Chapitre 2 La requête du Doyen p1
Jamais jusqu’à présent un empire Humain n’était parvenu à réunir en un même lieu autant de personnes brillantes, audacieuses et inventives. (…)
L’académie des Magistères au sein de la capitale Ircania est donc en tout point un endroit unique en son genre, berceau de toutes les possibles. Nul doute qu’il en rejaillira certainement les plus grands esprits du monde de demain.
Ircania, l’Empire aux Mille Promesses.
Par Dunustan Dial, Historien Impérial
Année 70 du calendrier Royal.
Douze ans plus tard…
Année 76 du calendrier Royal.
Ville d’Ircania, capitale Impérial, Académie des Magistères
Vellin jaillit des portes de l’imposante bibliothèque académique et se rua au milieu de la large avenue de pierres blanches, ignorant les regards courroucés du groupe d’apprentis qu’il venait de traverser. Fidèle à ses habitudes, il était en retard.
Le jeune homme n’avait une nouvelle fois pas vu le temps passer, trop absorbé par ses lectures au milieu des milliers de rayonnages que comptait l’immense bibliothèque. Il n’avait repris conscience du temps passé qu’au tintement du carillon annonçant la quinzième heure. Quinze heure, c’était également l’heure à laquelle il devait retrouver son tuteur et maître, le Haut Magistère Willnus de la Maison du Savoir.
Situé à la bordure orientale de la capitale Ircania, l'académie des Magistères était une véritable ville dans la ville. Délimitée par de hautes murailles crénelées, les mages retrouvaient en son sein toutes les infrastructures communes d'une ville ordinaire.
Une fois les monumentales portes passées, l’académie s’ouvrait sur une large avenue pavée et richement arborée, qui séparait l’ensemble en deux quartiers distincts. Point culminant de l’avenue principale, une immense bibliothèque, monument massif tout en colonnades de marbre blanc de plus de cinq étages dans le plus pur style Ircanien, siégeait implacable à l’extrémité du complexe.
Le Quartier Ouest regroupait toutes les échoppes nécessaires à la vie de tous les jours. Les bouchers, maraichers, et autres métiers de bouche se trouvaient sous un grand marché couvert qui embaumait les rues de mille senteurs, mais les mages pouvaient également trouver des livres, des textiles, du cuir, des pierres précieuses, et toutes sortes de fournitures possibles et imaginables pour leurs études. Le quartier comptait aussi six débits de boissons officiels et même deux lupanars plus ou moins tolérés par les Hauts Magistères et le Doyen.
Le Quartier Est était quant à lui dédié aux enseignements et à la recherche. Il était lui-même divisé en cinq parties de même superficie, pour chacune des cinq Maisons de Magistères. Des bannières portant toutes le symbole du Bâton, mais aux couleurs des différentes Maisons, flottaient au vent devant chaque sous-quartier pour bien rappeler à tous les propriétaires légitimes des lieux. Au cours de ses études, un apprenti magistère rejoignait la Maison la plus en adéquation avec ses capacités : la Maison du Combat en rouge pourpre, la Maison du Savoir en bleu cobalt, la Maison des Cultes en noir ébène, la Maison des Peuples en blanc ivoire et la Maison des Découvertes en vert émeraude.
Chaque sous-quartier bénéficiait de logements spécifiques, de salles d’études, de salles de recherche, mais aussi d’infrastructures particulières selon ses besoins. Ainsi le Quartier du Savoir possédait un important laboratoire là où celui du Combat avait bâti une large arène d’entrainement.
Le rendez-vous de Vellin avait lieu dans l’unique bâtiment commun à toutes les Maison, un magnifique palais en colonnades de marbre blanc à l’instar de la bibliothèque, s’étendant sur trois niveaux à la manière d’une petite pyramide aplatie. Le Palais des Rois comme on l’appelait, avait pour vocation de rappeler à tous les magistères que malgré leurs différentes Maisons, ils œuvraient pour un même objectif : la grandeur de l’empire Ircanien.
La base du palais comportait plusieurs grands amphithéâtres, c’était là que se déroulait l’accueil des jeunes apprentis magistères et les cérémonies d’intégrations. Le premier étage était destiné aux réunions de plus grandes importances, notamment entre les Hauts Magistères et le dernier étage servait de logement au Doyen de l’académie.
Vellin le savait, une convocation au premier étage du palais équivalait à une raison de premier ordre.
