lorsque la créature y plongea sa truffe, elles s’empressèrent d’en sortir en attrapant leurs vêtements à la va-vite.
Une cavité rocheuse se trouvait un peu plus loin et elles s’y engouffrèrent en toute hâte.
— Quelle horreur ! s’exclama Jane. C’était quoi cette bête immonde ?
— Tu étais déjà sortie, moi j’ai de la bave qui m’a touché le dos… brrrrrrr !
— Bon ben… fini la détente.
— Avec cette course, je suis déjà sèche… on se rhabille et on cherche à manger.
— Hé ! appela Jane en scrutant le fond de la cavité. C’est quoi ce truc ?
Un voyant rouge clignotait dans la pénombre. Galata s’en approcha et tendit la main.
— C’est une balise, dit-elle.
— Oh ! Cool ! Tu en as deux maintenant !
— Non… c’est toi qui l’as vu la première. Elle est à toi…
— J’en ai déjà deux et toi qu’une seule. Garde-la, on trouvera les autres ensemble !
— Mais tu pourrais finir maintenant et sortir enfin de cet enfer !
— On est des Rangers, non ? On s’entraide !
Galata était touché par le geste de sa camarade. Elle l’étreignit, une larme à l’œil.
L’infirmière marchait tranquillement dans le couloir qui menait aux chambres des patients, portant un plateau repas dans ses mains. Elle l’apportait à cette petite peste malpolie de Karine et allait devoir lui donner son diner. Après l’avoir endormie, elle lui avait passé une camisole de force car elle s’était débattue dans son sommeil au risque de se blesser dans sa folie.
De tous les patients qu’elle ait pu rencontrer dans sa vie, Karine était la plus terrible. Mais c’était une femme forte qui ne se laissait pas faire, même par une tigresse enragée et ce n’était pas aujourd’hui qu’elle allait abdiquer.
Elle arriva devant la porte de cette petite teigne, prit son trousseau de clés en maintenant le plateau d’une seule main et l’ouvrit. A peine eut-elle posé un pied dans la chambre qu’elle faillit tout renverser : Karine s’était libérée de sa camisole et s’était enfuie par la fenêtre après avoir tordu les barreaux.
— Oh ! Le chameau !
Karine courrait à en perdre haleine dans le hangar des drones après avoir récupéré son équipement de combat. Le risque était grand mais elle n’allait tout de même pas se battre en tenue de patient.
Elle enfila à la hâte sa tenue, prit ses armes et se dirigea vers un drone. Elle le démarra et souffla :
— A nous deux !
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