Chapitre 1 : La lumière de la Haute Ville
Altior Vorn était l’incarnation même de la Haute Ville : un homme dont la vie semblait tout droit sortie d’un rêve que peu osaient même imaginer. Les grandes avenues scintillantes de la cité supérieure étaient son terrain de jeu, et chaque regard qui se posait sur lui portait une étincelle d’admiration, d’envie, ou de jalousie. Fils unique d’une des familles les plus influentes, il était à la fois le produit d’une légende familiale et l’objet de toutes les attentes.
Les Vorn étaient une famille ancienne, si ancrée dans l’histoire de la cité que ses origines exactes se perdaient dans les brumes du passé. Respectés et respectueux, ils se présentaient comme les garants des valeurs de la Haute Ville, œuvrant pour le bien-être de leurs semblables. Leur demeure, un véritable palais d’argent et de verre, dominait la ville, tel un symbole de leur puissance. Elle semblait presque toiser les autres maisons, comme pour leur rappeler la place qui leur était due.
Altior, quant à lui, était l’hôte de toutes les fêtes les plus convoitées. Ses soirées luxueuses étaient réputées pour leur opulence, mais aussi pour l’attrait d’une substance particulière : l’Exalt ou plus communément le X. Ce produit verdâtre, unique à la Haute Ville, augmentait les capacités physiques et mentales de ses consommateurs tout en créant une dépendance féroce. Un manque de deux semaines suffisait à rendre fou même le plus fort des esprits. Les « rebuts » fous de l’Exalt étaient rejetés en contrebas, dans les profondeurs de la Basse Ville, comme une triste conséquence de l’addiction collective.
Bien que ses parents désapprouvaient le X, Altior n’en avait pas grand-chose à faire. Il voyait dans ces soirées une échappatoire, une bulle d’insouciance. Il brillait sous les projecteurs, indifférent aux regards jaloux ou admiratifs. Mais derrière cette façade se cachait un jeune homme accablé par les attentes familiales. Son père, bien qu’aimant, n’hésitait jamais à souligner le moindre défaut. « Tu peux mieux faire, Altior, » disait-il souvent, ajustant sa moustache blanche avec une sévérité calculée. Les professeurs louaient son intelligence, ses camarades l’admiraient, mais personne ne voyait les nuits blanches où il se consumait dans une quête incessante de perfection.
Si Altior avait une constante dans sa vie mouvementée, c’était Eris Kale. Ils se connaissaient depuis l’enfance, et leur lien avait évolué au fil des ans, passant d’une simple amitié à une affection profonde. Lorsqu’ils étaient au collège, Altior lui promettait souvent en riant : « Quand on aura 18 ans, on se mariera, je te le jure. » Cette promesse, pourtant faite avec légèreté, finit par devenir une réalité.
Eris était une femme forte, issue d’une autre famille influente de la Haute Ville, mais aux idéaux opposés à ceux des Vorn. Ce fossé idéologique rendait leur union controversée, et le père d’Eris s’opposa farouchement au mariage. Pourtant, un jour, il céda. « Va demander à la famille Vorn de préparer la fête, » dit-il à sa fille d’un ton sec, masquant mal son amertume.
Leur mariage fut l’événement de l’année. Organisé dans les jardins suspendus des Vorn, la cérémonie était un tableau de perfection. Les fleurs rares illuminaient chaque recoin, des musiciens jouaient des mélodies envoûtantes, et le ciel étoilé ajoutait une touche de magie. Cependant, une ombre persistait : le père d’Eris, impassible et distant, observait tout sans dire un mot. Il s’éclipsa dès qu’il en eut l’occasion, laissant une impression de froideur qui troubla Altior. Mais ce jour-là, personne ne s’attarda sur cet homme taciturne. Ils étaient trop occupés à célébrer l’amour éclatant des jeunes mariés.
Les premiers mois de leur union furent idylliques. Altior et Eris partageaient des rêves, des rires et des projets d’avenir. Pourtant, la réalité les rattrapa rapidement. La famille d’Eris était impliquée dans le commerce de l’Exalt, un sujet tabou pour les Vorn, farouches opposants à cette pratique. Altior, bien qu’il ne partageât pas entièrement les principes rigides de ses parents, refusait qu’Eris s’implique davantage dans ces affaires. Mais Eris était d’une nature obstinée, et leurs discussions s’envenimaient souvent.
« Pourquoi refuser de voir la réalité, Altior ? » lui lança-t-elle un soir, exaspérée. « L’Exalt fait partie de cette ville, que tu le veuilles ou non. »
« Et c’est précisément pour ça qu’il détruit tout ce qu’il touche, » répliqua-t-il, son ton ferme masquant une pointe de fatigue.
Malgré tout, ils s’efforçaient de maintenir une façade de bonheur. Aux yeux de la Haute Ville, leur couple incarnait la perfection, même si une tension sous-jacente menaçait leur harmonie.
Une nuit d’automne, alors que les dernières lumières d’une fête s’éteignaient, Ben, l’ami d’enfance d’Altior, s’approcha de lui avec une mine sombre.
« Altior, il faut que je te parle, » murmura-t-il, jetant des regards autour de lui pour s’assurer qu’ils étaient seuls.
Intrigué, Altior l’entraîna dans un coin isolé. « Qu’est-ce qui se passe, Ben ? »
« Mon père... il participe à des réunions étranges. Chaque mois, sans faute, il disparaît sans prévenir. Pas de chauffeur, pas de garde du corps. Il se rend dans un endroit que personne ne connaît vraiment. »
Altior fronça les sourcils, sceptique. « Et tu en sais quelque chose d'autre ? »
Ben hocha la tête. « Je n’ai pas pu le suivre t'imagine bien, mais j’ai vu une pièce de monnaie qu’il garde précieusement. Dessus, il y a une sculpture : une femme aux cheveux au vent, avec des nuages derrière elle. C’est la déesse Nyx. »
Ces mots résonnèrent dans l’esprit d’Altior bien après que la conversation se soit terminée. Mais, pris dans l’engrenage de ses responsabilités et de ses tensions avec Eris, il choisit d’ignorer ces révélations. Il ne savait pas que cette nuit-là marquait le début d’une descente inexorable vers un destin qu’il n’aurait jamais pu imaginer.
Annotations