Chapitre 2 : La descente aux enfers
Depuis leur mariage, la vie d’Altior avait pris une tournure inattendue. Alors qu’il pensait que l’union avec Eris Kale renforcerait sa place dans la Haute Ville, il ne pouvait ignorer les fissures qui s’élargissaient dans leur vie commune. Entre les disputes sur le commerce du X et les attentes de son père, il avait l’impression d’être constamment pris entre deux forces contraires.
Le manoir des Vorn, jadis un havre de calme et de pouvoir, lui semblait de plus en plus oppressant. Les journées étaient remplies de réunions d’affaires, de visites politiques, et d’échanges superficiels avec des alliés qui ne voyaient en lui qu’un futur dirigeant à manipuler. Chaque soir, il s’effondrait dans son bureau, espérant trouver un moment de répit dans la solitude.
C’est lors d’une de ces nuits qu’il tomba sur un coffre ancien, dissimulé derrière une armoire dans le bureau de son père. À l’intérieur, une petite pièce de monnaie intrigante l’attendait : une femme, cheveux au vent, semblant défier une tempête. La finesse des détails était saisissante, presque troublante. Exactement celle qu’avait décrit son ami, Ben. À côté de la sculpture, une lettre anonyme :
« Tout finit par tomber. »
Ces mots résonnèrent en lui comme un glas, bien qu’il n’en comprenne pas encore la portée. Il rangea la lettre et la sculpture dans un tiroir, mais l’image de la femme au vent restait gravée dans son esprit.
Eris, quant à elle, semblait glisser entre ses doigts. Elle sortait souvent, prétextant des visites à sa famille ou des réunions caritatives, mais ses absences prolongées éveillaient la méfiance d’Altior. Le fossé entre eux s’agrandissait, alimenté par leurs désaccords sur le X et leurs visions divergentes de l’avenir.
Un soir, alors qu’il l’interrogeait sur ses absences, elle éclata :
« Tu ne comprends rien, Altior ! Tout ce que je fais, je le fais pour nous. Mais toi, tu es trop occupé à te cacher dans cette maison, à jouer le rôle parfait, pour voir ce qui se passe vraiment autour de toi. »
Ses mots le frappèrent plus fort qu’il ne l’aurait imaginé. Il tenta de la retenir, mais elle quitta la pièce en claquant la porte, le laissant seul avec ses doutes.
Le jour où la première accusation fut publiée, Altior ne prêta qu’une attention distraite à l’article. Il pensait que ce n’était qu’un ragot parmi tant d’autres, une rumeur insignifiante. Mais très vite, les médias s’emballèrent. Les accusations s’enchaînèrent, plus lourdes, plus précises, et toujours dirigées contre la famille Vorn.
Le père d’Altior, figure respectée et influente, fut le premier à être touché. Des détournements de fonds, des marchés corrompus, des implications dans des disparitions de personnalités de la Haute Ville : chaque détail semblait si méticuleusement documenté qu’il était impossible de tout démentir.
Dans les couloirs du manoir Vorn, les domestiques murmuraient, et la Haute Ville se délectait de ce scandale. Altior, perdu, cherchait à comprendre d’où venaient ces attaques.
C’est dans ce chaos qu’il trouva une note anonyme dans son bureau, glissée sous la porte. « Ce n’est que le début. »
Altior confronta Eris un soir, après des jours d’investigation infructueuse. Il avait remarqué des détails troublants : certains documents utilisés dans les accusations provenaient directement de leur bureau familial, des détails que seuls des proches pouvaient connaître. Et tout pointait vers Eris.
Il l’attendait dans leur chambre, une lettre d’accusation à la main. Quand elle entra, son visage affichait un calme étrange, comme si elle savait ce qui allait arriver. Altior avait compris qu’il n’avait plus besoin de chercher de preuve ou de coupable, la responsable était face à lui, droite et glaciale.
« Pourquoi ? » demanda-t-il, la voix tremblante.
Eris haussa les épaules, un sourire glacé se dessinant sur ses lèvres. « Parce que c’était facile. Parce que tu es naïf, Altior.»
Altior recula d’un pas, comme si ses mots venaient de le frapper en plein visage. « Tu… tu es en train de détruire ma famille, Eris. Pourquoi ?! »
Elle le fixa, son regard dur. « Parce qu’il le faut. Tu crois que tu es important, mais tu n’es qu’un pion. Tes parents, ton nom, ton pouvoir : tout ça ne vaut rien. Je n’ai pas à m’expliquer devant un minable comme toi.» Ses yeux semblait humides, de larme, de rage ou d’ambition ?