Le jeune homme remonta la large avenue ombragé au pas de course, se frayant un passage difficile au milieu de la foule tourbillonnante d’apprentis magistères et de carrioles de marchands chargées en babioles prétendument imprégnées. Avec plus de cinq milles étudiants magistères pour autant de personnels et de commerçants, la petite « Cité des Mages » comme l’appelait les habitants d’Ircania, grouillait d’une constante effervescence et ce, quelque fut l’heure du jour ou de la nuit.
Comme en toute saison, une chaleur étouffante et un vent sec en provenance du Désert des Murmures balayaient la cité malgré les nombreux jardins, écrasant de sa main brulante chaque être vivant et recouvrant tout d’une pellicule de sable poussiéreux. La ville d’Ircania, avant d’être la capitale d’un jeune empire conquérant, avait été en son temps la plus pauvre des Cités Libres. On la surnommait alors la « Porte du Désert », car elle représentait la dernière halte de civilisation à l’extrémité Est des Territoires Libres avant le désert implacable. Le Désert des Murmures formait une frontière naturelle quasi-infranchissable qu’aucun humain n’était parvenu à traverser. Seuls des tribus nomades de Gerbois se partageaient les sables avec les créatures du désert. Pourtant, malgré cet environnement hostile à la vie, Ircania devait beaucoup au désert…
Vellin arriva enfin à la grande arche sculptée d’innombrables scènes à la gloire du passé, délimitant l’entrée du Quartier Est. Bien plus habitué aux lectures interminables qu’à toutes formes d’activités physiques, le jeune homme ralentit l’allure afin de reprendre son souffle et entreprit d’éponger son front à l’aide d’une petite étoffe. Des gouttelettes de sueurs salées ruisselaient de sous son épaisse tignasse ébène et venaient goutter sur sa fine tunique cobalt en lin, lui collant la peau dans une désagréable sensation d’irritation. Il pénétra ensuite dans le magnifique jardin aux fleurs multicolores et aux multiples arbres fruitiers qui entourait le Palais des Rois. Après huit années à habiter la Cités des Mages, l’apprenti magistère restait toujours subjugué par la prouesse technique qui avait rendu possible un lieu d’une telle beauté au pied du désert. Une série d’aqueducs massifs apportaient l’eau depuis les sources et les oasis alentours - certains se trouvant à plus d’une journée de marche de distance -, jusqu’aux nombreux canaux irrigant la ville et ses jardins. Des canalisations plus petites transportaient ensuite l’eau aux quartiers secondaires. Ils permettaient même d’évacuer une partie des déchets, ce qui avait grandement contribué à améliorer l’hygiène de la ville. Plus incroyable encore, d’énormes hélices en bois permettaient de monter les eaux aux étages supérieurs, si bien que de nombreux bâtiments possédaient leurs propres jardins d’arbres fruités suspendus.
Toutes ces prouesses - et bien d’autres -, avait permis au cloaque puant et poussiéreux qu’était Ircania de devenir la capitale d’un empire puissant et l’une des plus belles villes au monde en l’espace de quelques dizaines d’années. Et celui qui avait rendu tout cela possible faisait face à Vellin, une immense statue de bronze trônant au centre du jardin à son honneur. Razhan l’Astucieux.
La statue restituait fidèlement les traits du gerbois, avec son museau fin aux longues moustaches, ses yeux sombres presque globuleux mais pourtant pétillant d’intelligence et ses grandes oreilles en paraboles. La robe qu’avait sculpté l’artiste empêchait de distinguer nettement les longues pattes à la musculature impressionnante et la queue caractéristique des Gerbois. Bien que faisant généralement la taille d’un adolescent maigrelet, la vitesse des Gerbois pouvaient égaler celle d’un cheval au galop et leurs capacités de sauts dépassaient la hauteur d’une habitation. Les Gerbois excellaient depuis toujours dans l’art de la fuite.
Comme tous les apprentis magistères, Vellin connaissait bien l’histoire de Razhan l’Astucieux, le non-humain devenu le membre le plus puissant de l’empire après la Reine.
