Z'inthra l'Immaculée p1

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L’immense caravane qui se déplaçait le long de la voie Impérial ralentit progressivement sa course, bifurqua par une route de moindre importance le temps de quelques centaines de pas, et vint se stopper sur une large parcelle de champs défrichés pour l’occasion.

Les chariots imprégnées formèrent tout d'abord un cercle au centre de la parcelle -leurs roues monumentales écrasaient le sol aride, soulevant des nuages de poussière troubles-, puis les caravaniers désattelèrent les bérulfs trempés de sueur par l’effort, et les laissèrent paître les maigres touffes d’herbes présentes au cœur de l’anneau ainsi formé. Suivit le tour des charrettes marchandes, qui s’installèrent de part et d’autre de la structure, comme autant de fourmis se disputant les restes d’un serpent à l’agonie. Le soleil brillait haut dans le ciel quand les dernières charrettes finirent enfin de s'installer, constituant, le temps d’une journée, une étrange ville éphémère et protéiforme.

Des dizaines de marchands entamaient déjà la route menant à Z’inthra, dont les murailles blanches étincelaient et semblaient onduler sous la chaleur, à un demi-lieue plus à l’ouest. Ils allaient croiser en chemin ceux qui viendraient prendre leurs places au sein du convoi, dans un ballet d’hommes et de charrettes.

Vellin et Maître Lunepâle occupaient l’une d’elles.

Distante d’environ trente lieues, Z’inthra l’Immaculée était la plus proche Cité Libre en partance d’Ircania, et elle avait été la première à tomber lors de la conquête des Territoires Libres, soixante ans auparavant. Ironie de l’histoire, il n’avait suffi que d’une seule journée pour que l'Immaculée ne tombe entre les mains du Roi Darius, et ce, sans que l’armée conquérante n’eût à souiller les murs blancs de la cité de la moindre goutte de sang.

Le changement d'environnement qui s’était opéré au fil de la route continuait de surprendre le jeune apprenti. Le garçon n’était pour ainsi dire jamais sorti de l’enclave proche d’Ircania. Le désert des Murmures, brûlant, implacable, et ses maigres oasis constituaient son unique référentiel en termes de climat et de nature.

Ici, tout était différent.

Bien que sèche et rachitique, de nombreuses herbes et bosquets épineux recouvraient les sols crevassés. Des haies d’arbres et d’arbustes aux fleurs aussi divers que colorés venaient remplacer les habituelles rangées de palmiers et de dattiers, et entouraient les vastes parcelles de champs céréaliers. La chaleur de l’après-midi restait accablante lorsque l’on se risquait à quitter les abris offerts par les ombres naturelles, mais pourtant de temps à autre, une brise de fraîcheur chassait temporairement l’air sec et lourd, et refroidissait les corps trempés de sueur.

Z’inthra avait été bâti sur les bords de la Tanidie, une rivière qui prenait sa source d’une petite chaîne montagneuses -les Monts du Rhas- située un peu plus au nord. La Tanidie était certes rachitique la majeure partie de l’année, mais elle représentait le dernier cours d’eau significatif avant le désert des Murmures, et sa seule présence apportait un peu d’humidité dans une région encore particulièrement aride.

Assis à l’arrière d’une des charrettes en route pour la Cité Immaculée, Maître Lunepâle épongea son front ruisselant à l’aide d’un petit mouchoir de toile, qu’il glissa dans la manche de son ample tunique une fois la tâche effectuée.

Il se tourna vers son disciple. Le Maître paraissait soucieux malgré un sourire de façade. De nouvelles rides lui barraient le front, au point que Vellin le trouva vieilli de plusieurs années.

- Nous n’avons que peu de temps pour accomplir toutes nos obligations à Z’inthra, commença-t-il, l’air pensif.

Nous devrons être de retour au convoi avant la nuit. As-tu bien compris ce que j’attends de toi ?

Vellin répondit dans un hochement de tête.

- Oui Maître, je dois me rendre à la Bibliothèque des Érudits afin de consulter et récupérer leurs archives sur la première expédition.

- Exact. La première expédition partit explorer les Terres Sauvages, il y a une centaine d'années, était menée par un érudit de Z’inthra. Un certain Blastus Thaa. C’est pourquoi ses travaux sont conservés ici.

Et ils nous seront d’une grande aide. Thaa a longuement étudié les tribus Sylvestres et il a noté de nombreuses informations sur leurs us et coutumes. Sur leur magie chamanique, aussi. Cela nous sera bien utile pour parvenir vivant jusqu’au site où sommeillerait le Dieu…

Il laissa sa phrase en suspens et guetta la réaction du garçon. Il savait que Vellin ne manquerait pas de le questionner à ce sujet, dont ils n’avaient que peu parlé.

- Alors c’est vrai ? Nous sommes à la recherche d’un… Dieu ?

- Je vois que cette question continue de te perturber, depuis l’entrevue chez le Doyen. Je vais essayer de t’apporter quelques réponses. Que crois-tu savoir sur les Dieux ?

Une intense réflexion se lut sur le visage de Vellin. Il prit son temps pour répondre.

- On dit que les Premiers Dieux se seraient éveillés après la Mort de l’Unique, Le Grand Donneur, Celui qui a engendré le Fluide.

Les Premiers Dieux ont ensuite façonné le monde pendant des milliers d’années, bâtissant des civilisations entières et se livrant à des guerres sans merci. Entre eux, mais aussi contre des Arpenteurs, Ceux qui viennent des Etoiles.

Les affrontements ont atteint leur apogée durant l’ère du Déclin, et les Premiers Dieux ont fini par tous disparaître après la Chute. Il y a quelques centaines d'années. Depuis, plus aucune créature, qu’importe sa race, n’a osé revendiquer le titre suprême. De nombreux Hérauts et Aspirants désirent plus que tout siéger à la table des Nouveaux Dieux, mais jusqu’à présent aucun d’eux n’y est parvenu.

Lunepâle hocha la tête en guise d’approbation.

- Mais t’es-tu déjà demandé qui étaient les Premiers Dieux ? Avant de devenir ce qu’ils ont été ? Voltabre l’éternel, Isok l'omniscient, R’ruh la Magnanime… Étaient-ils déjà des êtres hors normes, destinés à influencer des milliers d’autres vies ? Ont-ils été choisis, plus honorables parmi les honorables ?

La question plongea Vellin dans la confusion. Les Dieux étaient des Dieux, et les mortels des mortels, ainsi allait l’ordre naturel des choses. Certaines âmes apportaient des Abysses leurs bagages en puissance et elles étaient promises dès la naissance à un destin exceptionnel. D’autres, comme Vellin le pensait -et il en faisant parti-, devraient lutter toute leur existence pour survivre dans un monde hostile et implacable.

- Je pense… je pense, répondit-il toujours en proie au doute, que c’est un mirage que d’espérer s’affranchir de sa condition. Notre âme est créée avec des caractéristiques que l’on ne peut changer. Certains sont promis à devenir des Dieux, et d’autres à les vénérer. Peut-être ne sommes-nous plus dignes de leur présence sur notre Astre ?

Lunepâle sourit à Vellin. Il fut heureux de constater que son élève puisse exprimer son hésitation.

La présence des autres apprentis est assurément une bonne chose pour son apprentissage.

- Je crains que tu te trompes sur toute la ligne, mon garçon. Oublie les contes pour enfants ou les légendes pour magistères épris d’aventure. Les Premiers Dieux n’étaient que des êtres de chair et de sang, comme toi et moi, avant la venue de l’Unique.

Vois-tu Vellin, on ne naît pas Dieu… mais on le devient.

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