Il chercha à comprendre, à trouver une once de vérité dans ses paroles, mais il ne vit qu’une froide indifférence. Ce soir-là, quelque chose se brisa en lui. Il aurait dû essayer de la retenir, de lui parler ou de l’arrêter mais il ne bougea pas et son destin, froid et cruel, continua son chemin.
Le lendemain, tout bascula. Les accusations montèrent d’un cran, accompagnées cette fois de preuves accablantes impliquant directement les parents d’Altior dans le trafic de X. Ce fut un séisme médiatique.
Les alliés des Vorn tournèrent leurs vestes, les contrats furent résiliés en un clin d'œil, et les créanciers, autrefois conciliants, se muèrent en vautours. La famille, pilier de la Haute Ville, fut réduite à un objet de mépris et de moquerie en quelques jours.
Altior rentra chez lui un soir, le cœur lourd, pour trouver leur demeure plongée dans un silence oppressant. Ce silence n'était pas celui d'une nuit paisible, mais celui d'une maison qui avait cessé de respirer. Une intuition glaciale lui noua l’estomac tandis qu’il montait les escaliers, un pied après l’autre, comme si chaque pas le rapprochait de quelque chose qu’il redoutait profondément.
Il poussa la porte de la chambre de ses parents, et la scène le frappa comme un coup de poignard. Ses parents étaient assis côte à côte sur le canapé près de la baie vitrée, les mains jointes, figés dans une immobilité absolue. Leur teint livide et les bouteilles vides sur la table basse racontaient ce qui s’était passé sans qu’il ait besoin de chercher plus loin.
Sur le coussin entre eux, une lettre, écrite d’une main tremblante, portait un message bref :
« Pardonne-nous, Altior. C’est pour le mieux. Vis, toi. Fais mieux. »
Mais Altior ne pouvait pas lire. Son regard flou vacillait entre leurs visages figés, encore marqués par une douleur indicible, et ses jambes cédèrent sous lui. Il s’effondra à genoux, incapable de pleurer, incapable de penser.
Le vide. C’était tout ce qu’il ressentait. Pas de rage immédiate, pas de tristesse éclatante. Juste un abîme noir qui s’ouvrait en lui. Ses pensées, d’habitude si vives, étaient devenues des échos confus, brouillés par la stupeur.
Si quelqu’un était entré à ce moment-là, il aurait cru qu’Altior n’était qu’un cadavre de plus.
Il resta là, immobile, le temps s'étirant comme une éternité. Ce fut seulement lorsque l'obscurité envahit la pièce que la réalité le heurta enfin, brutale et cruelle. Il hurla, un cri guttural qui sembla avaler tout l'air de la pièce. Mais même ce cri ne brisa pas la solitude absolue dans laquelle il était plongé.
Le manoir Vorn devint silencieux. Les couloirs résonnaient d’un vide glacial, et Altior errait comme un spectre, incapable de pleurer, incapable de penser.
Il tenta de résister, de sauver ce qui pouvait encore l’être, mais les portes se fermaient une à une. Plus personne ne voulait entendre son nom. Chaque tentative d’approcher des alliés se soldait par des regards de mépris ou des silences gênés.
Un soir, il errait dans les rues, l’esprit brisé, lorsque des regards moqueurs et des murmures le transpercèrent comme des couteaux. Les rires étaient acides, les paroles venimeuses :
— Regarde-le, le grand Vorn. Un déchet maintenant.
Altior serra les poings, mais ses jambes fléchirent.
Le X, qu’il consommait pour engourdir sa douleur, n’était plus qu’un poison qui l’enchaînait. Chaque dose l’entraînait un peu plus dans l’abîme, lui offrant un répit aussi cruel qu’éphémère.
Il comprit qu’il ne pouvait plus rester ici. Sa place n’était plus dans cette ville qui l’avait trahi, qui avait détruit tout ce qu’il était. Alors, il rassembla ses dernières affaires et descendit vers la Basse Ville.
Lorsqu’il descendit enfin dans la Basse Ville, ce fut comme une chute dans un monde parallèle. L’air y était poisseux, les ruelles imprégnées d’une crasse qu’aucune lumière ne pouvait percer. Il trouva refuge dans un taudis, où les cris des âmes perdues résonnaient au loin.
Ce n’était pas une vie, mais c’était tout ce qu’il lui restait.
Pour la première fois, Altior n’était plus un Vorn. Il n’était plus qu’un homme brisé, à la recherche d’un nouveau sens à donner à son existence.
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