Leurs origines dans le Désert des Murmures remontaient bien avant la fondation de la ville d’Ircania, peut-être même du temps des Anciennes Races, mais les sources uniquement oral demeuraient peu fiable. Les Gerbois était un peuple étrange, constitué de nombreuses petites tribus autonomes, vivants très simplement des quelques plantes qu’apportait le désert et plus rarement des fruits de la chasse. Eux seuls parvenaient à supporter les températures terribles du désert grâce à leur connaissances des points d’eaux et des multiples galeries serpentant sous les sables. Les premiers colons humains à s’être installés autour de l’oasis d’Ircane, qui deviendrait par la suite Ircania, n’entretenaient que peu de relation avec les Gerbois, se limitant à quelques échanges de ressources en pierreries et en cuir de reptile. Puis lorsque l’oasis gagna en importance et devint la Cité Libre d’Ircania, un agglomérat de huttes pauvres et poussiéreuses luttant constamment contre la soif et la faim, les relations avec les Gerbois se durcirent. Des raides contraignirent les autochtones à fuir toujours plus loin dans les sables et à abandonner leurs oasis. Les Gerbois capturés devenaient des esclaves. Razhan avait été l’un d’eux, près de quatre-vingt-dix ans plus tôt.
Mais il avait alors su montrer à la Reine son incroyable potentiel…
Vellin contourna l’imposante statue en la gloire de Razhan et poursuivit sa route jusqu’aux portes massives du Palais des Rois. Chemin faisant, il contourna un groupe d’ouvriers occupés à installer l’un de ces Bâton-de-Feu qui fleurissaient partout en ville. Dernière création de Razhan et de ses sbires, les Bâton-de-Feu exploitaient les nombreuses poches de gaz souterrains, et sous l’action d’une flamme, pouvaient brûler toute une nuit durant. L’invention était en passe de remplacer toutes les torches en ville et le rues, continuellement éclairées, en devenaient beaucoup plus sûres.
Un calme relatif régnait à l’entrée du Palais des Rois, contrastant avec l’agitation du reste de la ville. Cinq gardes en armures lourdes et large épées bâtardes, – au couleur de chacune des Maisons -, surveillaient les portes l’œil éteint, assommés par la chaleur cuisante du soleil. Vellin les salua d’un signe de tête en rentrant dans le bâtiment.
Le grand hall d’entrée était magnifique. Deux rangées de quatre colonnes en quartz rose conduisaient le visiteur jusqu’au large escalier central. Des petites fenêtres rondes garnies de vitraux en rosaces apportaient une douce lumière bleutée à la pièce. Une immense fresque peinte représentant l’union entre la Reine Semira et le Roi Darius ornait les voutes au plafond.
Seule une trentaine de gamins de douze ans pas plus, discutaient silencieusement dans la vaste salle. Vellin reconnut les premières années à leurs tuniques en lin grises, signe qu’ils n’avaient pas encore intégré de Maison. La plupart des cours de première année avaient lieu dans les grandes salles au premier niveau du Palais des Rois. Il était primordial d’inculquer comme valeur principale aux nouveaux entrants l’amour de l’empire et de sa Reine, surtout maintenant que les recrues provenaient des quatre coins des anciens Territoires Libres.
Vellin n’accorda aucune attention aux regards curieux des gamins, vulgaires première année, et traversa la grande pièce à pas vif et tête haute en direction des escaliers. Maitre Willnus l’attendait au premier étage.
Un lumière diffuse inondait faiblement le petit couloir par d’étroites fenêtres en haut des escaliers, jurant curieusement avec la démesure du premier niveau. L’endroit se voulait plus intimiste, plus élitiste aussi. Et pour cause, seuls les Maitres Magistères et exceptionnellement leurs disciples pouvaient se rendre à cette étage. Vellin lui-même ne s’y était rendu qu’à deux occasions jusqu’à présent, et toujours en compagnie de son maitre. Deux gardes aux armures grises symbole de neutralité, surveillaient l’accès aux salles latérales où devait se dérouler la réunion.
- Messieurs. Vellin Ombrépine, disciple de Maitre Willnus Lunepâle. Le Maitre m’a convoqué pour une réunion de grande importance mais je ne crains de ne pas savoir dans quelle salle de cette étage elle se déroule.
Les deux gardes échangèrent un bref regard. Après quelques instants, l’un d’eux répondit.
- Maitre Lunepâle est effectivement passé par là, jeune disciple. Mais vous vous fourvoyez sur un point. La réunion à laquelle il était convié n’a pas lieu ici.
A ces mots, l’homme en armure grise ouvrit la porte qui se trouvait dans son dos.
- La réunion a lieu à l’étage, dans le salon du Doyen. Mais je dois vous prévenir que vous êtes en retard.
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